Giono 4
ANSELMIE/OIE : Excipit
De « Bon. Alors qu’est-ce qu’il t’a dit. ? »… à la fin du roman
Introd : Auteur/1946, composition de l’œuvre (chronique) en trois grandes parties, situation de l’extrait dans la partie tragédie, en guise d’excipit, dialogues et narration, reprise de la problématique et annonce du plan si possible sous forme de questionnement.
Quel personnage semble la « vedette inattendue » de ce dénouement ?
Plan
I) Un nouveau personnage :
A) ANSELMIE : pourquoi l’avoir choisie ?
– Sur le plan narratif, elle est la dernière à avoir vu Langlois vivant, faire quelque chose de bizarre (voir saigner une oie) : « Il l’a regardée saigner dans la neige. ». Syntaxe hachée : « Quand elle a été plumée… il regardait toujours au même endroit ». « Il regardait à ses pieds le sang de l’oie ».Ce comportement aurait dû l’alerter. Mais elle passe à côté vu qu’elle est bête… comme une oie…
– A cause de son caractère obtus, étroit d’esprit, comme une paysanne inculte qu’elle est, et têtue. Elle ne comprend pas les motivations de L. Elle croit qu’il veut manger une oie (« Sont pas très grasses » avec suppression du pronom, + faute de syntaxe, Anselmie, paysanne d’une époque où l’école n’était pas obligatoire, commet des fautes élémentaires). Ou qu’il attend qu’elle la lui plume (ses pensées au style direct : « Il veut sans doute que tu la plumes ». Elle voit bien qu’il l’a entendu mais elle répète exactement, preuve des limites de son sens de l’opportunité et de son vocabulaire: « L’est plumée Monsieur Langlois ».
– Mais n’était-ce pas nécessaire et n’est-ce pas pour cela que Langlois l’a choisie ? Il y a un contraste entre le détachement avec lequel Anselmie considère la situation et la gravité tragique des dernières volontés de L. On voit bien ce décalage quand elle dit : « C’est tout » alors qu’elle n’a rien dit d’essentiel. « Si je vous dis que c’est tout, c’est que c’est tout » alors qu’elle n’a pas encore raconté l’épisode du sang et de l’immobilité de L. Manifestement, elle n’est pas à la hauteur de la situation. Il aurait fallu quelqu’un de psychologue et d’intelligent pour saisir la situation, mais en cas-là L. n’aurait pu aller jusqu’au bout. On peut donc dire qu’il l’a choisie.
B) Comment se comporte-t-elle par rapport aux villageois ?
– Elle se fait tirer les vers du nez, il faut presque la harceler pour qu’elle révèle ce qu’elle sait. D’où les stichomythies théâtrales de la première partie de l’extrait. Ses réponses sont extrêmement brèves (« Se tenait à l’écart », « Sous le hangar ») et elle ne les développe pas. On remarque que ce n’est pas une bavarde. Delphin-Jules ne devait pas s’amuser avec elle. D’où la pipe, le fumier, M.V. Inversement, les paysans posent de nombreuses questions dont certaines sous forme d’injonctions : « Bon. Alors, qu’est-ce qu’il t’a dit ?, Eh bien parle, Mais parle » ;
– Elle ne comprend pas l’intérêt des villageois pour des détails qui sont évidents pour elle. Du coup elle s’énerve et utilise des exclamations ou des jurons (« pardi ! parbleu ! Nom de nom »). Elle se lamente même (« Vous m’ennuyez à la fin ». Sans doute croit-elle qu’on lui met la disparition de L sur le dos. Ou qu’on suppose qu’elle ne dit pas tout ce qu’elle sait.
– Il y a ici aussi un contraste entre sa façon naturelle de raconter les faits comme si tout était normal (« Si je vous dis que c’est tout, c’est que c’est tout » ; insister sur cet effet d’insistance et sur l’ironique alexandrin, et l’intérêt que cela suscite chez les villageois (n’oublions pas que c’est un divertissement pour eux) qui s’improvisent enquêteurs. Quand elle se lance dans sa tirade finale, à aucun moment elle ne s’étonne et trouve des explications rationnelles (« Il veut sans doute… », « Quand il la voudra il viendra » : fait des rimes).
II) Le tragique de la scène
A) Comment qualifier ce dénouement ?
–Tragique : La phrase qui le montre le mieux, car elle est empreinte de grandeur, et que l’on pense presque à une apothéose d’un héros épique qui rejoint les dieux dans le ciel, c’est l’avant dernière (« C’était la tête de L qui prenait enfin la dimension de l’univers »). L’adverbe « enfin » prouve que ce moment était attendu par L et que donc on était engagé dans un processus à issue inéluctable (ce qui est l’un des aspects du tragique : sa prévisibilité). On a un contraste entre le fini, la tête (début de phrase), et l’infini, l’univers cosmique (fin de phrase). Même aspiration que chez Baudelaire et son spleen. Et une fois encore, beauté (du spectacle) et horreur sont mêlés, ambivalents.
– Ses proches s’y attendaient-ils ? Non car L a agi comme d’habitude. Il a caché ses intentions (« il tint le coup jusqu’à la soupe ». Autre aspect de la dissimulation : il a fait passer la dynamite pour un cigare (« Seulement il ne fumait pas…). Et puis il a eu l’idée de s’écarter des témoins oculaires dans le jardin, au fond, preuve de sa préméditation calculée avec précision.
– Comment cette préméditation est-elle mise en valeur ? Dans le dernier paragraphe, l’enchaînement des actions au passé simple avec des jeux de coordination qui favorisent la binarité, en trois temps (repas, fin du repas, sortie) de « il remonta », jusqu’à « il ouvrit ». Le verbe « attendit » suppose une intention fatale.
B) Avant son suicide, qu’a fait L (d’après Anselmie) ? En fait il a procédé en trois temps.
– Il a réclamé une oie (question + ordre : « Va m’en chercher une »). Le mot « oie « est évidemment répété tout au long du dialogue Anselmie/ Langlois. L. rudoie Anselmie (« Va-t-en). Il ne lui répond pas. Pourquoi ? Un peu de mépris et ne veut pas fournir d’explications.
– Il a demandé qu’on lui coupe la tête : Expression au style direct avec injonction. Jusque là on pourrait dire qu’il n’y a rien d’anormal (en tout cas pour Anselmie). Il peut, comme elle le suppose, avoir envie d’en manger (elle ne voit pas plus loin).
– Là où cela devient bizarre c’est qu’il la regarde saigner avec une certaine fascination, comme dans le Perceval de Chrétien de Troyes, l’épisode des trois gouttes de sang dans la neige. (Intertextualité). Manifestement il veut vérifier quelque chose, ou se repaître de la vue du sang (comme MV). S’il rend l’oie c’est qu’elle ne l’intéresse pas, mais le sang, en tout cas sa vue. D’ailleurs, L va rester à le regarder, ce sang jusqu’à la tombée de la nuit. Anselmie insiste sur son immobilité : « Planté » (notez que le mot est seul planté dans le paragraphe comme Langlois planté dans le champ couvert de neige) puis « Il n’a pas bougé ». Et là ce n’est plus normal. Pour Giono, l’homme est fasciné par le sang (guerre). Quand L. réalise qu’il ne peut plus s’en passer, il se supprime.
III) Qu’a voulu faire Giono :
A) ANSELMIE, personnage comique.
– Giono a voulu mélanger les genres. Il désigne son roman comme un opéra-bouffe. Mettre un peu de comique dans ce dénouement tragique car c’est souvent ainsi que cela se passe dans la vraie vie. Pascal l’avait bien montré dans ses pensées sur l’Imagination. Si Anselmie ne prend pas les choses au tragique, c’est parce que justement elle en est l’antithèse, comique. Elle est le type de la paysanne bornée, têtue, récalcitrante. A cause d’elle, les révélations se font attendre. L’attente déçue déclenchant l’impatience (la scène n’en finit pas. On piétine. ), et le contraste (elle pense à sa soupe alors que L pense au suicide) sont les deux ressorts principaux du comique.
– A ce comique de caractère, il faut ajouter le comique de situation : le personnage est déboussolé, il faut l’imaginer répondant tantôt à l’un tantôt à l’autre, comme une girouette. Le comique est de la mécanique plaquée sur du vivant (Bergson).
–Enfin son langage, pas très sophistiqué prête à sourire, comme celui des paysans chez Molière (phrases inachevées comme si ça la fatiguait de parler correctement). Bref c’était le personnage idéal pour que L. puisse passer à l’acte. Penser aux paysans de Molière dans Dom Juan.
B) Que signifie tout cela ?
– A mettre en rapport avec la phrase finale qui justifie le titre. Interrogative rhétorique, adressée au lecteur, citant Pascal. L. serait donc le véritable roi du livre ? Mais qui prend une valeur générale (tout homme est un roi qui a besoin de divertissement). Recours à l’italiques mais qui parle, l’auteur, ou les vieillards qui s’interrogent ?
– On peut chercher à élucider le nom même de Langlois. Jusqu’à présent il était celui qui donnait des ordres ou faisait respecter la loi (La langue de loi). Mais ici il parle pour demander le sang de l’oie, preuve qu’il sombre dans l’anormalité. Derrière le héros justicier et admirable se cachait donc un criminel potentiel (thème du livre : apparence/réalité, beauté/cruauté). Entre temps devenu hors la loi (l’exécution sommaire de M.V. En fait pour lui éviter scandale et humiliation pour sa famille).
– Sans doute la polyphonie complexe de ce passage (Anselmie raconte aux villageois qui raconteront au narrateur ce qu’écrit Giono) pose la question de la vérité : qui la connaît, sur un homme ? Après tout à aucun moment dans l’histoire les faits ne nous sont racontés par L. lui-même. Il est toujours vu de l’extérieur et chacun a son Langlois dans la tête (comme Saucisse).
CONCLUSION sur ce dénouement. Vérification réponse à la problématique. Ouverture. Rappel 3 rois ou 3 exécutions dont celle du justicier qui se fait justice sur lui-même. Insister sur le divertissement comme remède à l’ennui. Rappel : Récits de la demi-brigade où Giono écrit 6 nouvelles sur le capitaine Martial Langlois, une vingtaine d’années plus tard, relatant donc sa jeunesse, ses talents d’enquêteur mais aussi d’exécuteur de mort subite.