Louise Labé
LOUISE LABE : TANT QUE MES YEUX
Surnommée La belle cordière. Rare auteur femme. Réputée pour son épicurisme et sa vie que l’on prétend scandaleuse pour l’époque.
Habitant Lyon et auteur d’une trentaine de sonnets, influencés par le pétrarquisme italien.
« Tant que mes yeux », sonnet élégiaque en décasyllabes évoquant le regret d’un amour passé.
Pbématique : Comment un sonnet amoureux se transforme-t-il en réflexion sur le temps ?
Plan :
I) Une femme exprime ses sentiments
A) La poétesse est une femme
– Une occurrence permet d’identifier l’auteur comme femme : le mot « amante » au v.13. Le poème est donc un poème d’amour.
– Elle recourt à la 1ère personne (je lyrique) d’un bout à l’autre du texte qu’il s’agisse du pronom atone (« Je ne souhaite encore »), des déterminants possessifs (v.1 « mes yeux », v.12 « mon esprit »…), ou de l’absence de pronom (v.14 « Prierai »)…
– Cette 1ère personne interpelle une 2nde : tutoyée, ce qui suppose une certaine intimité, donc mais à la forme tonique (v.2 « avec toi », « v.48 « fors que toi ») et grâce à des déterminants possessifs (« tes grâces »). On remarquera que cette forme (le tu) disparaît dans les tercets, en même temps que l’hypothèse de l’amour (v. 13 : « ne pouvant plus montrer signe d’amante, ». On a donc affaire à une femme qui s’adresse à un homme pour lui signifier son amour (« amante »). Mais présent ou absent ?
B) Dans quel but ?
– Pour lui faire part de son regret : le verbe « regretter » est présent dès le v.2 du passé (idem, recours au participe passé : « heur passé »)
–Pour célébrer, malgré tout, ses charmes, sa beauté : « tes grâces chanter ». Cet homme serait donc beau. Dans son souvenir semble-t-il.
– Pour le plaisir qu’elle y a pris et que souligne le verbe « contenter » au sens de se rendre contente, verbe ambigu car pouvant être pris au sens moral mais aussi physique (« comprendre » signifie « prendre en soi »). On a bien affaire à un poème galant, mais inversé puisque c’est la femme qui loue et célèbre l’homme.
II) Mais la tonalité générale reste triste :
A) Registre ou tonalité élégiaque
– Le vocabulaire, notamment au début, est particulièrement triste : « larmes épandre », « regretter », soupirs et sanglots ». On notera l’abondance des sons liquides l et r, l’idée d’écoulement étant accentuée par les enjambements. Cela s’explique par l’allusion à ce que l’être n’est plus présent ce qui justifierait l’allusion au bonheur passé (« heur passé avec toi »).
– Pire encore, les tercets évoquent l’apparition de la vieillesse, dans ses signes évidents de dégénérescence corporelle, par le biais d’un vocabulaire assez fort et nettement péjoratif : « tarir » « cassée », « impuissante », la locution adverbiale négative dans : « ne… pouvant plus montrer » (allitérations bilabiales).
– Et il y est question de mort dans le dernier vers (« Prierai la mort »), qui semble même une délivrance et donc une fatalité. La conception est donc en apparence tragique.
B) Car le pouvoir et le vouloir ne sont pas toujours en harmonie :
– On notera que dans les quatrains les verbes sont au futur de l’indicatif mais il s’agit toujours du même verbe « pourra » dans sa forme déclarative-affirmative. Et ce verbe pouvoir est associé au corps (yeux, voix, mains). Donc tout va bien. D’autant que le verbe vouloir (« l’esprit voudra ») leur est associé, lequel renvoie à la volonté – de l’esprit. Donc Corps et esprit sont en accord. L’esprit veut ce que le corps peut.
– Mais dans la deuxième partie, toujours au futur, mais plus lointain dans l’avenir, l’esprit ne peut plus (« ne pouvant plus ») et le corps non plus : cf. l’adjectif « impuissante ». L’esprit ne peut plus puisque le corps ne peut plus non plus. Or la seconde partie, les tercets, évoquent la vieillesse, irrémédiable. Ne reste plus qu’à attendre la mort et même qu’à la désirer tant qu’on en a encore la volonté.
– Ces verbes au futur font partie d’une suite de subordonnées de temps qui sont donc dépendantes d’une principale. La 1ère est au v.9 et elle est au présent : « Je ne souhaite encore point mourir » avec diérèse sur le verbe principal. L’idée c’est que la poétesse aimerait faire durer le présent le plus longtemps possible en y incluant tout le futur possible, cad en pérennisant son sentiment amoureux. Pourquoi ? Parce que l’amour donne du sens à la vie. Il faut profiter de celle-ci autant que possible (épicurisme). La principale des tercets est au futur parce que la poétesse aura, dans un futur lointain, un point tellement en rupture avec le présent quelle ne pourra plus faire « signe d’amante ». Donc que le sens donné à sa vie aura disparu. Dès lors autant appeler la mort… Les deux principales sont en antithèse et du coup, les quatrains et les tercets, ce qui nous amène à regarder de plus près la composition.
III) Les sens, et le temps
A) Les sens :
– Les mots qui se répètent dans le texte ont à voir avec trois sens : « les yeux » renvoient à la vue, « la voix » à l’ouïe, et « les mains » au toucher. On notera que ces termes se trouvent toujours accentués à la 4ème syllabe du décasyllabe dans les quatrains. Ils perdent cette place dans les tercets, en tout cas pour la voix et les mains. 2 vers sont réservés à chacun de ces organes ce qui les met, dans les quatrains, à égalité avec l’esprit. La « voix » semble privilégiée d’abord parce qu’on l’attendait au v.3 et que l’inversion syntaxique la fait passer au v.4. Ensuite parce que le mot est suivi d’une pause forte, une virgule, la seule à l’intérieur des quatrains. Enfin parce que ces deux vers consacrés à la voix sont les seuls à ne pas commencer par « Tant que » mais par « Et que… ». La voix a donc un statut à part. C’est normal puisque sans elle rien ne sert de tendre « les cordes du mignard luth », et que c’est elle qui justifie les pleurs (« aux sanglots et soupirs résister/Pourra ma voix »).
– Ces trois sens sont en rapport avec la gradation amoureuse habituelle, d’origine platonicienne : on commence par voir la personne aimée, on lui parle, on la caresse enfin, avant l’union incarnée ici par l’esprit et son contentement. Sauf que Louise Labé les détourne quelque peu de leur fonction habituelle : les yeux servent à pleurer (« larmes épandre »), « la voix » à chanter/célébrer le corps masculin, « les mains » à s’accompagner avec le luth, substitut du corps masculin, lui aussi sans doute « mignard ».
– Mais ces sens ne jouent plus leur rôle dans les tercets. Ils sont certes repris dans le même ordre : yeux, voix, mains, mais les yeux ont perdu un vers (seul v10), la voix se contente de quatre syllabes (contre deux) et les mains des six qui restent dans le v.11. C’est assez souligner l’ampleur de la dégradation. La voix est, comme dans les quatrains, suivie d’une virgule, derrière le participe « cassée », ce qui en montre le caractère définitif. Et une succession de mots ou expressions montre leur passivité (« je sentirai tarir, cassée, impuissante », ce qui efface les « signes » d’amante. La poétesse n’envisage pas de continuer à vivre si elle ne doit un jour plus aimer. Par ailleurs l’esprit n’est plus en équilibre avec les organes du corps comme 2 2 2 2 dans les quatrains.
B) Structure réelle du sonnet et idée du temps
– Louise Labé a accentué le déséquilibre naturel entre quatrains et tercets puisque la 1ère phrase du texte ne se termine qu’au vers 9 (alors qu’elle aurait dû s’arrêter, au pire, au v.8). On a donc la volonté de pérenniser le temps présent alors que la réduction des tercets à 5 vers pour la 2nde partie traduit l’idée d’accélérer au contraire le cours du temps. On comprend mieux l’antithèse entre les deux principales : celle où la poétesse rejette l’idée de la mort, envisagée comme une simple éventualité (« encore point mourir ») car elle entend profiter du présent/celle où « la mort » se fait présente (utilisation du nom commun) en passant par l’adjectif « mortel » dans la périphrase « mortel séjour » qui désigne la vie, l’existence. Ce qui fait une gradation vers le concret : « mourir mortel mort ». La mort est quasiment présentée comme une allégorie puisqu’elle est censée endeuiller de son suaire sombre : « noircir mon plus clair jour » avec évidemment un oxymoron.
– Cela explique aussi l’accumulation de conjonctions de subordination marquant la durée : « Tant que » (3 voire 4 fois, tous les deux vers) dans les quatrains, opposés au seul « Quand » qui marque une cassure dans les tercets. Les deux mis en antithèse par l’adverbe « Mais » au v.9, après le seul point à l’intérieur du poème.
-Enfin cette idée d’éterniser le présent est bien montrée par l’usage des infinitifs à la rime, lesquels, n’ayant pas de valeur temporelle propre, peuvent signifier le temps dans sa globalité et donc l’éternité. Dans les derniers vers la poétesse abandonne ce procédé puisqu’il est devenu impossible d’éterniser le présent. La seule solution est de sortir du temps, donc de la vie en appelant la mort.
Conclusion : Vérification réponse à problématique.
Ce poème vous touche-t-il ? Vous convainc-t-il.
Le fait qu’il soit écrit par une femme vous surprend-il ?
Replacer dans le contexte du goût de la nouveauté spécifique à cette époque Renaissante.