Ronsard
« COMME UN CHEVREUIL »
Auteur : Poète galant de la Renaissance épanouie, au 16ème siècle.
Nommé, le Poète des Amours, à cause de ses recueils dédiés à Cassandre, Marie, Hélène, chacune des trois conditions sociales : bourgeoise, paysanne, noble.
Ce sonnet galant dédié à Cassandre, en décasyllabes, est fondé sur une comparaison entre le Poète et un chevreuil, animal noble.
Où veut-en venir le poète en se comparant à un chevreuil ?
Plan :
I) Comparaison assez significative
A) Une comparaison qui conditionne la composition :
– L’essentiel du poème est consacré au « chevreuil » puisque son évocation couvre deux quatrains et le premier tercet soit 11 vers sur 14.
– Toutefois le dernier tercet est voué au Poète, lequel s’exprime à la 1ère personne (pronom atone « je » et déterminant possessif « mon »). On a donc un fort contraste, un fort déséquilibre entre la partie dévolue au chevreuil et celle réservée au Poète.
– Ce qui relie les deux êtres, ce sont les deux outils comparatifs placés en début de sonnet : « Comme » et en début de dernier tercet « Ainsi ». Les deux destins sont ainsi reliés. Le chevreuil est le comparant et le Poète le comparé. La structure implicite du texte se fonde sur une comparaison.
B) Un trait d’union
– Un mot commun aux deux destins, et donc présent dans chaque partie, relie les deux êtres. Il s’agit du mot « trait » placé à la fin de la 1ère partie v.11) et à la pointe du sonnet, v.14 donc, ce qui accentue le rapport entre les deux. Le mot signifie « flèche » et sert donc de trait d’union entre les deux parties.
– Mais il n’a pas le même sens : en effet, pour le chevreuil, il a un sens propre et concret, c’est la flèche qui tue, appartenant au vocabulaire de la chasse et de la mort : « trait meurtrier ». Pour le Poète, il s’agit également de flèches, au pluriel cette fois (hyperbole), mais ce sont celles du dieu du désir, Cupidon ou Eros, et donc les flèches de l’amour (La mort et L’amour sont paronymes sonores). Donc le sens est figuré.
– Dans les deux cas, autre rapprochement, c’est la soudaineté qui frappe, : l’effet est instantané. Dans le cas du chevreuil, grâce aux sonorités dures (« sa vie est atteinte d’un trait meurtrier »), dentales essentiellement (attendries par les liquides quand la lèche pénètre la chair), à l’effet d’euphémisme (« sa vie est atteinte » pour dire qu’il meurt) ainsi que par l’enjambement du v. 9 sur le v. 10 qui concourt à l’effet de surprise. Pour le Poète, même procédé de l’enjambement du v.13 sur le 14, même sonorités dures (et même attendrissement par les liquides r et l). Recours au contraire à l’hyperbole et à un terme commun aux deux espèces (« mon flanc »). Le trait sert donc de trait d’union, de comparaison, entre deux êtres. Ronsard évoque tout simplement le coup de foudre.
II) Points communs :
A) Rapprochements et différences
– Mais la soudaineté n’est pas le seul point commun, il y a aussi l’insouciance : le chevreuil est associé au verbe folâtrer, il « folâtre » (fait le fou), il ne réfléchit pas, ne sent pas venir le danger, c’est suggéré dans la métonymie « sa liberté n’a crainte » ou encore dans la répétition d’insistance « Et seul, et sûr » (les monosyllabes traduisant cette solitude, l’impression d’être seul au monde). Chez le poète, on retrouve la même idée avec l’expression « sans espoir de dommage ». Premier point commun (sans soucis).
– Cette insouciance s’explique par la jeunesse commune : On a l’impression que le chevreuil découvre le monde, d’autant que nous sommes au « printemps » (v.1). D’où ses bonds vigoureux suggérées par les anaphores sur les adverbes : « Or, Or, Or » qui font penser aux onomatopées désignant les sauts à grandes enjambées (hop). Le poète lui précise qu’il est à « l’avril de (son) âge » donc au printemps de sa vie cad jeune.
– Enfin, il reste peu d’outils de comparaison dans les tercets : on a le verbe aller à l’imparfait (« j’allais ») qui semble signifier une absence de but. On pourrait donc parler de liberté, et l’on retrouve l’adjectif « libre » au v.8. Les deux êtres sont alors reliés par une liberté apparente. Pour le chevreuil c’est d’autant plus évident que l’on nous dit qu’il « s’enfuit » (position finale et inversion syntaxique du v.4). S’enfuir on suppose du lieu où il se sentait emprisonné.
B) Un hymne à la vie
– Les deux quatrains semblent illustre un hymne à la vie. On a en effet une impression de mouvement, bien marqué par le fait que l’on est entre deux saisons, entre deux lieux, entre deux moments. Donc à des moments de transition qui supposent une durée, du passage. La saison : le moment où le « printemps » terrasse l’hiver « du froid hiver la poignante gelée »), ce qui est bien rendu par l’enjambement du v.1 sur le v.2 (+ sonorités gutturales et liquides) + l’inversion syntaxique qui souligne le renversement, le Printemps faisant l’action, l’hiver la subissant. Quant aux lieux, le chevreuil se trouve « hors de son bois » donc l’orée, la lisière encore un passage ; l’heure enfin, « l’aube » cad le passage de la fin de la nuit au début du jour. On pourrait aisément imaginer un tableau.
– A ce mouvement s’ajoute l’inscription dans un grand espace bien traduit par la gradation descendante « sur un mont », « dans une vallée », « près d’une onde » qui souligne la rapidité de l’animal. Le groupe est ternaire mais on peut imaginer toutes les possibilités puis que le chevreuil se dirige, à l’instinct, « où son pied le conduit » (métonymie).
– Enfin le refus de considérer le danger de mort alors qu’il est bien présent, et même se rapproche : « loin de chiens et de bruit » (qui renvoient à une chasse à courre possible), « de rets ne d’arc » qui fait un plan plus rapproché sur certains objets de la chasse, enfin bien sûr le « trait meurtrier » en très gros plan. La gradation est à l’image de la mort et à de la brièveté de la vie.
III) Que veut dire Ronsard ?
A) Le poème galant
– Il s’adresse à Cassandre. L’œil (« un œil ») dont il parle, c’est le sien, et par là même, par le biais de cette métonymie, il la flatte. Il veut donc la séduire en étalant ses qualités de poète capable d’établir d’étonnants rapprochements, de surprenantes analogies qui visent à lui faire la cour. Et faire d’elle sa Muse, son inspiratrice, son égérie.
– Il joue bien sûr sur la fibre pathétique. Il cherche à l’apitoyer sur le sort d’un malheureux animal. C’est sans doute la raison pour laquelle il termine la première partie par une image cruelle « empourpré de son sang » (bilabiales et sifflantes). Par la fameuse flèche déjà évoquée.
– Mais il suggère que c’est pire pour lui puisque c’est « mille traits » qui lui ont été décochés. Il espère ainsi, judicieusement, qu’elle s’apitoiera mille fois plus sur lui que sur ce chevreuil imaginaire. On est bien dans la galanterie, et dans le pétrarquisme qui insiste sur les souffrances de l’amour.
B) Épicurisme renaissant
– Le « printemps » n’est sans doute pas choisi au hasard. Même si les gens de la Renaissance n’appelaient pas leur époque par ce nom, ils avaient sans doute l’impression de vivre dans le renouveau. Cf. Le tableau de Botticelli. Une époque d’optimisme, de découverte du monde, et des plaisirs de la vie et de l’amour.
– L’épicurisme, au sens ordinaire du mot, c’est la volonté de profiter de la vie, de cueillir le jour, c’est le fameux carpe diem. C’est ce suggère ce sonnet adressé à Cassandre pour qu’elle réponde à l’amour que lui porte le poète. Il y a donc un côté intéressé dans ce sonnet qui n’évoque la souffrance que pour que la dame aimée récompense celui qui l’éprouve, et qui est tout à son honneur. La mort prématurée du chevreuil est une incitation indirecte à profiter du moment présent, de la vie.
-Enfin, on notera la gourmandise du chevreuil qui ne sort que « pour mieux brouter la feuille emmiellée » avec un néologisme, et une diérèse qui renvoie à la douceur. Le but est donc certes de se nourrir mais en y prenant du plaisir. Cela renvoie à un certain goût raffiné qui s’affine encore à cette époque par rapport à la rudesse que l’on prête au Moyen Age. Le poème, galant, est bien de tendance épicurienne.
Conclusion :
Vérification réponse à problématique
Jugement sur ce style de poèmes d’amour : ont-ils des chances d’atteindre leur but ?
Élargir aux autres poèmes de Ronsard ou à la poésie lyrique en général.