Un rêve de C.Baudelaire envoyé à C.Asselineau
A la suite de ma lecture de l’Histoire Extraordinaire de Butor, j’ai eu envie de mettre au programme des Première et Terminale l’analyse de la lettre que Baudelaire envoya à son ami Charles Asselineau le 13 mars 1856… Comme souvent, je rédige les cours pour les élèves absents ou pour ceux qui veulent approfondir ce qui a été étudié en classe. Afin de comprendre quoi que ce soit à cette interprétation du rêve de Baudelaire, il vaut mieux se reporter à ce récit de rêve que l’on peut trouver à la page 338 du tome 1 de sa Correspondance, dans l’Edition de La Pléiade ou se procurer d’urgence le petit chef d’oeuvre critique de M.Butor.
Lettre de Baudelaire à Charles Asselineau. Analyse d’un rêve.
Introd : Partir de la définition freudienne du rêve comme expression d’un désir refoulé par l’activité diurne. Accessoirement, le rêve est également le gardien du sommeil. Rappeler que B., dès le début de sa lettre, résiste, non sans mauvaise foi, à un rapprochement éventuel entre le contenu manifeste de son rêve et ses préoccupations habituelles.
Rappeler aussi que B. prétend être un gros rêveur (« mille échantillons des rêves dont je suis assiégé ») mais que c’est le seul qu’il ait jamais noté du moins à notre connaissance (cf : sa correspondance). D’où l’importance de celui-ci. Il rédige son récit de rêve dès le réveil ce qui nous en garantit l’authenticité maximale. Le style de la lettre ne le préoccupe pas beaucoup car B. pensait que cette lettre ne serait jamais publiée. Enfin, il semble avoir confiance en son ami Asselineau (qui s’occupera de la publication posthume de ses oeuvres, notamment des Petits poèmes en prose.).
On peut découper le récit de rêve en trois séquences et dégager en chacune d’elle au moins cinq points à développer : -La première séquence tourne autour du don d’un livre. -La deuxième autour d’un musée médical. -La troisième autour d’un petit monstre.
1) Le don du livre :
– Il ne peut s’agir, puisque nous avons la date du Jeudi 13 Mars 56, que de sa traduction des Histoires extraordinaires d’Edgar Poe, auteur américain dont les thèmes le fascinaient à tel point qu’il le considérait comme son double (décédé) de lui-même outre Atlantique (« J’ai lu, avec épouvante, des phrases pensées par moi mais écrites par lui… »). Si l’on considère que Baudelaire n’a publié, jusque là que des oeuvres mineures (Les Salons sont des commentaires sur l’art de son époque), et que certains de ses poèmes sont dispersés dans des revues, on peut affirmer que cette traduction est son premier vrai livre, digne d e ce nom, celui qui lui fait mettre un pied dans la cour des grands. Les deux pieds s’y retrouveront l’année suivante, en 57, quand il publiera les Fleurs du Mal, son recueil en vers, dont quelques poèmes sont sortis l’année précédente (en 55) en revue. D’où l’identification de Baudelaire à Edgar Poe. Le livre de Baudelaire seul, ne va de toutes façons pas tarder à sortir (57) en même temps que la suite des nouvelles de Poe. L’impatience de B. peut se lire dans le fait d’emprunter une voiture. Il voudrait déjà offrir le livre, preuve concrète qu’il l’a bien publié…
– C’est que, pour B., le fait de publier un livre n’est pas dénué de conséquences même s’il prétend, à son réveil le contraire (en rationalisant alors que le rêve n’est pas logique : il déclare en effet que les rêves sont « absolument étrangers à ses occupations ou aventures passionnelles »). Il a écrit dans ses journaux intimes que « L’écrivain qui corrige sa première épreuve est fier comme un écolier qui vient de gagner sa première vérole ». Il est facile de deviner pourquoi : dans les deux cas, l’individu se sent devenir un homme, un adulte, un être responsable. La maladie venérienne prouve qu’il a réussi à se viriliser…
On peut donc dire que Baudelaire se sent virilisé par cette publication, ce qui explique ce qu’il nomme lui-même dans son rêve « la nécessité d’aller dans une maison de prostitution » pour offrir un livre de lui qui venait de paraître. Sans doute, selon la symbolique freudienne, faut-il également voir dans les pieds qui se chaussent le processus même de cette virilisation.
– On peut pourtant se demander d’où vient ce complexe de virilité. Il faut rappeler qu’une douzaine d’années plus tôt, B, ayant dilapidé la fortune qu’il avait héritée de son père, a été soumis aux décisions d’un conseil de famille tendant à l’empêcher de se ruiner définitivement. Il fut donc mis sous tutelle judiciaire et le tutorat fut assumé par Maître Ancelle, notaire de sa mère, Madame Aupick (car sa mère s’est remariée quelques mois après le décès de son premier mari avec un militaire de carrière, au grand dam du futur poète : « Quand on a un fils tel que moi, on ne se reamarie pas. ») Baudelaire a très mal vécu cet épisode humiliant de sa vie qui tendait à le rendre irresponsable, donc qui le dévirilisait, le faisant redevenir une sorte d’enfant. La publication du livre est plus qu’une virilisation; elle est une revirilisation… On comprend l’importance du pantalon déboutonné dans le rêve. Or, aux yeux de quelle créature féminine a-t-il besoin de se reviriliser par le don d’un livre sinon aux yeux de sa mère? En publiant ce livre, il lui prouve qu’elle a eu tort de ne pas lui faire confiance, que c’est à cause d’elle qu’il a perdu tant de temps puisque la privation de ses biens l’a obligé à vivre dans des conditions matérielles précaires et l’a empêché de produire plus tôt un chef d’oeuvre.
B. a vécu dans la misère. On a des lettres de lui où il parle de ses vêtements et chaussures et qui nous montrent dans quel état de dénuement il a vécu (tout en restant propre et élégant: il est demeuré dandy!). Les pieds nus peuvent ainsi se voir facilement interprétés. D’ailleurs, on a une lettre qui lui est adressée, datée du surlendemain, où il précise qu’il a déposé pour elle, chez Maître Ancelle, un des trois exemplaires qu’il est allé retirer chez son éditeur. On peut s’offusquer de voir B. assimiler sa mère à une tenancière de maison de prostitution. C’est qu’il éprouve à son égard un sentiment ambivalent : d’un côté il lui en veut de s’être remariée aussi vite (et donc de l’avoir trahi), d’un autre côté elle lui paraît respectable puisqu’elle ne fait pas partie des filles. L’usage d’une voiture nous montre combien il est urgent pour lui que sa mère reçoive ce livre. Il eût préféré qu’elle l’eût déjà entre les mains… En tout cas, si le livre le rend célèbre, il pourra s’acheter des chaussures neuves et ne plus marcher dans la boue.
– L’heure : B. insiste bien sur le fait qu’il est deux ou trois heures du matin dans son rêve (alors qu’il est cinq heures en réalité). Or l’une des histoires de Poe traduites par B. et s’intitulant L’Homme des foules (il les a en tête puiqu’il vient de les traduire et de les publier) se passe précisément en ces heures imprécises. Le narrateur, convalescent, ne trouvant plus de chaleur humaine en coeur de ville, suit un vieillard qui l’emmène, sans se savoir suivi, devant le seul lieu encore ouvert à ces heures-là : l’un des temples suburbains de l’intempérance = un lieu de débauche (où sans doute inconsciemment son désir le conduisait). On peut considérer que Castille joue le rôle de l’Homme des Foules qui amène B. sur les lieux de son désir, la maison de prostitution. Pourquoi? Parce qu’il fait partie de ses relations qui, quelques années auparavant l’avaient initié, en l’amenant à des réunions publiques, à un idéal républicain auquel B. a radicalement renoncé par la suite. Durant la révolution de 48, en effet, B a été tenté par les idées républicaines qui le rapprochaient de la foule… (La légende veut qu’il ait tiré des coups de fusil en criant « A Mort Aupick », lequel était alors préfet de la capitale!). Or B a écrit des choses assez curieuses sur la foule comme en témoigne un poème en prose ( Les Foules): « Celui-là qui épouse facilement la foule connaît des jouissances fiévreuses …Ce que les hommes nomment amour est bien petit… comparé à cette ineffable orgie, à cette sainte prostitution de l’âme qui se donne tout entière, poésie et charité, à l’imprévu qui se montre, à l’inconnu qui pense. » Rappelons par ailleurs son intérêt pour Le Peintre de la vie moderne, Constantin Guys, ses Tableaux Parisiens dans les Fleurs du mal et, bien sûr, Le Spleen de Paris (Petits Poèmes en Prose). La foule l’obsède mais évidemment il s’en sent étranger (titre du premier poème des PPP)
La prostitution pour B n’est pas forcément immorale. Il y a en elle une notion de générosité qui rapproche la prostituée du poète. Tous deux épousent la foule. Mais la communion pour l’une se fait par le corps, pour l’autre par l’esprit. Enfin, la fréquentation précoce des prostituées par B. lui a permis d’expérimenter sa théorie des correspondances. Les couleurs, les parfums, les sons (« les bijoux sonores ») font partie des attributs de la féminité. Il a pu s’en rendre compte dans Les Femmes d’Alger peintes par son peintre préféré, Delacroix. Par ailleurs, souvenons-nous de son poème La Muse vénale. Ne signifie-t-elle pas que le poète doit prostituer son inspiration en s’imposant des travaux alimentaires, journalistiques par exemple? Pour subsister. Il ne se nourrit pas que de poésie…
-On notera les scrupules de B par rapport à son indécence. N’est-ce pas sous ce prétexte (l’indécence) qu’Aupick lui interdisait les visites en son appartement de fonction, par crainte du ridicule? Or Aupick vit avec madame, la mère de B…
Plus généralement n’est-ce pas l’oeuvre de Baudelaire qui est indécente (elle sera condamnée pour outrage aux bonnes moeurs). Et aussi celle d’Edgar Poe puisqu’elle montre combien la moralité n’est qu’un vernis superficiel qui cache bien des pensées coupables, des actes de fous, toute la panoplie des perversions… En jouant sur les mots elle montre la vérité toute nue de la mentalité américaine. Il est don aisé de décrypter le premier désir : La revirilisation par le livre.
2) Le Musée Médical : Cette séquence est moins claire que la précédente.
– Il semble qu’emporté par l’élan onirique B ait régressé, dans son rêve, vers ces époques où justement tout espoir lui était encore permis c’est-à-dire avant le conseil judiciaire (après sa majorité), vers sa jeunesse donc. Cela expliquerait pourquoi il se sent intimidé et n’ose aborder une fille… Il redevient collégien (« Lorsqu’un écrivain… il est fier comme un écolier qui vient de gagner sa première vérole… »). Et la maison de prostitution semble se transformer en collège. D’où l’impression de tristesse qui se dégage de la description.
B a en effet très mal vécu ses années de scolarité au pensionnat : sentiment d’abandon, de solitude qui développe par contrecoup l’imagination. Nous serait-il suggéré que « le génie n’est que l’enfance retrouvée douée d’organes virils et de l’esprit analytique? ». Autrement dit qu’on ne devient pas écrivain seulement parce qu’on a écrit un livre mais parce que l’on a du génie, lequel se forme durant l’enfance? Et se fortifie durant les expériences ultérieures, celles de lajeunesse (voyage, aventures amoureuses,fascination pour l’art, Delacroix, Wagner, Poe…).
Le nom que l’on porte a aussi son importance dans la formation de la personnalité d’autant que c’est le nom du père. Peut-être faut-il voir dans l’allusion aux oiseaux, lesquels symbolisent chez B. le Poète (cf. L’albatros), une allusion à ce nom qu’il porte et qui lui va si bien : Baudelaire = Beau de l’air.
-On peut se demander pourquoi la maison de prostitution évoluant en collège se transforme soudain en musée médical puis en violente diatribe contre le Siècle et le Progrès, la diffusion des lumières…
L’association avec le musée vient de ce que nous sommes dans la maison de la mère (puisque B y est entré) laquelle devait contenir pas mal d’objets d’art, notamment ceux du vrai père de B, amateur d’art et peintre lui-même. B. note d’ailleurs dans ses journaux intimes : Mobilier Consulat (c’est à dire Retour d’Egypte : d’où les hiéroglyphes, la géométrie et les oiseaux). Dès son enfance B a été initié par les oeuvres d’art au Beau. Cela peut expliquer qu’il soit devenu critique d’art avant de s’imposer définitivement par ses traductions et ses poèmes. La critique d’art c’est un palier supplémentaire dans le processus de revirilisation mais c’est insuffisant car il ne s’agit que de commenter l’oeuvre des autres, d’exercer son acuité visuelle. Normal dès lors que les oiseaux aient un oeil vivant… Or le journal Le Siècle, qui existait et professait des idées républicaines (c’est-à-dire pro-américaines), avait une rubrique nommée Le Musée littéraire en laquelle B. proposa ses traductions de Poe. Refus du journal qui se faisait une autre idée des valeurs qu’aurait dû prôner un auteur américain. Cela a confirmé B dans son antirépublicanisme et dans son antiaméricanisme.
Cela lui a prouvé aussi que les vrais génies, tel E.Poe, étaient incompris par leur pays et aussi par leur « siècle ». Qu’ils étaient des êtres maudits… L’Amérique est voltairienne : elle vise le progrès, la rentabilité, l’essor de la science, le triomphe de la matière et du pragmatisme. B appelle cela « la morale de comptoir ». Ces valeurs excluent la poésie considérée comme inutile. D’où la bêtise et la sottise appliquée au Siècle. B. considère que le progrès pratique ne suscite aucun progrès moral et que l’oeuvre de Poe nous le prouve. B a écrit des pages féroces sur les conséquences d’une liberté sans limites aux Etats-Unis. Il a pris en outre la défense des indiens, qui sont pour lui les vrais américains, maudits par les européens comme le Poète Poe mais semblables à des dandies dans leur façon d’être et de s’habiller.
-Parmi les crimes américains que dénonce B, il en est un qui l’offusque plus que les autres : c’est la « guérison des maladies de neuf mois » c »est-à-dire l’avortement. Dans le rêve il est question de foetus dont on saura plus tard qu’aucun n’a vécu à part le petit monstre.
Certes la pratique de l’avortement devait être courante dans les maisons de prostitution. Mais chez B ce thème prend ici aussi une résonance particulière. En effet, si l’on ouvre Les Fleurs du Mal, passé le poème Au Lecteur qui se trouve en exergue, on entre de plain-pied dans Spleen et Idéal. Le premier poème assez long s’intitule Bénédiction. Que nous raconte-t-il? Que le Poète est maudit par sa mère dès sa naissance et qu’elle en veut à Dieu d’avoir laissé naître « ce monstre rabougri ». La mère toutefois n’hésite pas à torturer son rejeton : « Et je tordrai si bien cet arbre misérable Qu’il ne pourra pousser ses boutons empestés. » De quels boutons s’agit-il sinon ceux qui désignent métaphoriquement les Poèmes à savoir Les Fleurs (du Mal)? Autrement dit, avec son conseil judiciaire, la mère a essayé d’empêcher son fils de naître à la poésie. C’est comme un avortement symbolique qu’elle a essayé d’opérer. Et comme elle a échoué elle a tenté la castration, la dévirilisation.
Or le Poète a réussi à naître malgré tout : c’est le petit monstre de la 3ème séquence.
-Il est intéressant de noter que B évoque non seulement des oiseaux mais des moitiés d’oiseaux. Or dans sa traduction des Aventures de Gordon Pym, il existe une longue description d’oiseaux auxquels B. prête des propriétés symboliques évidentes : les albatros et les pingouins qui, paraît-il, partageraient leurs nids. Pour l’albatros, pas de problème. Il s’agit du Beau de l’air c’est-à-dire du Poète qui évolue magistralement dans les sphères du pur esprit (cf. Elévation). Mais le pingouin, avec son plumage qui rappelle un habit d’homme élégant, n’est-il pas le Beau à Terre, c’est-à dire l’autre composante du Poète à savoir son dandysme? C’est le dandy des oiseaux. Mais il ne sait pas voler. L’albatros lui, sait voler, mais il ne sait pas marcher. Les deux se complètent dans l’Idéal. L’aérolithe est une autre symbole d’une créature destinée aux cieux mais exilé sur la terre…
-Edifiant enfin de noter que la fin de cette séquence définit à merveille le thème de la réversibilité, déjà présent dans le poème Bénédiction. En effet, dire « ce qui a été fait pour le mal, par une mécanique spirituelle, tourne pour le bien. » n’est-ce pas définir l’objectif même des Fleurs du Mal ? La Beauté produite à parir du mal ? C’est en tout cas le mode de défense qu’adoptera B. lors de son procès. Il est curieux de noter que dans les dernières lignes de sa lettre, B précise à Asselineau qu’il n’y a pas d’adaptation morale à faire de son rêve. Ne l’a-t-il pas faite pourtant quelques lignes plus haut ? C’est que sans doute B ne veut pas qu’on interprète trop intimement son rêve. Il prétend qu’il ne l’a expédié que parce qu’il était plaisant (« drôle »; « vous amusent »…). C’est que B sent bien que son rêve est important, mais il refoule son contenu latent lequel le perturberait au point peut-être de renoncer à écrire.
3) Le Petit Monstre :
-Même un monstre a une mère. Or il est né dans cette maison. Donc la mère y était bien dès le début ce qui confirme notre interprétation. B. parle de « position bizarre et contournée » et réalise qu’il dormait dans la même position que le monstre. Il indique d’ailleurs à quel point une telle position le fait souffrir. N’est-ce pas que le rêve, en tant que gardien du sommeil, s’est cristallisé autour de cette histoire au lieu de laisser son corps se réveiller sous l’effet de la douleur et de l’impatience conjointes? En tout cas cela tend à identifier le petit monstre et le Poète.
-Ce monstre est une oeuvre d’art : sur un piédestal, coloré de rose et de vert, position bizarre et contournée. Or l’art élève l’homme (d’où le piédestal). Le dandy est une oeuvre d’art vivante. Il fait de son corps une oeuvre d’art. Comme la femme (« J’aimais ma mère pour son élégance. J’étais un dandy précoce »). Comme l’indien. Comme Poe. Maudits comme lui. Mais justement, ce qui le distingue du commun des mortels, ce qui lui permet de s’élever au-dessus des autres c’est également ce qui l’embarrasse dans la vie quotidienne, ce qui lui interdit de vivre comme tout le monde. Dans L’albatros ce sont des ailes qui l’empêchent de marcher. Ici c’est son appendice qui lui interdit d’avoir des rapports normaux avec une fille. Serait-ce que génie créateur rimerait avec impuissance? B, syphilitique et privé de commerce avec une femme (il a contaminé Jeanne, dont il parle en fin de lettre), devait se poser la question. (Voir aussi son aventure à Madame Sabatier, qu’il mythifiait, et qui aboutit à un échec).
Dans Le Canard au Ballon, autre conte d’E.Poe, il est question d’une corde qui permet à la montgolfière de s’éléver ou de redescendre. On a là une allusion aux deux composantes du Poète : Sa volonté spirituelle (l’appendice lui part de la tête) de s’élever à l’infini, vers l’Absolu, vers Dieu, l’Idéal, mais aussi son obligation de demeurer parmi ses semblables pour des raisons corporelles évidentes. Nous sommes des créatures finies quoiqu’aspirant à l’infini. D’où le spleen. Donc le petit monstre est à la fois élevé par son statut d’oeuvre d’art et cloué au sol.
– L’appendice, ce peut être donc tout ce qui retient B au sol : le spleen, la maladie, la misère. C’est aussi le danger de mort puisque roulé comme une queue de cheveux cela le renverserait en arrière et lui serait fatal (Nerval s’est pendu l’année précédente, lui-même mourra aphasique et paralysé à cause d’une syphilis contractée… dans une maison de prostitution…). C’est surtout le cordon ombilical qui le faisait dépendre de sa mère et de son notaire-tuteur.
Ce cordon; B croit l’avoir coupé. Il croit qu’il pourra subvenir à ses besoins par lui-même. Voilà pourquoi il ne soupçonne pas qu’il est ce petit monstre, mais aussi pourquoi il s’intéresse à lui, pourquoi il n’est pas effrayé. Pourquoi il trouve son rêve drôle. Dans son essai sur le rire, il définit le Comique comme produit d’une relation de supériorité. Il se sent supérieur à ce qu’il fut. Il ne se sent plus être ce petit monstre.
-Le Rose et le vert : Pourquoi ne pas entendre Prose et Vers. Le rêve transforme jusqu’au mot afin de ruser avec le Moi Conscient. Quant à la couleur orientale, est-elle celle des tableaux de Delacroix ou celle des indiens (Des Nouvelles Indes). En tout cas elles incitent à l’exotisme si prisé par l’auteur du « Voyage ». -Le petit monstre boite, comme l’Albatros symbole du Poète. Face à une femme, ses ailes de géant l’empêchent de marcher…
Conclusion : Votre avis sur cette interprétation. A-t-elle apporté quelque chose à votre connnaissance de Baudelaire? La clé du langage hiéroglyphique dont parle en début de lettre Freud ne nous l’a-t-il pas en partie fournie (le r^ve est l’expression d’un désir refoulé) ? Se reviriliser aux yeux de sa mère, naître à l’écriture malgré tout ce qu’elle a fait pour l’en empêcher, ne plus être ce petit monstre mais un écrivain, partant, un individu responsable…