COURS HUIS CLOS SCÈNE 3
COURS HUIS CLOS SCÈNE 3
Rappel Sartre philosophe, homme d’action et de combat, engagé, Existentialiste athée.
Huis clos, censé se passer en enfer (allégorie). 1 seul acte mais 5 scènes dont la dernière interminable.
Scène 3 : jusqu’à présent nous avons découvert le seul homme du trio infernal, Garcin (discutant avec le Garçon d’hôtel). Dans la scène 2, il est resté tout seul. Nous en sommes donc là la scène 3, où la situation va évoluer avec l’arrivée d’une nouvelle venue, Ines.
Pbématique : En quoi l’arrivée d’Ines va-t-elle modifier pour les spectateurs la situation ?
Plan :
- I) Une nouvelle venue :
- A) Ines :
– Donne immédiatement l’impression de n’être pas commode (silence agacé avec le garçon ; agressivité envers Garcin, sur son tic, réponse sèche sur la politesse, sur « Mademoiselle », sa première réplique insistante et interrogative, quasi inquisitrice : « Je vous demande où est Florence ?»).
– En revanche, témoigne d’une incroyable intuition (que Garcin a peur, et que son tic cache quelque chose ; que « la peur c’était bon avant » et qu’elle ne sert à rien, maintenant qu’ils sont morts).
– Lucide ou réaliste : A tout de suite compris que sa souffrance ce pouvait être « la torture par l’absence » et donc une torture morale, non physique comme le croyait G, pourtant homme de lettres et donc intellectuel rationaliste. De même, ne se fait pas d’illusion sur sa présence en ces lieux ; sait ce qu’elle a fait (« je me suis regardé dans la glace » : sens figuré). Donc personnage réaliste.
- B) Qui oblige Garcin à composer/jouer un rôle
– Devant cette agressivité, cette intuition, cette lucidité qui le dérange et trouble sa réflexion, G ne peut que chercher à composer. Ainsi, il entreprend de la calmer : en se présentant pour dissiper un quiproquo (« Je suis Joseph Garcin, publiciste et homme de lettres ») dont il rend le garçon responsable, atténuant ainsi le comportement d’Ines, ou du moins le justifiant (elle avait une bonne raison : elle le prenait pour « le bourreau »). Son « rire » est censé dédramatiser la situation. Et aussi l’expression « la même enseigne », il est un client de l’enfer comme elle, pas un bourreau.
– Il propose la politesse, avec quelques précautions oratoires (« si je peux me permettre un conseil »), en l’intensifiant au moyen de l’adj « extrême » (hyperbole), mais c’est justement parce qu’il a vite compris qu’Ines n’était pas commode. D’ailleurs il se trahit : « Ce sera notre meilleure défense » ; s’il doit se défendre, c’est qu’il se sent attaqué. On peut considérer qu’il essaie de fuir la réalité de sa situation et cherche une solution magique, irréaliste, à la tension créée par Ines.
-Enfin, il se soumet, lui l’intellectuel, aux décisions de la nouvelle venue : d’une part en mettant sa tête dans les mains pour éviter de la gêner (et donc de se voir attaqué) à cause de son tic ; d’autre part en lui demandant ce qu’est un « bourreau » cad qu’elle a donc spontanément une supériorité sur lui puisque le jugement que l’on peut porter sur lui va dépendre d’elle, uniquement d’elle, et que cela semble lui importer. Donc une situation nouvelle, et semble-t-il inconfortable, pour l’un des deux protagonistes.
- II) Évolution de la situation
- A) Prise de conscience de leur situation
– D’abord, le garçon rappelle, de façon assez amusante, ce que le spectateur sait depuis le début de la pièce : l’absence de « brosse à dents, la sonnette, et le bronze de Barbedienne » (construction ou énumération ternaire). Que dans ce lieu, certaines choses usuelles sont absentes (la brosse), d’autres au contraire, qui paraissent inutiles présentes (le bronze : métonymie), d’autres enfin qui ne fonctionnent pas quand il faudrait (la sonnette « capricieuse »). Mais Ines ne semble pas intéressée, ce qui crée un effet comique, au regard de la déception du garçon (il aime briller devant les clients)
– La question d’Ines sur le « tour dehors », ironique puisque le dehors n’existe pas, permet à Sartre de rappeler que l’enfer, c’est certes le salon d’un hôtel mais surtout une cellule de prison infinie. La réponse de Garcin, « les portes sont verrouillées », outre qu’elle prouve qu’il a vérifié (il se trahit), rappelle le titre de la pièce Huis clos. Ils ne peuvent pas sortir et se livrent un procès à huis clos.
– Enfin, si chacun ne se fait pas la même idée de l’enfer et de la souffrance qu’elle suppose, tous deux sont d’accord pour affirmer que cette souffrance n’a pas commencé, physique ou morale. C’est ce que marque la réplique de G : « Nous n’avons pas commencé de souffrir, mademoiselle ». Pourtant, il s’est vu déjà traiter de bourreau, d’homme qui a peur et est obligé de cacher cette peur aux yeux d’Ines. Pour lui la torture morale a commencé mais il ne s’en est pas rendu compte car il attend la torture physique. L emot de la fin de scène est d’ailleurs : « j’attends », avec l’angoisse que cela suppose.
- B) L’enfer, donc c’est déjà l’autre :
– En effet, l’enfer c’est ne point échapper au regard d’autrui : c’est évident avec l’épisode du tic quand Ines agresse littéralement Garcin en usant d’une comparaison banale : « votre bouche… tourne comme une toupie sous votre nez », preuve qu’elle l’observe et ne veut rien laisser passer. Et comme celui-ci s’excuse, Ines enfonce le clou en associant ce tic à de la peur, accusation humiliante pour G qui veut jouer les courageux (« Je n’ai pas peur »). Sartre veut montrer que le regard d’autrui, si l’on n’est pas clair envers soi-même, peut faire de notre existence un enfer.
– Mais c’est surtout être obligé de se trahir soi-même par rapport au regard d’autrui : c’est net lors de l’entrée en scène du garçon avec Ines (Scène 2). Le spectateur a vu Garcin frapper à la porte et hurler car il se sent prisonnier et que la sonnette ne fonctionne pas. Il a donc peur, de rester seul ou d’une mauvaise surprise. Mais quand le garçon lui demande s’il a appelé, il répond « non » car il ne veut pas donner l’impression qu’il a eu peur aux yeux d’une femme : cf. la didascalie « Garcin va pour répondre mais il jette un coup d’œil à Ines ». C’est donc le regard d’Ines qui l’empêche d’être sincère ou authentique. Il se soumet au regard d’autrui.
– Et enfin de ne pouvoir se composer une physionomie plus flatteuse puisque seul le regard d’autrui permet de savoir quelle apparence on livre aux autres. C’est la raison pour laquelle Sartre insiste sur l’absence de glace/miroir (« C’est assommant, ils ont ôté tout ce qui pouvait ressembler à une glace »). Quiproquo car Ines en parle au sens figuré, Garcin, qui avait déjà usé de ce mot pour apaiser Ines (« la glace est rompue »), l’interprétant, quand il s’agace de son absence, au sens propre du terme. Il ne peut se composer une image flatteuse de lui-même et laisse donc son « visage à l’abandon ».
III) Les idées de Sartre
- A) La mauvaise foi
– Mais Sartre ne traite pas seulement du problème philosophique (et phénoménologique) de ce qu’il appelle l’être pour autrui (sa définition de l’homme). Il traite d’un autre concept qui lui tient à cœur et qu’il nomme mauvaise foi : quand les actes ne correspondent pas aux paroles ni aux prétentions (l’héroïsme). La dénégation de G par rapport à la demande du garçon (« Vous avez appelé ? »), est significative de cette mauvaise foi qui caractérise Garcin puisqu’il a agi d’une manière et voudrait que l’on croit qu’il a agi d’une autre manière (il n’aurait pas appelé).
– Garcin a réellement un problème avec la peur : c’est qu’il veut jouer les héros, les hommes d’action (« publiciste ») et les hommes tout court (par rapport ici à une femme). Or, ses appels Scène 2 témoignent de sa peur, et Ines les a probablement entendus dans le couloir (ce dont elle se moque d’ailleurs, elle est préoccupée par autre chose). Mais Garcin n’en reste pas là : quand on le traite de bourreau, il demande une définition, preuve qu’il veut savoir à quoi il ressemble, et quand Ines répond en parlant de peur, (« Ils ont l’ait d’avoir peur », il prend l’assertion à la rigolade (« C’est trop drôle ») et s’en tire par de l’ironie (« de leurs victimes ?») mais il en est touché puisqu’il se plaint de l’absence de glace. Mais surtout il se trahit à la fin puisque à l’accusation assez grave d’Ines (« le spectacle de votre peur »), il répond par une question : « Vous n’avez pas peur, vous ? » qui prouve que normalement elle devrait avoir peur – comme lui, donc. Ines a donc une emprise sur lui puisqu’elle sait qu’il a peur et peut le torturer avec ça.
– Ines aussi joue un rôle : Car Ines aussi fait preuve de mauvaise foi quand, s’étant trop livrée à propos de ses sentiments pour Florence, elle se contredit (« Florence était une petite sotte et je en la regrette pas » (sonorités occlusives). Or Florence est absente et Ines parle de « torture par l’absence » : c’est bien que Florence lui manque plus (c’est sa « torture ») qu’elle ne veut bien l’avouer. Elle est donc aussi de mauvaise foi puisque son attitude, son empressement, contredit ses paroles. D’ailleurs, quand elle demande si on peut faire « un tour dehors », c’est sans doute car elle espère encore retrouver Florence. La didascalie où l’on nous dit qu’elle « se promène de long en large » s’explique par cette irritation de ne pas la retrouver mais qu’elle intériorise et ne veut pas avouer. Et comme Garcin est seul en scène, elle se défoule sur lui, comme substitut de Florence. Elle est donc elle aussi de mauvaise foi. Sa rectification sur « Madame » montre qu’elle ne veut pas paraître dépendante (alors qu’elle l’est, mais d’une femme).
- B) Autres attitudes dénoncées
-Évidemment la lâcheté de G qui essaie de contourner systématiquement la situation au lieu de l’affronter. C’est assez net quand il accuse le garçon, qui n’est plus là pour se défendre, d’être responsable de l’agressivité d’Ines. Ou quand il se réfugie entre ses deux mains, pratiquant ainsi la politique de l’autruche (ou de « l’autruiche »). Pour ne pas être saisi en flagrant délit d’abandon cad de peur.
– Sartre en profite pour illustrer un autre de ses concepts fondamentaux : ce qu’il appelle « le bourreau ». Pour lui, le bourreau est moins celui qui fait peur que celui qui défoule son angoisse, son mal-être, ses contradictions (sa faiblesse, sa dépendance, à ne surtout pas montrer) sur plus faible que lui. C’est ce qu’a été Ines pour Florence et Garcin pour sa femme. Ici Ines l’a pris pour le bourreau et cela permet à Sartre d’énoncer un paradoxe (« Ils ont l’air d’avoir peur »). Ines va vite devenir le sien.
– Enfin, on remarquera que Garcin n’assume pas ce qu’il été de son vivant du point de vue de ses actes : bourreau certes mais surtout lâche et déserteur. Qu’il a craqué le jour de son exécution inattendue (sinon il n’aurait pas fui). Or G, au lieu de résumer ce qu’il a été préfère se présenter selon une image sociale plutôt flatteuse (« publiciste et homme de lettres ») en homme d’action et intellectuel, cad un homme qui a mis en conformité ses actions et sa réflexion. Bien sûr, il n’en est rien (Toujours la mauvaise foi). Mais le plus important, c’est qu’en se représentant ainsi, G veut se présenter, Ines et dans l’esprit de Sartre au spectateur (double énonciation) comme un homme important. Or pour Sartre nul n’est important puisque « l’existence est une pure contingence » (non nécessaire), un pur hasard. Cela permet à Sartre d’illustrer deux de ses idées. D’abord Celui qui se croit important est un « salaud », selon lui. Et la deuxième, il fait preuve d’irréalisme : il se croit toujours vivant et s’imagine qu’en enfer les fonctions sociales sont toujours importantes. Sartre nomme cet irréalisme : fuite dans l’imaginaire.
Conclusion : à mettre en rapport avec la suite. Le bourreau c’est chacun de nous pour les deux autres et bien sûr L’enfer, c’est les autres. Donc la découverte progressive de cet enfer allégorique. Votre point de vue sur ce style de pièce à thèse où il faut tout interpréter au second degré. Sur les idées de Sartre enfin.