L’ETRANGER 4 :  De « Lui parti, » à la fin. Excipit.

Introduction : Camus, romancier, dramaturge et philosophe (Le  mythe d e Sisyphe) de l’absurde. Né en Algérie où il a vécu, à l’époque où celle-ci était dite « française ». Rappel des deux parties de L’Etranger l’une qui va jusqu’au meurtre de l’algérien (de antihéros à victime du destin/soleil/monde) l’autre qui voit Meursault demeurer en prison et se voir condamné à mort lors d’un procès mémorable (de victime de la société à héros réconcilié avec le monde) . Situation de l’extrait dans le livre. Rappel de la visite de l’aumônier contre lequel Meursault s’est  révolté, et qui indique qu’il vit ses derniers instants, sa dernière nuit.  Reprise de la question proposée. (Par ex, comment se termine le roman ou comment interpréter cet excipit ?).  Annonce d’un plan.

  1. En quoi peut-on parler de mort heureuse ?
  2. Alors que la situation ne s’y prête pas, allusion à des sensations agréables.

Par exemple des sensations auditives quand Camus écrit « Des bruits de campagne montaient jusqu’à moi ». Toujours en usant de ce style assez  haché  et neutre, simple qui caractérise l’écriture de Camus dans ce livre. Ainsi semble-t-il y avoir osmose, réconciliation entre l’homme et le monde (auparavant le soleil l’avait poussé au crime). On a l’impression que le monde lui dit au revoir.

 

On a même une correspondance (relation), établie entre le tactile et l’olfactif (odorat) quand Meursault déclare : « Des odeurs de nuit, de terre et de sel rafraîchissaient mes tempes ». On notera l’emploi d’un groupe ternaire olfactif qui fait un peu lyrique (inspiré, comme un poète. Il s’était échauffé (énervé) avec l’aumônier), suivi du tactile avec le verbe « rafraîchissaient ». Cela change évidemment de la chaleur et du soleil.

 

Une autre image, plus abstraite mais positive clôt cette énumération de sensations : « La merveilleuse paix de cet été endormi entrait en moi comme une marée ». D’abord on notera l’utilisation d’un adjectif valorisant suivi d’un nom qui ne l’est pas moins. Ensuite la personnification de la saison (« été endormi »), enfin la comparaison finale dont la référence est empruntée à la nature et donc au monde extérieur, dont Meursault prétend ici qu’il pénètre le monde intérieur, de son être. Peut-être y a-t-il des allitérations douces en m (nasales) . C’est que l’homme et le monde font partie du même univers. C’est bien sûr le mot « paix » qui est important car il montre un Meursault résigné à sa mort prochaine. Lucide.

 

  1. B) Une certaine sérénité :

Dès le début du texte M. insiste sur son retour au calme. Il est assez rare en effet de le voir sortir de ses gonds. Évidemment, il dort « Je crois que j’ai dormi  parce que je me suis réveillé», comme on l’a vu faire tout au long du roman, le sommeil après tout pouvant être considéré comme un des plaisirs de la vie.  Il précise avoir « retrouvé le calme » ce qui suppose qu’il l’avait perdu. Et c’est cet effort inhabituel pour lui qui explique pourquoi il se sent « épuisé » et s’est « jeté sur la couchette » (allusion à son cadre de vie carcérale)

Ce calme succède à la colère contre le religieux qui lui promet une autre vie. C’est lui qui explique le calme perdu et donc retrouvé. Il signifie évidemment la religion comme recours à la foi en tant qu’échappatoire à la mort. M. y fait une première allusion au début de l’extrait avec une tournure participiale (« Lui parti », ce qui signifie quand l’aumônier fut parti), puis une nouvelle allusion vers la fin de l’extrait en usant d’une comparaison hypothétique : « comme si cette grande colère m’avait purgé du mal, vidé d’espoir… ». En effet si M.  avait de l’espoir dans une autre vie il ne saurait plus apprécier cette vie. M, c’est l’anti Pascal. Et il y est attaché comme on va le voir. Mais il sait qu’il faut bien la quitter un jour. Tout a une fin.

 

En effet M. évoque, paradoxalement, son bonheur d’avoir existé, d’avoir été au monde : « J’ai senti que j’avais été heureux et que je l’étais encore ». La phrase repose sur une binarité passé/présent. Le plus que parfait rappelle sa vie passée, l’imparfait son état dans la prison. M. sait qu’il faut apprécier tous les moments de bonheur que nous offre la vie car nous n’avons qu’elle comme certitude.  Même s’il s’agit de quelques impressions agréables, auxquelles nous ne faisons pas attention dans la vie courante mais auxquelles nous nous attachons quand nous savons que nous allons la perdre. C’est ainsi que l’on peut parler de « mort heureuse », titre de la 1ère version de ce roman (quans M se nommait encore Mersault). M. ne demande à la vie que ce qu’elle peut nous donner.

 

  1. II) Pourquoi terminer ainsi. Morale de ce roman ?

 

  1. A) Conception du monde selon Meursault ?

 

On le comprend d’après le texte : M . évoque essentiellement la nature dans sa pleine et entière majesté, comme disait Pascal. Il suffit de noter les allusions cosmiques, aux étoiles surtout, à la terre, à la campagne pour s’en persuader. C’est que ces éléments continueront à vivre après que M. aura disparu. Ils ont donc en apparence une supériorité sur lui mais la différence tient à ce qu’ils ne le savent pas.  L’homme, quant à lui, sait qu’il est plus faible, qu’il est mortel et il en souffre. Camus veut nous aider à accepter notre condition. Nous ne sommes qu’un élément parmi d’autres, certes pensant, et nous révoltant contre notre sort alors qu’il faut admettre que l’absurdité de la vie nous permet justement de profiter d’elle, ce que ne peuvent faire les êtres non-pensants. Les étoiles « sur le visage » éclairent ce dernier d’une douceur qui est comme un adieu ou une réconciliation (homme/monde).

 

Parmi les éléments du monde extérieur, M. insiste sur la nuit. Les « odeurs de nuit, à la limite de la nuit, cet été endormi, des étoiles… » C’est que M. vit sa dernière (nuit) et qu’elle préfigure celle en laquelle il va entrer définitivement : la nuit éternelle Mais surtout, la nuit soulage de la rigueur du soleil. Elle st donc soulagement, calme, apaisement. Le monde au fond est bien fait. Il alterne des moments difficiles, torrides, qui font mieux apprécier les moments rafraîchissants comme la nuit.

Enfin on notera l’importance du moment qui précède la nuit et qui est le soir. Désigné notamment par l’allusion temporelle et auditive «A  la limite de la nuit… ». M. s’en sert pour évoquer « la fin d’une vie » celle  de  sa mère (au soir de sa vie). Il parle à ce sujet (du « soir ») de  « trêve mélancolique ». Le mot « trêve » présuppose que la vie fut jusqu’à lors une lutte, une guerre de tous les instants. Ce sont en effet les derniers instants durant  lesquels profiter de la vie avant le grand départ. Il y a de l’épicurisme dans cette conception.

 

  1. B) Comment interpréter la phrase finale ?

 

D‘abord on notera qu’elle est plus longue que les phrases habituellement pensées (ou rédigées dans cette sorte de journal) par M. C’est dire son importance. Elle démarre sur deux subordonnées de but « pour que » x 2) dont la première semble parodier la fameuse phrase prononcée par le Christ lors de sa mort « Tout est consommé ». La société a besoin en effet de bouc-émissaires, de victimes expiatoires pour retrouver sa cohésion, ou pour la maintenir. On notera le contraste entre le début de cette phrase où M se présente comme un solitaire (« pour que je me sente moins seul », et sa fin où, au contraire, il souhaite le plus grand nombre (« beaucoup de spectateurs »).

 

Le souhait du nombre de spectateurs : il peut s’expliquer par ce que dit M. à savoir : « pour (qu’il se) sente moins seul » parce que l’on meurt toujours seul et que ce n’est pas une épreuve facile « à vivre ».  Mais c’est peut-être aussi car il espère que son exemple va inciter les spectateurs, qui vont voir un être quitter ainsi prématurément ce monde, à profiter de la vie et de ses beautés, puisque rappelons-le, dans son esprit nous sommes tous condamnés. Ainsi son exemple servira-t-il à quelque chose. Il y a une sorte de messianisme athée dans l’attitude que lui fait jouer Camus  (il serait un Christ sacrifié au nom d’une idée mais sans faire intervenir l’existence de Dieu). Son exemple rappelle que nous sommes tous à plus ou moins longue échéance condamnés à mort et que le temps nous est compté.

 

Enfin le souhait des cris de haine : sans doute la mort est elle plus facile à accepter pour que M. ne craque pas au dernier moment, s’il se sent différent, étranger aux commun des mortels. Et puis cette haine est absurde car M. ne la mérite pas, et donc cette absurdité couronnerait bien l’absurdité de la vie à laquelle la mort donne tout son sens (puisque elle nous incite à en profiter).

 

III) La conception de Camus dans cet extrait : Elle peut se lire entre autres dans son allusion à sa mère, au monde et à son exécution.

  1. A) La réconciliation avec la mère :

 

Il est assez significatif que M. pense  à sa mère juste avant de mourir : Il le dit, après un connecteur temporel (« Pour la première fois depuis bien longtemps, ») : « j’ai pensé à maman ». La longueur de la première partie de la phrase (protase) par rapport à la concision de la seconde (apodose) s’explique par le contraste (durée de l’oubli/fugacité de la pensée). Grâce à elle (sa mère), il a pu naître et vivre, à cause d’elle, il doit mourir. Mais pour M., condamnés à la sentence suprême ou vieux (à l’asile « où des vies s‘éteignaient », notez l’euphémisme et sa métaphore),  nous sommes tous condamnés. Il l’a dit à l’aumônier. Sa mère l’avait sans doute compris. Du coup, elle se sentait paradoxalement libérée. M. le dit clairement en modalisant son énoncé (le nuançant : « semblait ») : « Si près de la mort, maman devait s’y sentir libérée… ».  Paradoxalement la mort libère car elle nous incite à profiter du présent. C’est ce qu’elle a fait en prenant la vie comme un jeu gratuit : « Il m’a semblé que je comprenais pourquoi à la fin d’une vie… » . Le Mot « fiancé » pour petit vieux, est mis en italiques par gentille ou affectueuse ironie. (+ mot repris au concierge d e l’asile, polyphonie énonciative)

 

Cela lui permet de su justifier à propos de son absence de sentiments. N’oublions pas que M. est condamné entre autres pour ne pas avoir pleuré à l’enterrement de sa mère. Et justement il affirme avec insistance : « Personne, personne n’avait le droit de pleurer sur elle ».  C’est que la mort fait partie de la vie, et que justement elle lui donne sens. Grâce à la mort on apprécie la vie. Pleurer c’est agir en égoïste et ne pas accepter le monde tel qu’il est, la nature des choses.

 

Enfin M. établit en parallèle entre les derniers sentiments paradoxaux qu’il prête à sa mère, « prête à tout revivre », et les siens : « Et moi aussi je me suis senti prêt à tout revivre ». On notera la répétition du verbe. M est quelqu’un qui aura aimé sa vie,  même si elle nous paraît morne, car il n’y a pas, selon lui, autre chose à aimer…

 

  1. B) L’indifférence du monde :

 

En fait M. se rend compte que le monde extérieur continuera à exister sans lui. C’est ainsi qu’il évoque les sirènes des bateaux et les départs (valeur symbolique, ceux qui recommencent). Toujours avec ces connecteurs temporels qui scandent le temps qu’il lui reste à vivre : « A ce moment-là », et interrompent le silence ou le calme. Comme si c’était fait exprès (d’où le fait plus bas de parler de « signes », de nuit chargée de signes).  Il s’y dit indifférent (« un monde qui m’était à tout jamais indifférent »), dans la mesure où il est résigné à son sort. Dans leur globalité, les hommes ont compris qu’il faut continuer, aller de l’avant, toujours recommencer (comme Sisyphe). D’où leurs activités quotidiennes dont certaines procurent le confort matériel, ou font avancer les choses. C’est sur le plan individuel qu’ils ont du mal à accepter leur sort car il est dur de quitter ce que l’on a longuement acquis. Cela rend ses efforts absurdes…

 

Mais un peu plus loin il précise qu’il « s’ouvrai(t) à la tendre indifférence du monde ». On notera l’emploi d’un oxymoron pour souligner la contradiction. M. veut dire par là qu’il rejoint le monde justement dans cette indifférence qu’il a à le quitter parce que c’est dans le cours naturel des choses que de mourir un jour, de même que le monde est indifférent à tous ces morts quotidiens qu’il remplace par de  nouveaux partants. Du coup, il dit le ressentir comme « fraternel ». On a donc bien réconciliation de l’homme et du monde dans leur indifférence commune. Le monde qui n’a pas de sentiment ; M. qui refuse d’en éprouver. Les deux ont trouvé un trait d’union dans leur indifférence commune.

 

Ce qui les rapproche aussi c’est l’absurdité que la conscience de l’homme, mortel, met dans ce monde, qui lui  est immortel. Si l’homme ne pensait pas, il ne souffrirait pas de quitter cette vie.  Or la mort supprime la pensée et du coup nous réconcilie avec le monde. M. est lucide sur la condition de l’homme, sa place dans le monde.

 

Conclusion : Ce que vous pensez de cette fin de roman et du livre en général, notamment des idées sur l’homme et le monde, sur l’absurde et la révolte que Camus a voulu y faire passer. Comparaison avec Kamel Daoud ou avec d’autres livres de Camus.

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