MAI : GUILLAUME APOLLINAIRE
MAI : GUILLAUME APOLLINAIRE
Introd : Biographie de l’auteur notamment par rapport aux femmes aimées et en particulier la première Annie Playden, gouvernante anglaise rencontrée en Rhénanie.
Recueil Alcools, épousant l’esprit nouveau du XXème siècle, et contenant les « Rhénanes».
Mai : 2 quatrains, suivis d’un quintil puis d’un dernier quatrain en alexandrins, sans ponctuation, évoquant un paysage rhénan perçu à partir d’une promenade en barque.
Problématique : Cette promenade rhénane n’est-elle pour le poète qu’une occasion de se souvenir ?
Plan :
- I) Évocation d’un paysage perçu d’une barque :
- A) La Nature rhénane
– Tout d’abord, on notera de nombreuses références à la nature, végétales essentiellement, sous la forme d’arbres (les « saules » que l’on suppose pleureurs, fin premier quatrain ; les arbres fruitiers du second avec l’allusion à « des vergers » v.5, et aux « cerisiers » au v.6. Mais aussi aux vignes, dans le quintil, dans le dernier quatrain sous forme de « vigne vierge », v.12 puis en rime finale de la chute : « fleurs nues des vignes »; enfin, dans le v.15 l’énumération ternaire sur les plantes grimpantes, outre la vigne vierge, le « lierre » et les « rosiers », allitérations en liquides et spirantes. Il faut ajouter les plantes aquatiques avec l’allusion aux « roseaux ». Les substantifs « pétales » x2 et « fleurs nues » peuvent être rattachés à ce champ lexical important.
– Mais cette nature est associée au printemps, en particulier au mois représentatif du printemps le mois de « mai », célébré dès le premier vers (« Le mai le joli mai »), repris dans le dernier quatrain (v.14), et que l’on retrouve de temps à autre à l’intérieur du poème (« les cerisiers de mai »). Du coup l’allusion aux « cerisiers » s’explique par le choix du printemps avec toutes les images de renouveau, d’espérance, de renaissance, qui s’associent à lui. C’est sans doute pour cette raison que le poète s’enthousiasme devant cette nature. Il ne choisit pas n’importe quel jour. Le jour choisi incarne et résume le mois de mai en tant qu’il est « joli » (adj. valorisant). Le mot « mai » illustre ainsi, de manière métonymique ou elliptique, ce qu’il sous-entend de nature enthousiasmante, et fleurie (« les vergers fleuris » au v.5, « les pétales » v.6).
– A cette Nature essentiellement végétale, et donc quelque peu statique, le Poète ajoute une dimension animale voire humaine d’un côté, minérale de l’autre. Les animaux sont énumérés dans le quintil : « un ours un singe un chien » (groupe ternaire) au v.10 puis « un âne » v.11. Il ne s’agit pas d’animaux typiquement rhénans, il s’en faut, d’où leur étrangeté dans ce contexte. Ils sont placés en gradation, du plus sauvage au plus domestique, notamment l’âne qui travaille pour l’homme (ils sont « menés » par les « tziganes ». On peut y inclure la présence humaine des « dames » du v. 2 qui sont aussi « jolies » que le printemps (donc bien en accord avec lui), et les « tziganes » , accompagnés de leur traditionnelle « roulotte », qui avancent et apportent une impression de mouvement souhaité par le poète. A l’inverse, il est question de « ruines », avec une jolie diérèse au v.14, qui ajoutent une dimension pittoresque à ce véritable tableau vivant, pour ne pas dire ce court film, proposé par Apollinaire.
- B) (Perçue du point de vue de) La barque sur le Rhin
– Le mot barque apparaît deux fois dans le texte : dès le début dans le premier vers, elliptique du verbe, et exclamatif, et au v.3., où l’on sait qu’elle « s’éloigne », ce qui prouve l’impression de mouvement. C’est parce qu’il est dans la barque que le Poète peut saisir ce paysage en mouvement, car en fait c’est lui qui avance. Une seule occurrence de la première personne, au v.7, (« j’ai tant aimée ») signale sa présence. Cela explique la contre-plongée : « le haut de la montagne » au v.2, les « dames » et le jeu supposé des regards (il voit qu’elles le voient : « des dames regardaient»). Cela permet aussi de vérifier que c’est bien le Poète qui trouve le mois de mai « joli », quand il le perçoit depuis sa barque en mouvement.
– Car nous sommes sur le fleuve-Rhin, en Allemagne. Nous savons qu’il s’agit du Rhin car le poète ne se prive pas de s’y référer : dès la fin du premier vers en recourant au nom propre : « sur le Rhin », dans le dernier quatrain : « Le vent du Rhin », et il se permet sans doute un subtil jeu de mots avec « riverains ». Et puis, on relève la présence de l’adjectif éponyme « rhénanes » au v. 12. Le « fleuve » du v.9 rappelle son importance. Et il faudrait sous-entendre, « du Rhin » un peu partout (Ex : « les vignes… du bord du Rhin »…). Or un fleuve comme le Rhin avance vers son embouchure. Ce qui explique l’impression de mouvement qui caractérise le paysage en ce poème.
– Du coup la construction quelque peu irrégulière de ce texte se justifie pleinement. En effet le premier quatrain évoque encore un paysage de relief (« montagne»), où le courant est encore rapide, ce qui explique que « la barque s’éloigne » trop vite pour qu’il puisse s’arrêter ou contempler les jolies dames. Ou que les « vergers fleuris » se retrouvent « en arrière » par rapport à la barque, laquelle a dû passer devant eux auparavant, dans le 2ème quatrain. En revanche le rythme se ralentit nettement dans le quintil, ce que précise l’adverbe « lentement » (v ;9) et le dédoublement des rimes riches « tziganes, âne, rhénanes » qui donnent l’impression de rallonger le vers. Le verbe « traîner » aussi suppose la durée. Et puis le quintil suppose un vers de plus… On est sans doute dans un endroit plus plat ce qui permet d’évoquer les vignes qui semblent s’étendre à l’horizon (« s’éloignaient » au v.12, « lointain au v.13, avec inversion syntaxique pour effet sonore de surprise). Le rythme redevient vif dans le dernier quatrain, peut-être sous l’effet du « vent ». Les ruines sont souvent sur des hauteurs… Donc un paysage très riche et animé perçu par un poète en promenade et qui l’observe du point de vue de sa barque.
- II) Des sensations mais aussi des sentiments.
- A) Des sensations
– Le sens visuel est, on l’a vu, dominant même si les évocations sont très rapides. Rien n’est dit de précis, par ex, sur les animaux. Tout demeure dans le vague ; Les dames paraissent « jolies » mais de loin. Ce seraient plutôt les robes qui paraîtraient telles, ce qui les assimilerait de loin à des fleurs printanières. La personnification (« pleuraient ») des « saules » nous fait comprendre qu’il s’agit de saules pleureurs, très présents effectivement sur les bords de fleuves. De même, on a presque l’impression que le mois de mai exerce une action concertée, humaine, « a paré », sur les ruines. v.14. Le verbe « secoue » est également très visuel et peut faire penser à une personnification. On a droit aussi à deux participes à propos des « pétales » : « tombés et « flétris ». Le visuel est ainsi omniprésent. Mais rapidement évoqué.
– Mais le sens auditif est également présent notamment dans les deux deniers vers du quintil : 12 et 13, avec «un air de régiment » qui renvoie par métonymie à la guerre toujours possible entre deux peuples limitrophes. La structure de la phrase est inversée cad que l’on découvre très progressivement cet air qui inversement, pour l’ouïe du poète, s’éloigne. C’est l’instrument le plus aigu que l’on retient sous la forme, entraînante, du « fifre ». Il semble faire oublier les pleurs du saule.
– Enfin l’allusion au vent apporte une dimension certes sonore (allitérations très nettes en sifflantes à la fin SZ), mais surtout tactile au texte. Le verbe « secoue » montre qu’il ne s’agit pas d’une légère brise ; dans tous les cas, le poète laisse ses sens en éveil, mais c’est parce que ceux-ci sont les plus sûrs moyens d’accéder ensuite aux sentiments, ce qui explique les personnifications.
- B) Des sentiments :
– Le début est très nettement marqué par la joie de vivre une jolie journée printanière. L’euphorie. D’où son caractère exclamatif au point d’en oublier la syntaxe usuelle et de laisser parler son sursaut d’enthousiasme : « Le mai le joli mai en barque sur le Rhin ». La phrase est nominale à tel point qu’elle peut créer des ambiguïtés sémantiques (on croirait que le mai est la barque !). Le rythme est régulier 2424 dans les deux premiers vers. On se demande même si le Poète n’envisage pas une aventure possible avec les jolies dames de la montagne pour lesquelles il laisse également parler son cœur : « Vous êtes si jolies » (adverbe d’intensité, valorisant). Le présent se mêle au passé dans le présent de l’écriture.
– Mais, on repère en milieu de vers la conjonction adversative « mais » (qui reprend ironiquement joli mai/jolies mais) qui fait basculer dans la tristesse puisqu’apparaissent des mots comme « pleurer », le passé composé sur « j’ai tant aimée » et des participes dysphoriques comme « tombés » et « flétris ». Le poème s’assombrit et verse dans la tristesse. On comprend que la vision des saules pleureurs a réveillé de mauvais souvenirs, et que les « vergers fleuris » qui renvoyaient à des bons, ont laissé place à des visions quasi automnales – la fin probable d’une histoire d’amour.
– Toutefois, la distraction apportée par les images du quintil fait place à un apaisement, un oubli temporaire. D’autant que l’air de régiment semble ramener de la vivacité. Le début du dernier quatrain semble renouer avec la situation initiale. Mais l’allusion aux « fleurs nues » des vignes secouées par le vent laisse planer un doute. La tristesse peut revenir à tout moment. Les sons vocaliques de la chute sont d’ailleurs aiguës (i, u).
III) Interprétation
- A) Responsable de la douleur
– Plane sur l’ensemble du texte l’ombre du souvenir d’une femme. Son nom ne nous est pas révélé et elle est désignée par une périphrase : « celle que j’ai tant aimée », ce qui suppose une histoire d’amour accomplie, donc terminée. En fait, la vision des dames a aussi entraîné le souvenir de cette dame absente, avec qui le poète a probablement fait des promenades sur le Rhin. Époque où tous les espoirs étaient permis, époque du bonheur paradisiaque lié à la naissance de l’amour (le printemps, et les « vergers fleuris »).
– Malheureusement il y a dû y avoir des désaccords et déchirements ou ruptures puisque les « pétales tombés » (sonorités dures) sont métaphoriquement associés à des « ongles » (v. 6 et avec enjambement pour effet de surprise), avec lesquels on peut se déchirer, ou par comparaison à des « paupières », qui ne le regardent plus. Bien sûr, la double image est justifiée par des associations de forme et de couleur (rose, violet, pli de la peau).
– En tout cas, c’est le souvenir insistant de cette femme qui explique l’attention particulière accordée aux « saules » et l’interrogation qu’ils suscitent : « Qui donc a fait pleurer les saules riverains ». Il y a donc une responsable, et cette responsable est la jeune femme aimée, mais qui manifestement n’aime plus. Le paysage est donc perçu non seulement par les sens mais par l’état d’âme du poète, en osmose avec la Nature.
- B) La fuite du temps :
– Le temps est à la fois facteur de tristesse, puisque l’on ne peut l’arrêter, et d’oubli ; le Rhin symbolise la fuite du temps. Du coup, le poète est « embarqué » comme le dit Pascal et ne peut profiter des opportunités (les « dames », mot à connotation médiévale). On le sent à la barque qui s’éloigne, l’air de régiment aussi (et peut-être le conflit entre les deux amants), le vent du Rhin qui voudrait balayer tout cela… La gradation « fleuris-tombés-flétris » montre remarquablement l’effet du temps qui passe (cf. Le pont Mirabeau dans lequel la joie venait toujours après la peine). Le cortège des tziganes suit le même itinéraire (« Sur le chemin ») que le poète (on le remonte de l’arrière à l’avant, les animaux, les hommes, la roulette et l’âne qui la traîne), en parallèle donc. Mais en plus lent (rythme 444 trimètre). Les tziganes incarnent évidemment la liberté d’aller sans fin d’un lieu à un autre. Ils ne sont pas en représentation mais en marche. Le Poète, lui semble prisonnier, sur le fleuve qui l’emporte.
– Toutefois s’il existe un temps linéaire symbolisé par le cours du fleuve il en est également un cyclique. C’est celui du printemps qui revient tous les ans et symbolise l’éternel retour des choses. Qui fait mûrir les fruits que l’on cueillera en automne comme ses raisins avec le quel on fabriquera du vin et donc de ces alcools (titre du recueil) qui font oublier. Et l’obligation quotidienne des tziganes à changer de lieu (il doit s’agir de saltimbanques).
– Enfin il y a le temps du souvenir, évoqué par l’allusion aux « ruines ». Un temps mental expliquant la confusion des temps verbaux (Pst, passé) et en particulier le passage des vergers fleuris (qui « se figeaient en arrière » (allitérations spirantes) aux pétales tombés puis flétris.
Conclusion : Vérif répons à la question posée. Les Rhénanes dans Alcools, plus audacieux.