Don Juan aux enfers
DON JUAN AUX ENFERS Baudelaire.
Dom Juan aux Enfers se trouve dans la première partie des Fleurs du Mal, Spleen et Idéal ; c’est le XVème poème. Plus précisément, alors que Baudelaire traite de la condition de l’artiste et de sa misère, il imagine le châtiment réservé au simple mortel coupable d’avoir défié Dieu, et ayant péché par excès d’orgueil. Il a voulu en effet s’élever au-dessus de ses semblables. Baudelaire mêle un décor emprunté à l’Antiquité païenne à un personnage du XVIIème, interprété du point de vue d’un homme du XIXème dans lequel lui-même vit. L’anachronisme est volontaire et on en trouve des équivalents chez Delacroix (Dante et Virgile aux enfers). Le poème est formé de cinq quatrains en alexandrins. Il a été publié pour la première fois à une époque, 1846, où Baudelaire subissait le contrecoup de ses frasques de jeunesse et de sa prodigalité antérieure (il a tout dépensé des l’héritage paternel) ce qui ne l’empêchait pas de soigner sa toilette et ses vêtements. Il y a de l’attitude noble et fière du dandy dans ce poème allégorique en lequel le héros semble totalement indifférent au scandale qu’il a provoqué (par sa vie dissolue, vouée à la Beauté), ou à la foule des êtres qui s’agitent autour de lui.
Problématique : Quelle vision Baudelaire nous propose-t-il de ce personnage manifestement symbolique pour lui ?
Plan :
I) – Contexte de ce tableau
A) Le décor surnaturel et antique:
– D’abord la scène est censée se passer aux enfers païens et donc antiques. On y retrouve tous les éléments connus : Charon et l’ « obole » à lui donner, le Styx, « onde souterraine » et « les morts errants sur les rivages ». On est donc forcément dans le surnaturel ou dans l’allégorie puisque Dom Juan est saisi après sa mort. C’est une vision de l’au-delà imaginaire. Ce genre fantastique se remarque dans les allusions antiques au nautonier Charon, au rite du passage (cf. v2 : son obole), à l’onde souterraine qui est une périphrase qui évoque le Styx (rivière qui entoure les Enfers). Un peu plus bas (vers 11) il est fait allusion aux « morts errants sur les rivages » (vision correspondant aux descriptions antiques des enfers). On remarque des allitérations en r traduisant soit l’effroi, soit l’impression que ces sortes de fantômes glissent sur le sol. Notons aussi l’emploi de consonnes entravées par un r ou un l : « montrait », « tremblant », « front blanc » qui renvoient sûrement à la colère de Dom Luis. On a enfin un dernier élément surnaturel au vers 17 avec l’allusion au « grand homme de pierre ». La périphrase désigne la statue du commandeur en le montrant plus majestueux et imposant encore (sa taille contraste avec celle du héros, simple humain « courbé », tel un homme vaincu par le Dieu qu’il a provoqué). L’expression « Homme de pierre » est d’ailleurs formée de mots quelque peu contradictoires (alliance de mots : oxymoron).
– La scène se passe essentiellement sur une barque, c’est-à-dire un espace fermé et limité. Les allusions à cette barque se trouvent dans le premier et le dernier quatrain. Ce sont les deux strophes où interviennent les seuls personnages que Don Juan n’est pas parvenu à séduire : le mendiant et bien sûr, l’incarnation du châtiment : la statue. Au vers 4, il est en effet question de « chaque aviron » que le mendiant manipule fermement comme s’il était pressé d’amener Dom Juan devant ses juges infernaux. C’est lui qui fait avancer la barque. En revanche, c’est la statue qui la dirige puisqu’elle se tient « à la barre », s’acquittant ainsi de sa mission.
– L’atmosphère assez sombre voire nocturne. Il faut se souvenir que, pour ce poème très descriptif, Baudelaire s’inspire probablement de son idole en peinture Eugène Delacroix. Notamment de « La barque de Dante » et du « Naufrage de Dom Juan ». Par ailleurs, le fait de reléguer le personnage principal dans les deux derniers vers rappelle l’art de la composition de Delacroix tel qu’il apparaît dans « La Mort de Sardanapale »(cet autre débauché mésopotamien. Sganarelle traite d’ailleurs son maître de « vrai Sardanapale », chez Molière), dont le protagoniste se voit confiné dans le coin gauche du haut du tableau, toutes les merveilles terrestres qu’il quitte occupant le premier plan mais n’existant que par rapport à lui. Les deux premiers tableaux nous plongent dans la pénombre infernale. L’atmosphère est donc sombre puisque dès le premier vers, nous sommes prévenus, par le mot placé à la rime qu’elle concerne un univers supposé se trouver sous terre (« souterraine » + sonorités sombres « ou » et « on »). En ces lieux où n’accède pas la lumière, le noir est dominant. Dès le vers 6 est évoqué « le noir firmament », puis au vers 18 « le flot noir », le premier se reflétant dans le second. Ce noir se fait vêtement de deuil sur le corps d’Elvire : « frissonnant sous son deuil » (métonymie) et prend une tournure morale chez le mendiant qualifié de « sombre ». Par contraste, on a des effets de clair obscur notamment avec le front blanc de Dom Luis ou la statue de pierre en antithèse avec le « flot noir ». On retrouve ce caractère sombre dans le « noir firmament ». Donc l’atmosphère est volontairement assombrie. Les personnages y contribuent moralement. Le deuil (métonymie) pour Elvire, le mendiant qualifié de « sombre ».
B) Singularité de la Situation :
–Manifestement, on se situe quelques temps après la mort de Dom Juan. C’est la raison pour laquelle, dès le début. On nous le présente en pleine action, au passé simple : « Quand Dom Juan descendit » et donc en train d’embarquer. D’ailleurs Sganarelle continue à réclamer « ses gages » comme dans la dernière scène de Molière. Et le commandeur est là pour le conduire sur les lieux de son supplice, lui qui l’avait entraîné dans la mort juste avant la scène de Sganarelle.
–Toutefois à la différence de Molière ou Mozart, le héros ne vient pas tout seul, aux enfers. Comme ces princes ou despotes qui se font enterrer avec leurs esclaves ou êtres et objets qu’ils ont aimés, les êtres qu’il a croisés se retrouvent emportés avec lui dans la même catastrophe, un peu comme s ‘ils étaient tenus de se venger après la mort de s’être laissés tenter ou séduire, et tromper par lui. par lui. On retrouve donc les protagonistes Sganarelle, omniprésent chez Molière au point de lui voler la vedette, et incarnant alors le comique. Elvire, qui apparaît deux fois au moins mais sont on parle beaucoup par frères et valets interposés, le père de Dom Juan, lequel apparait deux fois mis don il parle à plusieurs reprises. Et le commandeur qui apparaissait au moins trois fois dont une fatale. Mais aussi le pauvre, appelé aussi « mendiant », lequel n’apparaît pourtant qu’une fois dans la pièce mais en plein milieu, de manière décisive..
–La composition du poème en cinq strophes (quatrains en fait) mérite d’être étudiée. En effet, si le texte commence bien par Dom Juan (2 vers), celui–ci est suivi du mendiant (2 vers aussi). Suivent les femmes qu’il a aimées (4 vers, ce qui est assez dire leur importance et leur nombre). Suivent Sganarelle (1 vers) et Dom Luis (3 vers), 4 vers pour Elvire. Enfin le commandeur (2 vers) et Dom Juan (2 vers) se partagent le dernier quatrain)
Pour résumer : Dom Juan (2) et le mendiant (2) Le troupeau des Femmes. (4) Sganarelle (1) et Dom Luis (3) Elvire (4) La Statue (2) et Dom Juan (2). Plusieurs remarques : les statuts se rééquilibrent. Par ex : Dom Juan est opposé au pauvre, comme si les conditions s’égalisaient en enfer. De même, Sganarelle joue un rôle négligeable (1 vers) et donc y perd par rapport à Don Luis, à qui Baudelaire accorde un rôle important. Enfin les Femmes viennent se glisser et s’intercaler au sein de ce monde d’hommes (2 ème et 4ème quatrains). En définitive, le poème est construit sur une sorte de chiasme HF(H)FH. Les femmes y jouent un rôle prépondérant ce qui est normal vu la personnalité du héros. Et Elvire vaut autant que toutes les femmes réunies d’une part du fait qu’elle ne représente pas le remords mais l’espérance, et est la seule à lui pardonner, étant sa légitime.
II) Dom Juan face à ses adversaires
A) L’attitude de Don Juan
– Dom Juan n’apparaît que dans les deux premiers et les deux derniers vers. Il est donc celui qui encadre le tableau central. En effet, dans les deux premiers vers, il n’est pas décrit comme les autres, ou lui-même à la fin (utilisation de l’imparfait) ; on se contente de nous informer sur ses dernières actions, évoquées au passé simple ou au passé antérieur qui expriment des actions achevées : « descendit, eut donné son obole… ». En revanche à la fin, son attitude nous est précisée (« courbé sur sa rapière », ce qui nous rappelle sa noblesse et son orgueil nobiliaire, son courage aussi. Il a peut-être tué le commandeur avec cette épée) et surtout dans son indifférence au scandale, aux bruits et à la fureur qu’il a provoqués (« ne daignait rien voir »). Il semble méditer, la réflexion étant l’honneur de l’être non conformiste et sans doute aussi du poète. Baudelaire a souligné le contraste (vers 19, « Mais ») entre l’attitude de Dom Juan « calme héros » qui semble assumer ses actes, et celle agitée, bruyante (le « mugissement »), tendue (le mendiant, Dom Luis), bouleversée (Elvire), ou altière (la statue) qui sévit tout autour. Bref, tout bouge ou se dresse et redresse (le mendiant) tandis que le héros reste indifférent à son sort.
–Autrement dit, en apparence, ce sont tous les autres personnages qui occupent le centre du texte. Ce procédé peut s’expliquer par le fait que tous les autres tournent autour du protagoniste et ne se déterminent que par rapport à lui. C’est la raison pour laquelle sa présence nous est rappelée à travers les gestes et situations des autres. Au vers 8, par c’est « derrière lui » que traîne le mugissement des femmes séduites. Au vers 9, c’est encore … »lui » que son valet réclame ses gages. Il est désigné au vers 12 par une périphrase, avec une diérèse pertinente sur «fils audacieux », cette double syllabe étant ainsi mise en évidence (Railler son père, c’est provoquer Dieu, lequel a commandé : tu honoreras ton père. Et dans audacieux, il y a cieux). De même, au vers 14, deux périphrases presque antithétiques se partagent les deux hémistiches : « près de l’époux perfide et qui fut son amant ».
-Il n’a pas en effet de remords particulier, c’est le sens du moi « impénitent », se contentant d’observer le « sillage » comme s’il s’agissait du cours de son destin. Il n’entretient aucune communication avec les autres, et lui qui menait les intrigues tambour battant, et la conversation avec le pauvre par ex, se laisse mener au supplice. Solitaire au fond par son attitude même. Peut-être est-il plus vieux que chez Molière (les femmes séduites paraissent vieilles) ce qui expliquerait qu’il réfléchisse, qu’il s’assagisse au lieu de défier les enfers (comme chez Verlaine ou Edmond Rostand). Lui qui voulait savoir ce qu’il y a après la mort, il est servi et sa tête courbée doit être un signe de défaite (cf. Spleen), de. Mais il pense et c’est tout … son honneur, contrairement aux autres. On devine sa fierté dans l’expression : « ne daignait rien voir ». En tout cas il demeure digne, contrairement aux femmes, à Sganarelle et au mendiant.
B) Ses adversaires :
–Le mendiant et la statue ont droit à autant de vers que Dom Juan et sont placés juste avant les deux moments où il intervient aux strophes 1 et 5. Rappelons qu’ils n’ont pas cédé à Dom Juan contrairement aux femmes évoquées dans leur multiplicité à la strophe 2, ou Elvire, la légitime occupant la strophe 4. Ou Don Luis qui s’est laissé abuser, et Sganarelle corrompre. Le mendiant et la statue ont été incorruptibles. Voici pourquoi ils sont opposés deux vers contre deux vers au héros du texte (titre). L’un qualifié de « sombre mendiant », avec diérèse, l’autre de « grand homme de pierre », ce qui suscite un contraste. Les deux ont rapport avec la barque qui conduit Don Juan.
–Le mendiant apparaît en premier, dans la principale alors que Dom Juan se trouve dans la double subordonnée de temps précédente. On a d’une part l’impression qu’il attendait Dom Juan comme pour se venger de celui qui a tenté de lui acheter un blasphème, d’autre part d’une espèce de renversement des rôles: la plus humble des créatures semble métamorphosée. Chez Molière, le mendiant était modeste, simple en esprit et en tant qu’ermite, une créature misérable, soumise au jeûne et à la privation. Chez Baudelaire, au contraire, il est vigoureux (« bras fort » : métonymie), énergique, (« saisit »), arrogant (« œil fier » : métonymie) ce que confirme la comparaison antique avec Antisthène, l’illustre cynique grec. Ce changement d’attitude est bien mis en évidence par la diérèse sur « mendiant » (vers 3). Enfin, lui le chrétien habitué à pardonner est .à présent vindicatif (« bras vengeur ») et déterminé (« saisit chaque aviron », comme s’il était pressé d’amener Dom Juan. Rythme 2-4 évoquant cette allure décidée).
–Le commandeur : paraît imperturbable. A partir du second hémistiche du vers 17, en effet, le rythme se fait régulier (ce qu’accentue l’enjambement). Le mot « armure » nous renvoie à la vanité du personnage sur laquelle ironise le Dom Juan de Molière dans la scène du mausolée. Il s’impose par sa stature « Grand » et par son aspect fantastique (oxymoron : homme de pierre). C’est lui qui conduit Dom Juan sur les lieux qu’on lui destine (d’où la symétrie avec le mendiant et ses « avirons »), puisqu’il tient « la barre ». Il fait sans broncher le travail qu’on lui a réclamé et rien ne pourrait l’en empêcher. D’où le caractère tranchant du verbe « coupait ». On notera le contraste entre la blancheur de la pierre et le « flot noir ».
III) Les autres personnages et leur symbole :
A) Les victimes et sermonneurs:
–Les femmes dans le second quatrain sont rassemblées en un grouillant anonymat (article indéfini : « des ») dans les 2 indépendantes coordonnées de 2 vers chacune où est précisée leur attitude : verbes expressifs « se tordaient », « traînaient ». Il les compare à des animaux : au vers 7, « grand troupeau », au vers 8 « mugissement » (sonorités nasales, mot long placé sciemment à la rime précédé de l’adjectif « long » pour évoquer un son qui semble interminable). Cette comparaison avec des bêtes est peu élégante mais n’oublions pas que l’auteur évoque des « victimes offertes », ce qui nous renvoie encore à des sacrifices antiques. C’est un peu comme si Dom Juan les avait immolées sur l’autel de son bon plaisir… Baudelaire ne craint pas l’obscénité. Il a même été condamné pour cela. Ainsi au vers 5, on pense à des prostituées, provocantes, indécentes et misérables (alors qu’il s’agit, le plus souvent de grandes dames) : « robes ouvertes » et « seins pendants ». Elles n’ont plus l’air très jeune et donc ne sont plus innocentes faisant penser davantage à des sorcières ou des baccantes qu’à des créatures désirables : elles « se tordaient » comme prises de convulsion, telles des créatures possédées par le diable c’est-à-dire le péché de chair, auquel elles ont cédé. Les sonorités spirantes et sifflantes peuvent suggérer l’épouvante. Ces femmes que Dom Juan a aimées ou « épousées ». Baudelaire les a distinguées d’Elvire sans doute parce que cette dernière est plus sentimentale, que son amour est davantage spiritualisé, absolu, alors que celui des femmes fut charnel, terrestre, intéressé, et que c’est peut-être la seule qu’il a cru un jour aimer.
– Elvire : Occupe le quatrième quatrain (vers 13 à 16). Contrairement à Molière qui imaginait qu’elle retournait au couvent, Baudelaire la suppose continuant à espérer en des lieux où l’espérance n’est plus de mise. Elle est touchante d’autant qu’elle paraît fragile et vulnérable (« frissonnant ») sa maigreur s’expliquant par une vie ascétique visant à expier ses péchés et ceux de Dom Juan. N’oublions pas que, contrairement aux pécheresses du second quatrain, elle demeure digne et on nous rappelle sa chasteté. Elle n’a cédé à Dom Juan que parce qu’elle l’a cru homme d’honneur et de parole, noble donc. Toutefois, sous l’apparence de la femme pieuse, se cachait une âme ardente dont la passion n’attendait qu’une étincelle pour s’embraser. Elle reste attachée aux circonstances de son union avec Dom Juan (« premier serment »). Le subjonctif (ici à l’imparfait) utilisé sur le verbe briller nous laisse dans le doute quant à la possibilité de voir son humble et pathétique souhait se réaliser. D’autant qu’en enfer il faut laisser toute espérance. Et le pathétique vient de cet espoir dans un lieu où l’espoir n’a pas lieu d’être. Quant au vers 14, il nous signale que, pour elle il y a deux Dom Juan : celui qui croyait l’aimer (« l’amant »), celui qui la trahit (« l’ époux perfide »). Il va de soi qu’elle préfère le premier, celui qui savait la séduire avec « douceur ». Mais elle n’abandonne pas l’autre, ou plutôt ni l’un ni l’autre. Elle demeure fidèle et donc exceptionnelle envers et contre tout. C’est la femme idéale.
–Les sermonneurs : Sganarelle : est exécuté en un vers sans doute parce qu’il n’attire pas la sympathie de l’auteur, plutôt son mépris au contraire. Il continue à réclamer « ses gages » ce qui prouve qu’il est toujours aussi sot puisqu’en enfer l’argent ne compte plus. C’est comme un écho de sa vie sur terre. Il demeure intéressé aux biens matériels là où- ils n’ont plus cours. Il ose rire de son maître .à présent, lui le lâche qui le craignait tant de son vivant. Le rire (cf : Le nom de la Rose) a toujours des rapports avec le démon et on connaît la thèse de Baudelaire sur le comique en rapport avec une idée de supériorité. La vulgarité du valet est sans doute exprimée par les sonorités gutturales et palatales : le r, le g dur, le k. Sganarelle traitant du thème de l’argent, il était inutile de consacrer des vers … Monsieur Dimanche. Cela aurait fait double emploi.
Dom Luis : apparaît aux vers 10 à 13. D’abord comme sujet (avec diérèse pour lui donner plus de noblesse, ensuite pour nous présenter son action, les destinataires de cette action et enfin son objet (« le fils audacieux » ici aussi diérèse, insistant sur son insolence). Le verbe « railler » nous renvoie … la feinte conversion de Dom Juan chez Molière. On a au vers 12 une antithèse qui illustre le conflit des générations, entre jeunesse et vieillesse : « fils » d’un côté, « front blanc » de l’autre (métonymie pour cheveux). Dom Luis semble encore sous le coup de la colère (il tremble) et, en barbon ou vieillard cornélien, n’hésite pas à exhiber sa honte ainsi qu’il l’aurait fait de sa gloire. C’est le caractère ostentatoire des héros cornélien que de se montrer ainsi en spectacle.
B) Symbolisme possible du texte :
–Don Juan : Il peut symboliser l’artiste qui voue sa vie au Beau (comme Dom Juan), défie le ciel en imitant le Créateur ou en adoptant une attitude de Révolte (cf. Fleurs du mal), accepte mal les limites de sa condition trop humaine (« je souhaiterais qu’il y eut d’autres mondes », proclamait celui de Molière), enfin il a eu le destin exceptionnel d’un homme qui a secoué l’apathie de son époque laquelle, bien sûr, le lui fera payer. C’est qu’il fut incompris de ses semblables qui ne le jugent pas sur la profondeur de ses actes (l’insatisfaction foncière du désir illimité, typiquement humaine) mais à partir de valeur bassement utilitaires (l’argent, l’ordre, le sens de la mesure…). Un personnage très riche en nuances en tout cas, bien que succinctement évoqué, qui avait de quoi s’attirer la sympathie de Baudelaire qui sans doute ici s’identifie sensiblement à lui.
–Ses adversaires : Le commandeur » symbolise la loi, divine notamment, que nul ne peut mouvoir. L’artiste l’a quelque peu provoquée et elle s’en venge aveuglément. Peut-être pourrions-nous l’assimiler au véritable père de Baudelaire dont Baudelaire à de quoi s’imaginer que, s’il avait vécu, il n’aurait guère apprécié les frasques de son fils. Quant au mendiant, il incarne peut-être la foule ou le peuple qui, après s’être laissé soumettre, finit par se révolter et redevient hargneux, digne et « fier » (vers 3). Dans un petit poème en prose intitulé « Assommons les pauvres ! », le narrateur cogne sur l’un d’entre eux jusqu’à ce que celui-ci se rebiffe, ce que justement il souhaitait. La foule, quand elle se réveille ne se contrôle plus et, à l’ époque de Baudelaire, elle a montré qu’elle n’acceptait plus l’injustice ou l’arrogance des nobles privilégiés, alors qu’.à l’ époque de Molière, une telle réaction aurait été inconcevable.
– Les victimes et sermonneurs : Les femmes symbolisent ce goût pervers pour la beauté qui a conduit Don Juan sur la pente du vice mais dont il avait besoin pour exister. Symboliquement le poète a besoin de la beauté sous toutes ses formes pour s’en inspirer. Qu’elle soit charnelle (les Femmes) ou spirituelle (Elvire). On retrouve cette dualité dans les Fleurs du mal (Jeanne Duval/Madame Sabatier). En tant que sermonneur, Sganarelle incarne sûrement tout ce que Baudelaire déteste en ce siècle, à savoir l’attachement aux biens matériels et l’incompréhension des êtres d’exception tels que Dom Juan, ou tel Baudelaire lui-même. Quant au commandeur, peut-être qu’on pourrait le rapprocher de tous ceux qui prêchent la morale à l’époque de Baudelaire, à commencer par son beau-père Aupick, dénonçant les scandales dont s’est rendu coupable l’auteur, comme son héros.
Conclusion : Reprise du plan et réponse à la problématique.
Comme Dom Juan, le po`te cherche en permanence du nouveau dans le Beau mais son dessein est mal compris de ses semblables pour qui il n’est qu’objet de scandale. Votre avis définitif.
Rapport aux tableaux de Delacroix.