La fin du grand Sam, publiée en 92, est mon unique pièce de théâtre. Ecrite en trois actes elle se veut avant tout un hommage à Samuel Beckett et a été rédigée immédiatement après sa mort. Anne-Marie Soulcié a bien voulu l’illustrer, ce qui a permis la publication d’un véritable tirage de tête, 25 exemplaires sur Arches numérotés, aujourd’hui épuisé.

Le premier acte voyait un homme et une femme, sur un quai de gare, se livrer à une joute verbale en attendant la correspondance. Manifestement l’homme prend la femme pour ce qu’elle est, son inférieure soumise. Dans le second acte les rapports de force s’équilibrent autour d’une mystérieuse valise abandonnée par quelque voyageur distrait. Au troisième acte enfin, las d’attendre en vain, l’homme à l’instigation de la femme, s’est allongé sur la voie. C’est à ce moment que survient la correspondance. Que va-t-il faire ? Disparaître ou recommencer ? Il va de soi que les deux personnages sont des entités à vocation métaphysique, des êtres de langage et n’existant qu’à travers lui, y compris pour le traquer dans ses derniers retranchements.

L’édition courante, vendue 50 F peut être commandée à CMS, 3 rue Boyer 34000 Montpellier.

La Fin du grand Sam (extraits)

A : Y’a quelqu’un ??? Hé !!! Y’a quelqu’un ici ??? Si y’a quelqu’un allumez la lumière…

B : Y’a quelqu’un ??? Y’a personne alors !!! Mais répondez !!! Répondez !!!

A : Vous n’allez pas nous laisser dans le noir !!!

B : Salauds !!! A : A mon avis, y’a personne, ici B : J’ai peur du noir, Sam !

A : Mais qu’ils nous parlent, nom de Dieu ! Qu’ils nous parlent ! B : Qu’ils nous parlent ! Tu l’as dit Sam ! A : Nom de Dieu !

B : Qu’ils nous parlent… eh, Sam, pourquoi on dit  » nom de Dieu  » ? A : Cette question !

B : Mais tu as dit  » nom de Dieu  » !

A : Moi j’ai dit  » nom de Dieu  » ?

B : Oui, même que tu disais, je ne me souviens plus de ce tu disais, mais tu as fini par  » nom de Dieu « . C’est vrai, Sam. Tu peux y croire. Alors pourquoi  » nom de Dieu  » ?

A : J’ai dit ça comme ça, sans illusions, comme on dit.

B : Je ne te suis pas, Sam ! A : Comme d’habitude. Je veux dire sans trop savoir… Sans trop savoir ce que ça veut dire !

B : Je ne te suis pas, Sam ! A : Par habitude ! Nom de Dieu… Forcément qu’il a un nom ! Nom d’un nom de merde de verbe ! B : Ne t’énerve pas, Sam !

A : Mais je ne m’énerve pas ! Je ne m’énerve pas ! La prochaine fois je dirai… putain de bordel ! Ca évitera tes questions à la con !!! (…)

B : Ne sois pas grossier, Sam. A : Mais tu es énervante à la fin, pourquoi toujours en parler puisque ce n’est pas encore la fin. Car enfin, si c’était la fin, nous n’en parlerions plus… nous ne parlerions plus.

B : C’est qu’il faut penser aux autres…

A : Quels autres ?

B : Tu sais bien. Y’a des moments je me demande qui est l’homme de tête.

A : Ne m’en parle pas. J’ai un de ces mal, heu… de ces maux… B : Oh des mots tu en connais, Sam. Alors, les autres…

A : Ne t’en occupe pas.

B : Mais ils me voient, les salauds !

A : D’abord, on n’en est pas sûrs, ensuite pas continuellement, et puis rarement deux en même temps. Or nous sommes deux. Par conséquent, nous sommes les plus nombreux.

B : Je ne te suis pas quand tu penses…

A : Tu n’es pas faite pour ça. Sois bavarde et tais-toi.

B : C’est que je voudrais savoir…

A : Ca ne sert à rien.

B : Mais tu sais bien toi ?

A : Si peu au fond.

B : Mais tu sais, tu sais pourquoi on est ici ?

A : Je te l’ai dit, pour la correspondance. Voilà mon mal de tête qui me reprend. C’est assommant à la fin !

B : Ca, j’ai compris mais pourquoi ?

A : Tu poses trop de questions.

B : C’est que je sais plus où j’en suis.

A : Tu as encore trop bu, hier soir !

B : Hier soir ? Tu es sûr que c’était hier soir, Sam ?

A : J’ai dit hier soir mais c’était peut-être après midi, ou ce matin au petit déjeuner. Ou une autre fois. Ou l’année dernière. Quelle importance. De toutes façons, tu bois trop. Sans plaisir de surcroît.

B : Ce que t’es intelligent. De surcroît. Tu me parles, là, tranquille et mine de rien tu me dis  » de surcroît  » sans faire le moindre effort. Ce que je t’envie, Sam. Y’en a là-dedans.

A : C’est que j’ai beaucoup lu dans le temps.

B : C’est que t’as beaucoup bu, aussi.

A : Non, ça c’était après. Mais avant, j’ai lu.

B : Avant quoi ?

A : Ben, avant de boire. J’ai bu sûrement pour oublier que j’ai lu.

B : C’est ça qui nous sépare, tu vois, Sam. C’est que moi si j’ai bu, c’est pour te faire plaisir. Mais pourquoi je voulais te faire plaisir, ça j’ai oublié.

A : Ca n’a pas d’importance.

B : Merci pour elle. Mais dites-moi, Monsieur l’instruit, votre fichue correspondance, où elle est, hein ? Où tu nous as encore amenés ?

A : Tu le sais bien, sur le quai…

B : Ca, je le vois bien, mais quel quai ?

A : Tous les quais se ressemblent.

B : Ouais mais celui-là, il est désert. Il n’y a que nous, tu m’entends ? Que nous !

A : A cette heure de la nuit, ce n’est guère étonnant.

B : Tout de même. Pas de lumière. Pas un chat.

A : Tu détestes les chats… B : J’ai dit chat comme toi. J’aurais très bien pu dire âme qui vive.

A : D’abord un chat n’a pas d’âme, fût-il animé de bonnes intentions, mais ça tu ne risques pas de comprendre… Ensuite rien ne prouve que l’âme ait une existence en tant que telle et enfin ce n’est pas l’âme qui vit, c’est le corps qui l’enveloppe. Toi tu n’as rien d’une dame et pas conséquent… cesse de t’inquiéter car tu ne seras pas damnée. Ni moi non plus d’ailleurs.

B : Mais je ne suis pas damnée. Oh, j’y comprends rien à tes raisonnements. Si j’avais une amie à qui parler. Mais il n’y a que nous deux. Que nous deux… A part les autres évidemment…

A : Ne m’en parle pas ! Il n’y a personne d’autre parce que… c’est un quai pour nous.

B : Ne plaisante pas.

A : Mais je ne plaisante pas !

B : Tu sais quelque chose. Je le savais ! Je le savais !

A : Pas beaucoup plus que toi… J’émets une hypothèse, à savoir qu’on aurait très bien pu fabriquer ce quai expressément pour nous deux.

B : Mais pourquoi ? Pourquoi, Sam ? A : Pour que nous y vinssions, tiens !

B : Je ne te suis pas, Sam ! A : Alors disons pour que nous y venions. Nous n’aurions plus à attendre.

B : Mais d’où venons-nous ? On n’a pas avancé d’un pas…

A : Tu exagères. Et la correspondance ? Zut, le mal de tête, je l’avais oublié celui-là.

B : Justement, où est-elle ? Mais où est-elle ?

A : Un peu de patience, que diable !

B : J’aimais mieux nom de Dieu ! Mais on n’est pas plus avancés qu’au point de départ.

A : Personne n’avance. Qui peut dire d’où il vient, dès qu’on approfondit quelque peu ?

B : Tu veux dire quoi là ?

A : Est-ce que je sais ? Je spécule.

B : Ce que t’es intelligent, Sam. A : J’ai lu, c’est tout

B : Eh bien, moi j’ai soif !

A : Tiens ta langue et ne m’interromps pas.

B : Regarde, j’ai la main qui tremble. A : Tu frémis, ma jolie. Ne t’inquiète pas. C’est sûrement la correspondance qui vient. Si seulement ce mal de tête pouvait cesser.

B : On n’a rien à boire ? (…)

A : Tais-toi et écoute. B : C’est la correspondance ?

A : Si tu parles en même temps qu’elle, on ne le saura pas. Je ne sais pas. Ecoute.

B : Je n’entends rien.

A : Evidemment, si tu parles au lieu d’écouter ! Ecoute !

B : C’est que… Qu’est-ce qui arriverait si je me taisais ?

A : Il n’y a pas la moindre chance. Dommage, d’ailleurs… car enfin on le saurait… Ecoute…

B : Que veux-tu dire, Sam ? A : Tu ne peux pas comprendre. Tais-toi et écoute.

B : Je n’entends rien.

A : Oui. Le grondement a cessé. Tu parles quand il faudrait se taire.

B : C’est toi qui m’as appris que le silence éternel…

A : C’est moi qui t’ai tout appris…

B : On le sait que tu es l’aîné…

A : Qu’est-ce que tu racontes ? Nous sommes nés le même jour. En même temps.

B : Dernière nouvelle. D’où tiens-tu ça ?

A : C’est évident. Je le sais depuis le premier jour.

B : Ce que t’es intelligent, Sam. Le même jour. Peut-être à la même heure… On est peut-être des jumeaux ? Mais alors, c’est peut-être moi, l’aînée ?

A : Tu es la moitié de mon âme, sans toi je ne suis plus qu’une demi portion, l’écho d’une Idée qui se fissure, une quintessence altérée, une ombre animée de figures de triche…

B : Animée comme le chat ? A : Ne me coupe pas dans mes flux. Tu es l’alibi de l’homme illustre, mon âme sœur, ma raison d’être.

B : Qu’est-ce que tu me chantes, Sam !

A : Notre histoire.

B : Notre histoire ? C’est drôle, je l’ai oubliée…

A : Tu as dû l’oublier justement vu qu’elle ne fut pas drôle… B : Raconte, Sam. A : A quoi bon ? Nous n’en avons plus pour bien longtemps de toutes façons. Elle ne tardera plus… heu… celle que nous attendons… (…)

B : Et si on s’était trompés de quai ?

A : Ceci est une autre histoire… Tu veux dire, si ce n’était pas notre quai ?

B : Ou quelque chose à peu près comme cela !

A : Ma foi, je n’y crois pas…

B : Si on était sur une voie de garage, Sam, si on allait voir ailleurs, si on en essayait un autre ?

A : Et si pendant ce temps elle arrive ici ? B : Si elle est vraiment prévue pour nous, il faudra bien qu’elle nous attende. Sinon elle repassera, si ce n’est pas le moment. Ou alors elle est ailleurs, alors, allons voir…

A : C’est improbable, mais après tout qu’est-ce que je risque, au point où on en est… Mais ailleurs, c’est où ? C’est de toutes parts. Alors on emprunte quelle direction d’après toi, audacieuse fillette ?

B : Ecoute ? j’entends un brouhaha, au loin.

A : C’est peut-être elle. Mais comment se repérer dans ce noir ?

B : Y’a qu’à suive la voie, on aboutira bien à un quai.. A : Et si elle fonce sur nous ? B : On la préviendra…

A : Alors commençons tout de suite. Lumière ! Lumière ! Lumière !

B : Y’a quelqu’un ? Hé, y’a quelqu’un ? Y’a… hé, Sam, quand on sera montés… Tu crois qu’on pourra faire la bête à deux dos ?

A : Tout ce que tu voudras. Quand on sera montés ! Quand on sera montés !

B : Chouette ! Lumière ! Lumière ! Lumière !

A : Y’a quelqu’un ? Y’a quelqu’un ou y’a personne ?

B : Mais répondez…

A : Si y’a personne qu’on le sache au moins…

B : Salauds ! …

TEXTE INEDIT D’ANNE MILLAT, agrégée de Lettres, prévu pour la revue Le Français dans tous ses états. Etude sur la fin du grand Sam

En attendant la correspondance.

C’est l’univers du train qui a été choisi -on verra bien pourquoi- par Bernard Teulon-Nouailles, professeur de français et écrivain, pour servir de cadre et de trame à : La Fin du grand Sam, une  » réécriture  » de En attendant Godot de Samuel Beckett 1. 1. En attendant Godot, éditions de Minuit. La fin du grand Sam, éditions CMS (1992). Nous donnons en annexe de larges extraits du premier des trois tableaux de la pièce. En numérotant les 137 répliques, on pourra aisément retrouver dans le texte, indiqués entre parenthèses, certains éléments de réponses aux questions posées dans la suite de cet article. La réécriture, exercice depuis peu proposé aux lycéens, dans le prolongement des travaux de français au collège, acquiert droit de cité dans les programmes et même au baccalauréat.

Depuis longtemps, les écrivains, eux, s’y sont amusés, et le pratiquent avec délectation. Dans les classes on est déjà familier du travail sur l’adaptation au cinéma d’un texte de théâtre ou d’un roman, les exercices sur l’intertextualité commencent à se pratiquer. Mais les supports pour étudier la réécriture sont rares. Voici une proposition, qui permettra à des élèves qui ont étudié le théâtre d’un grand classique, Beckett, de se divertir tout en mobilisant et approfondissant leurs connaissances. Ceci n’est pas un plagiat On remarquera d’emblée que, bien entendu, on n’a pas affaire à un plagiat. La célébrité de Beckett rend ici la chose impossible. De toute façon, la référence à l’œuvre-origine est explicite. Le texte  » à la manière de…  » ne prend sa saveur que par la reconnaissance de cette dernière. Le réécrivain reconnaît sa dette par toutes sortes d’indices offerts à son lecteur. On notera toutefois qu’à l’usage, la frontière qui sépare la réécriture de la parodie n’est pas si facile à repérer : l’imitation est toujours sous la menace de la systématisation, de la caricature.

D’où la modestie celui qui réécrit, l’exercice reste ludique. Révérence n’est pas servilité ; on peut admirer, sans s’interdire des clins d’œil au lecteur aux dépens du grand aîné. B. Teulon ne s’en prive pas. Même en imitant, on fait œuvre personnelle : on sélectionne certains traits tandis qu’on en abandonne, ou modifie d’autres. La Fin du grand Sam est une ré-écriture Le titre même de la pièce explicite la référence, avouée ainsi au point de départ, à Samuel Beckett. On pense à  » Fin de partie « , mais le thème récurrent de l’attente fera plutôt pencher pour En attendant Godot, à la lecture. L’allusion à  » la fin  » du grand Sam peut être diversement appréciée : simple idée de prolongement ; évocation impertinente de la mort infligée, ou de la délivrance accordée enfin à l’angoissé…

Le nombre réduit de personnages, souligné par leur dénomination : A et B, appartient encore à l’univers beckettien. Un des deux est cependant désigné par son partenaire (pour la première fois, réplique 6) par le prénom de Beckett, revu sous la forme familière du diminutif : Sam, dont B ponctuera ses répliques jusqu’à plus soif tout le long de la pièce ! De ce fait se met en place un système de mise en abyme : il est sous entendu par moments qu’un des protagonistes, A, serait le créateur de l’autre personnage, B, l’inventeur de l’histoire (111, 117). D’autre part, B rappelle à tout bout de champ qu’elle lui doit tout, et qu’il est le maître des mots. B serait-il alors un double du ré-écrivain ? Tous deux sont d’impénitents bavards (94-99), trait constitutif du personnage dramatique, nécessité renforcée ici par le noir qui règne sur scène ! Cette pièce est un hommage Il s’agit de plus, ici, d’un hommage, comme l’indique la troisième de couverture. 2. 2.  » Cette pièce se veut un hommage à Samuel Beckett. « 

Le texte second est composé sous l’imprégnation du  » modèle « , mais bien entendu des choix sont opérés. C’est la touche personnelle de celui qui réécrit, et ce qui fait l’intérêt de son texte. Repérer ce qui est imitation et ce qui est original est à la fois un jeu auquel les élèves pourront s’amuser et une façon de mieux connaître Beckett. La comparaison permet aussi de formuler des jugements. B. Teulon a repensé le système des personnages. Pour représenter ici l’humanité, un homme et une femme : les marques du féminin suffisent à le préciser (23), mais B est nommée  » Kate  » par son partenaire. Dans Godot, Beckett est allé plus loin : même la distinction du sexe n’est plus pertinente ; dans Fin de partie, le Père et la Mère, émergeant de leurs poubelles, sont des personnages troncs. Le dessin de Anne Marie Soulcié, illustration de La Fin du grand Sam accuse ce parti, subtilement. On pourra le comparer avec la couverture des éditions de Minuit pour En attendant Godot, et les deux silhouettes jumelles de Vladimir et Estragon coiffés de leurs chapeaux melon. Parmi les thèmes de la conversation entre A et B, on constate vite que le thème de l’attente est conservé comme leitmotiv (37,53-55,73-78 etc.), sorte d’objectif en creux là aussi pour les personnages. Toutefois, c’est une  » correspondance  » qu’attendent A et B (49), sur un quai désert (58) ; non pas un être, mystérieux et impressionnant, mais un simple train. Au fil des répliques, cependant, on sent qu’il pourrait s’agir d’attendre  » la fin  » (23,100,125). Mais, quand on rencontre Dieu -si tant est que Godot ce soit God- n’est-ce pas qu’on est mort…

La question du temps, du sens de la vie ressurgit donc. En prenant comme texte origine En attendant Godot, on recensera ce qui a été abandonné dans la réécriture. Pozzo et son valet/chien ont disparu. 3. 3. Toutefois, dans le tableau II, B. Teulon se laissera tenter par l’idée de la  » Valise « . Toutefois une réplique de A rappelle le long numéro délirant de Lucky (63), et A/Sam, imbu de lui-même comme Pozzo, aime à donner des leçons (43, 63, 85, 91, 105, 124…). Par ailleurs, les  » autres « , absents, sont souvent évoqués dans le dialogue par B (24,25,58) comme une présence menaçante. Ces changements ne sont donc pas radicaux. B. Teulon a surtout fait disparaître les fameuses didascalies qui prolifèrent dans les pièces de Beckett, totalement. Le dialogue se présente ici à nu. Néanmoins des signes de ponctuation (points d’exclamation et d’interrogation redoublés, aux répliques1 à 4, et 21) sont autant d’indications sur le ton de certaines répliques.

Chez Beckett, on le sait, certaines didascalies sont à destination du seul lecteur 4. 4. Vladimir – Liés à Godot ? … Jamais de la vie ! (Un temps.) Pas encore. (Il ne fait pas la liaison.) p. 27. Faute de didascalies, cette connivence est donc abandonnée dans la réécriture, au profit d’adresses plus nombreuses aux spectateurs concernant la situation même du spectacle de théâtre. Citons les jeux au sujet de la lumière (1,3, 60 et130,133), les apostrophes et injures à l’adresse des spectateurs (présents ?) ou aux techniciens du spectacle (1à5, 64, 134). Rappelons que Le grand Sam est censé se passer dans le noir, les indications ne pourraient donc en tout état de cause porter que sur les bruits qu’occasionnent les gestes des acteurs. Comment du reste représenter Le grand Sam ? Tout cadre de référence, même minimal, étant ici absent, la situation imaginée par Beckett est radicalisée : d’un bord de route en rase campagne, on est passé sur un quai, désert lui aussi (invraisemblable…) dans une gare qui en comporte d’autres ; d’un temps vaguement jalonné par la simple alternance de jour et de nuit (pendant l’entracte), à une nuit permanente (mais le noir c’est aussi la déprime), de protagonistes presque inactifs à des personnages qu’on ne voit même plus ! Le non réalisme est donc là, poussé à l’extrême, la visée métaphysique en moins peut-être.

En réécrivant, on s’inspire d’un illustre aîné. B. Teulon adopte divers traits de l’œuvre et de l’écriture de Beckett. La même relation, faite d’attachement et aussi d’indifférence ou de haine, peut être mise en évidence dans les échanges de répliques entre Didi et Gogo et entre Sam et Kate : à  » A : Tu es énervante à la fin  » succède  » A : Tu frémis ma jolie ? Ne t’inquiète pas « , et B passe des  » Ce que t’es intelligent, Sam  » à  » ;;; dites-moi, Monsieur l’instruit… où tu nous as encore amenés ? « . La relation au monde est dans les deux pièces empreinte de désarroi, élans d’audace et accès de panique alternent. Pour tromper la peur, tuer le temps, oublier le néant : parler, parler sans s’arrêter. C’est surtout le travail sur la langue, le jeu avec le langage -aspects qui mettent souvent les élèves en difficulté, de sorte qu’ils l’occultent volontiers dans leur commentaire- qui par le jeu d’échos entre les deux textes peut devenir plus sensible. De part et d’autre, des jeux de mots (26 :  » je me demande qui est l’homme de tête « , bu/lu, 62 :dame/damnée, 112 :drôle) sans prétention le plus souvent, des stéréotypes (24,31,33 !!, 85,100, 107) proférés par les personnages en place d’une parole personnelle.

Comme son prédécesseur Beckett, B. Teulon cultive à plaisir le procédé du décalage : termes littéraires et triviaux (71, 81) se télescopent, mis sur le même plan. B/Kate, en disciple admirative, souligne tant les gros que les beaux mots de A/Sam : reproches et compliments appuyés (47) suivant les cas. Les enchaînements du dialogue sont souvent en décalage (15,16,17) eux aussi (d’où les points qui suspendent nombre de répliques…), procédé qui mime les conversations réelles, mais en même temps signifie : chacun suit sa propre pensée plus qu’il n’écoute l’autre, lui prêtant néanmoins une oreille distraite. La logique est souvent mise à mal, surtout par le  » grand  » A. Les propos des personnages passent du coq à l’âne(10, 60, 78, 84…), les raisonnements dérapent. Aller à la recherche de tous ces jeux langagiers ou littéraires est à la fois apprentissage et divertissement. Mis en confiance et en train par cette étape d’observation, les élèves seront prêts à passer eux-mêmes à la réécriture, dans le sillage de l’illustre Jean-Baptiste, du célèbre Alfred, du génial Eugène… qui se verront attribuer le rôle A ; le réécrivain sera B. D’autres seront peut-être davantage tentés par la perspective de jouer Le grand Sam, ce que le dispositif imaginé par B. Teulon rend assez aisé, par exemple sous la forme d’une pièce radiophonique. ANNE MILLAT