L’une de mes dernières visites à Maurice Roche, à Lagnes, près d’Isle sur Sorgue où il est à présent enterré. Je suis d’ailleurs allé l’interviewer sur sa tombe qui est également celle de sa mère. Car il habitait bien entendu, lui qui était né le jour des morts, en face le cimetière du village. Vous pouvez lire cet entretien post-mortem ci-dessous.

(Ce faux entretien a été publié dans le n°14 de Reg’art de Février 98 avec l’aimable autorisation de Violante Do Canto, veuve de Maurice Roche. Il était précédé d’une analyse des trois publications posthumes de cet auteur décédé durant l’été 97. Cet hommage sera bientôt mis en ligne. Voir aussi la partie ouvrages)

 

ENTRETIEN FICTIF ET POSTHUME AVEC MAURICE ROCHE

« Maurice Roche aimait l’humour au-delà de la mort. D’où l’idée de cet hommage sous forme d’entretien posthume et fictif réalisé par son ami et critique B.T.N. »(NDLR)

 

B.T.N: Allô, je suis bien sur le répondeur de Maurice Roche ?

M.R: Je suis momentanément absent… Mais vous pouvez toujours vous pouvez toujours vous pouvez toujours…

B.T.N: Abrégeons car nous n’avons que deux minutes. Où vous trouvez vous présentement ?

M.R: Au cimetière du village. Après le signal sonore, raccrochez ! Raccrochez, mon Dieu ! Et priez pour nous… Priez que diable ! Ca risque d’être long jusqu’à la résurrection des corps.

B.T.N: Promis. Je suppose que, dans l’au-delà, vous avez tout le temps de nous ciseler de ces cristaux aphoristiques dont vous avez toujours eu le secret…

M.R: Tout devant s’achever dans la tristesse, autant commencer par en finir !

B.T.N: C’est la devise de la vie ? La devise de votre vie ?

M.R: Il s’agissait d’un jeu de patience : l’attente.

B.T.N: Que vous a dit votre maman lorsqu’elle vous a vu arriver ?

M.R: Mon fils, vos convictions seraient-elles les mêmes qu’à l’époque où elles étaient différentes ? On ne saura jamais ce que nous ne connaitrons toujours pas, mon fils.

B.T.N: Vous avez été durant votre existence, avare de mots. Etait-ce l’autre face de votre anorexie ?

M.R: J’ai tellement eu faim dans ma vie que ça m’a à jamais coupé l’appétit.

B.T.N: Quelles pensées, en vrac, vous revinrent en mémoire, avant que de la perdre à jamais ?

M.R: La fin (h)appRoche. Comment vas-tu, vieille, camar(a)de? Mon amour, j’écrivais toujours la même chose (t’en rendras-tu compte?). Cela devient terriblement risqué de mourir, maintenant qu’il n’y a plus de Dieu. Qui n’a pas vu Dieu n’a rien vu.

B.T.N : Alors c’est comment la vie éternelle ?Vous attendez le jugement dernier ?

M.R: Puis-je vous dire que je ne sais rien de plus que vous… Comme de toute façon on passera dessous, autant mettre la barre très haut.

B.T.N: Il paraît que votre vie durant, vous fûtes un incorrigible râleur, contre les médias, les snobs…

M.R: …Ce pays de fossoyeurs de talents qu’est la France, où l’on a accoutumé d’enterrer les vivants, de cultiver les morts et d’entretenir les morts-nés, n’offre aucun débouché à un artiste : ici, on devrait mourir d’abord et vivre ensuite. Je glaviote dans la soupe pour lui donner du goût.

B.T.N: Oui mais quel est, selon vous, le meilleur moment pour passer l’arme à gauche ?

M.R: Si visiblement il est aveugle; s’il est bien entendu qu’il est sourd; s’il sent bien qu’il n’a plus d’odorat; si son sens tactile touche à l’insensibilité; et si, de sucroît, il a perdu le goût de sa langue, alors nous dirons que ça va bien mal.

B.T.N: Quel conseil donneriez-vous aux jeunes talents de l’an 2000 ? Que convient-il de faire ?

M.R: S’efforcer de donner un sens à tout ce qui ne semble pas en avoir; vouloir sans doute se prouver, se démontrer que l’existence n’a pas été tout à fait inutile.

B.T.N: Et en matière d’amitié ?

M.R: Ne crachez pas sur vos amis, ils sont assez sales comme ça. Les chats m’ont donné le goût de l’éternité, qui est l’ habit le plus sûr de la fidélité.

B.T.N: Et relativement au sexe?

M.R: Qui va à la chasse perd sa pêche. Tirer un coup – Puis galamment sa révérence.

B.T.N: Les utopies de toutes confessions…

M.R: Qui croque la fève de la galette plus haut qu’il n’a les fesses, il pète…

B.T.N: Oui mais quel sera le but de la vie des hommes du millénaire à venir ?

M.R: Tiens donc ! Parce que, à part le fait de clamser, il lui faudra un but, à lui.

B.T.N: La mort, justement, avez vous changé d’avis à son sujet ?

M.R: La mort n’est pas très vivante de nos jours. ca se prépare; la fin, et sérieusement. Cela ne s’improvise pas.

B.T.N: Les deux minutes accordées, cher répondeur, sont presques écoulées. Quelles questions auriez-vous aimé vous voir poser ?Quel fut, est et sera pour vous le mot de la fin ?

M.R: Qu’ eSt-ce QUE LETTrE ? Je ne vais pas bien mais il faut que j’y aille. J’essaierai de faire mieux la pro…

Maurice Roche à une lecture au château de Tarascon, avec Barbara et Béatrice en vedettes américaines.