ROGER LAPORTE EST DECEDE LE MARDI 26 AVRIL. JE LE CONSIDERAIS COMME L’UN DES AUTEURS LES PLUS IMPORTANTS DE CES QUARANTE DERNIERES ANNEES. AU MOIS DE JANVIER IL M’AVAIT DEMANDE DE PASSER LE VOIR, INVITATION QUE JE DUS DIFFERER POUR DES RAISONS PERSONNELLES. EN 1995, LE CHAT MESSAGER LUI CONSACRAIT SON DERNIER NUMERO avec des interventions de Maurice Blanchot, Jean-Luc Nancy, Michel Butor, Bruno Roy (son seul texte !), Jean-Marie de Crozals, Tellerman, Claude Royet-Journaoud, Hervé Piekarski, Pascal Possoz, Mathieu Bénézet, Francis Cohen, + l’équipe du Chat Messager et des photos de François Lagarde. et des interventions graphiques et picturales d’André-Piere Arnal.

On peut se procurer ce numéro 11 au CHAT MESSAGER (Christian Miehé) 3, rue Boyer. 34000 MONTPELLIER

La photo ci-contre a été prise lors de l’entretien. D’autres seront mises en ligne prochainement.

Vitam impendere scripturae

Ce détournement d’une devise de Rousseau afin de signifier ce que représentait pour Roger Laporte l’écriture : une vocation, à laquelle par définition, on voue toute « Une Vie » (son chef d’œuvre, regroupant les différent états de sa quête scripturale incessante, de « veille » en « Fugue », de « voix de fin silence », en « Suite » avant de se suspendre avec « Moriendo ») La disparition – physique – de cet écrivain permet de mesurer l’écart infini qui distingue les bons, les connus, les médiatiques, les très bons, les prisés, les excellents écrivains même, et les inventeurs, les incontournables, les Grands enfin, ceux dont on pourra dire, comme Jouffroy de la lecture d’Artaud, qu' »on ne s’en remet pas ».
Qui pénètre en ces lieux doit laisser toute espérance et pourtant, combien de perspectives apaisantes nous sont offertes au cours de cette expérience du fonctionnement réel de la pensée, de cette « biographie »donc – c’est le genre qu’invente Roger Laporte ou plutôt qu’il redéfinit, l’œuvre s’élaborant de la recherche même d’une telle définition.
« Biographie » dont le projet ne lui sera apparu, comme pour Montaigne, qu’en cours d’essai : faire prendre corps à une écriture s’interrogeant sur ses tenants et aboutissants, sur son centre vide mais opérationnel, figure algébrique toujours fuyante et poussant désespérément à « Poursuivre » – premier mot de « Suite » et de « Moriendo » – sachant que l’atteindre signerait l’arrêt de mort du mouvement.
La Biographie selon R.Laporte est tout sauf une écriture Sur soi. Elle ne se raconte pas d’histoires.
Elle n’a nul besoin de références à la réalité (« des histoires, y’en plein les commissariats », ironisait Céline).
Elle se veut abstraite à l’instar de la peinture d’un Bram Van Velde que R.Laporte appréciait tant, et cherche à se mesurer à la Musique qui atteint pour lui « les sommets les plus élevés auxquels l’homme puisse aspirer » .
Le « je » qui s’y révèle n’est pas celui du sujet vivant et écrivant mais une force qui avance, s’interroge, doute, poursuit, se rétracte, complète, corrige, répète, réitère, s’assure et finit par se résigner. « De l’ancien, l’effroyablement ancien », ce jour où l’homme a pris conscience de sa finitude, à « cette terrible douceur » qui clôt « Une vie » et par là même une aventure à laquelle Laporte a décidé, avec Moriendo, de mettre un terme, une voix se fait entendre, malgré les risques de folie, « une voix de fin silence », inimitable de neutralité.
Nous sommes de plus en plus nombreux à penser que cette voix compte, et que l’aventure scripturale survivra à l’aventure humaine de ce professeur de philosophie qui s’inscrit dès lors dans la lignée des grands auteurs qu’il révérait et à qui il a consacré plusieurs études : Proust, Valéry, Kafka, Bataille, l’incontournable Blanchot et, plus près de nous, L.R. Des Forêts.

Bernard TEULON-NOUAILLES.