EXTRAIT BALZAC : L’ELIXIR DE LONGUE VIE De « Te Deum LAUDAMUS » A LA FIN.


Grand romancier de la première moitié du 19ème siècle, à la fois réaliste et romantique. Auteur de la « Comédie humaine », cycle romanesque découpé en cercles (comme l’enfer de Dante) : Scènes de la vie parisienne, Scènes de la vie de province, Scènes de la vie militaire, privée, de campagne etc. L’élixir de longue vie (1830) fait partie des études philosophiques et se présente comme une histoire fantastique et ironique, assez courte, racontant de façon originale la vie du fameux Don Juan de la légende. Don Juan, qui vit à Venise, a récupéré un flacon d’immortalité sur le lit de mort de son père, trop indulgent avec lui. Il vit sa vie de libertin, épouse à la soixantaine Elvire puis élève son fils dans le respect sévère de son père. A sa mort, il lui demande de badigeonner son corps mort d’élixir d’immortalité. Mais son fils effrayé, fait tomber le flacon de sorte que Don Juan n’est qu’ne partie ressuscité (sa tête et son bras). L’abbé de San Lucar, en Espagne, jeune confident d’Elvire, flairant la bonne affaire demande la béatification de Don Juan et c’est à cette cérémonie que nous assistons. Il s’agit de la scène finale de cette nouvelle, faite à la fois de récit, de description et de paroles rapportées.
Problématique : Quel Don Juan est présenté dans ce dénouement horrible ?
Plan

I) DJ présenté dans un lieu saint, agissant de manière pas très catholique.

A) Dans quel contexte nous est-il présenté ?
Lieu : dans une cathédrale, appelée aussi « église », plus précisément dans une « châsse » (3 occurrences), sur « l’autel » (2 occurrences) cad le chœur. Donc lieu qui ne cadre pas avec la légende et où l’on n’a pas l’habitude de le voir. Lieu voué à la religion. Effet de surprise donc.
Ambiance de solennité puisqu’il s’agit d’une cérémonie » (mot utilisé en fin de texte) religieuse. Par ailleurs la cathédrale est bondée de monde (noire de femme et d’hommes »), de fidèles (« agenouillés), notamment de « vieilles femmes ». Et puis bien sûr, on note la présence d’un « abbé » appelé aussi « officiant ». C’est lui qui a voulu et doit canoniser Don Juan. C’est donc à lui qu’en veut DJ en priorité.
Les sens sont beaucoup sollicités, en particulier l’ouïe (« ce chant partit, les voix montèrent, mélodie, musique d’amour »…), mais aussi l’olfactif (« nuages d’encens, parfum ») et le visuel (voiles diaphanes et bleuâtres sur les fantastiques merveilles de l’architecture, lumière ». L’écrivain n’’hésite pas à recourir aux synesthésies ou correspondances ici auditif/visuel : « chant semblable à une lumière qui scintille dans la nuit ». Tout inspire la beauté et profusion, bien indiquée dans l’énumération (« richesse, parfum, lumière et mélodie ».

B) Que fait le héros ?

Dans un premier temps, il fait des choses peu en communion avec le lieu sacré : s’amuse, se divertit comme il peut. Il rit (« d’un rire effrayant ») et adopte une attitude décontractée et peu pieuse (« se prélassa dans sa châsse »),  tellement il trouve la situation incongrue. Et sans doute aussi par réaction d’orgueil de se savoir adoré, tel un dieu.
Mais dans un second temps, il réagit avec une certaine violence, quasi inhumaine : il est comparé à un animal furieux (« il rugit ; hurlement », insulte à l’instar du diable  injonctif : « Allez à tous les diables, bêtes brutes, animaux… », se lance dans un « torrent d’imprécations… se déroula… Brûlantes… éruption du Vésuve » (allitérations en r et comparaison avec un volcan), fait des gestes ambigus (« menaçant du poing l’assemblée, il fit des gestes de désespoir et d’ironie ») tel un damné. Bref il a perdu toute son élégance et sa séduction.
Enfin, il agit en cannibale en se vengeant de l’abbé qu’il rend responsable de cette situation d’autant qu’il le trouve trop empressé auprès d’Elvire. : « Cette tête vivante se détacha… et tomba sur le crâne jaune de l’officiant » « en dévorant celle de l’abbé » « mordu dans sa cervelle ». On tombe alors dans le grotesque et le mauvais goût. Et le Don Juan de la légende est discrédité, démystifié.

II) Une situation en effet incongrue

A) Qu’est-ce qui le pousse à agir de la sorte ? Pourquoi ?

Parce qu’il se trouve dans une situation absurde et paradoxale, en contradiction totale avec tout ce qu’il a fait et avec ce qu’il est : on le prend pour un saint («Comme le saint nous bénit ! » ou Sancte Joannes ora pro nobis ! », ou dans l’oxymoron « Le saint fait le diable »). Un saint cad un homme exemplairement bon ce qui est souligné par l’énumération : « un homme ordinaire, un saint, un Boniface, un Pantaléon. ». Tout cela alors qu’il a commis les pires méfaits, a laissé mourir son père à qui il a volé l’élixir et alors qu’il envisageait de vivre une nouvelle vie grâce à l’élixir de longue vie.
Pourquoi le prend-on pour un saint ?
Parce qu’il est à moitié ressuscité (ou un quart), donc un monstre mais les croyants pensent qu’il s’agit d’un miracle providentiel. On le voit dans la contradiction entre « cette tête vivante » et «ce corps qui ne vivait plus » ou « le bras vivant (qui) put passer par-dessus la châsse ». On est donc dans le surnaturel.
A quoi voit-on qu’il a gardé sa tête ?
-Il réfléchit, prend du recul, se moque (« construction parallèle « trop poli pour ne pas remercier, trop spirituel pour ne pas entendre raillerie ». Il demeure lucide et fidèle à ses idées : l’insulte finale : « Imbécile, dis donc qu’il y a un dieu ? ». Il demeure donc athée plus que jamais.

B) Art du contraste significatif que l’on peut percevoir dans les prières

1er exemple, en latin, prière adressée à Dieu « Te Deum laudamus » en contraste avec « rire effrayant », et un « hurlement » qui, réveillant l’enfer,  finit par faire trembler l’église (« sur ses vieux fondements antiques ».). Cette prière est reprise un peu plus bas, en contraste avec insultes en espagnol.
2ème exemple, mi latin mi en hébreu, toujours à Dieu : Sabaoth, sabaoth » en contraste avec  sa revendication satanique : « Vous insultez  la majesté de l’enfer ! », avec une métonymie pour Satan. Et ses gestes de désespoir.
3ème exemple, adressé à lui Dom Juan : Sancte Joannes, ora pro nobis ». En contraste avec le juron « O coglione », cette fois en italien. Il parle en plusieurs langues, grince des dents, «émet un « hurlement auquel se joignirent les mille voix de l’enfer » (il est donc diabolique) : il jure d’ailleurs en espagnol ou italien, et français, comme un damné ou possédé, avant de réagir violemment en fin d’extrait.

III) Quelles sont sûrement les intentions de l’auteur ?

A) Ironie évidente

Balzac crée une complicité avec le lecteur aux dépens de l’assemblée qui ne croit que ce qu’elle voit, ou croit voir ou ce qu’on lui dit : « le terre bénissait et le ciel maudissait ». Construction en parallèle avec antithèse. Voulu ou fortuit, un alexandrin forme se déduit du nombre de syllabes de la phrase.
Don Juan, lui-même, traite l’assemblée avec ironie et mépris, d’où ses gestes (« d’ironie »). Il doit s’agir d’un bras d’honneur. Il ne s’attendait évidemment pas à se retrouver dans cette situation alors qu’il avait orienté sa vie vers une résurrection totale.
Enfin Balzac en profite pour se moquer de la crédulité d’une certaine catégorie de personnes, notamment des « fiancés », gens crédules mis sur le même rang ternaire des enfante et des vieilles femmes. Il en tire une morale sur la crédulité humaine et l’abus qu’en font les grands, au pst de VG (« L’homme supérieur se moque de ceux qui le complimentent) et fournit un exemple historique (Louis 18, le vieux roi de la Restauration).

B) Qu’a voulu faire Balzac ?

Tourner en dérision le mythe du séducteur irrésistible. Ici, il passe pour un mauvais calculateur, sombre dans le ridicule (jaloux de San Lucar et Elvire ?), et participe à la décadence du mythe.
Punir les orgueilleux, luxurieux, ambitieux (« leur souverain ») comme l’abbé de San Lucar (« Souviens-toi de Dona Elvire » cria la tête) et donc ceux qui déshonorent la religion (Balzac était pourtant croyant). Il se moque d’ailleurs de lui en précisant « Ce fut le premier religieux qui mourut bicéphale ».). Son « cri affreux » participe à la décadence générale. Et le fait qu’il expire est sa double punition (De Don juan et de dieu) + celle de Balzac.
Dénoncer la mauvaise interprétation d’un signe ; Ici la malédiction (« menaçant du poing » prise pour une bénédiction (« le saint nous bénit). Même exemple à propos de louis 18. Avec toutes les conséquences que cela peut avoir (cf. Proust).

Conclusion : vérification réponse à problématique. Votre avis sur cette version et comparaison avec Molière ou les autres réécritures (Mérimée, Schmitt, Brecht, Baudelaire…).

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