EXTRAIT DISCOURS DE LA SERVITUDE VOLONTAIRE (LA BOETIE)

Auteur humaniste de la Renaissance (milieu), décédé à 33 ans, et ayant écrit cet essai assez jeune, selon Montaigne, son ami ultérieur. Celui-ci voulait placer le DSV au cœur de son propre livre afin de prouver son excellence et la communion de pensée entre les deux hommes (l’actuel ch. 29, vacant). Il y a renoncé à la suite de la publication anonyme de ce pamphlet par les protestants sous le titre de Contr’UN.
Le Discours de la SV (oxymoron), fut écrit « en l’honneur de la liberté contre les tyrans ». Dans une première partie, La Boétie étudie, avec maints exemples, le comportement paradoxal du peuple qui se laisse asservir alors qu’il a la force du nombre pour lui. Dans une seconde partie, il cherche les causes de cette lâcheté et les moyens dont dispose le tyran pour se maintenir en place (ignorance, coutume, divertissement et corruption des mœurs, paternalisme, appui de la religion, superstition, organisation pyramidale de ses sbires). L’extrait, en deux paragraphes contrastés, se situe quasiment à l’articulation des deux parties. Il est très violent, on est dans la diatribe, et s’adresse aux peuples en général. La Boétie expose ses griefs puis esquisse une solution.
Pbématique : En quoi le peuple est-il responsable de sa servitude envers le tyran ?
Plan :

I) Qui est selon toute apparence accusé ?

A) Le tyran

– Le mot n’est pas cité dans l’extrait mais il est constamment question de lui.  Il est désigné en tant qu’ennemi : (« non pas des ennemis mais bien certes de l’ennemi »). On note l’antithèse entre le pluriel et le singulier, le rejet du premier pour mieux désigner le second, et la paronomase puisque seule une syllabe distingue les deux noms. Le terme est, bien sûr, péjoratif et montre l’opposition martiale des forces. Surtout, il rappelle qu’il ne s’agit que d’une seule personne (à craindre ou abattre).
– Il est désigné également par 3 périphrases réunies dans une phrase complexe à structure ternaire : « de celui-là même que vous avez fait ce qu’il est, de celui pour qui vous allez courageusement à la guerre, et pour la grandeur du duquel vous ne refusez pas de vous offrir vous-même à la mort ». On notera la progression rythmique qui tend vers la gradation dans la gravité puisque la phrase se termine par une allusion à la mort (après « fabrication » puis « guerre »).
– Mais tout au long du texte, il est désigné par la reprise pronominale à la 3ème personne du singulier, après la reprise nominale (synonyme) : « Ce maître », le démonstratif (Ce) étant anaphorique (et non déictique). Donc par de nombreux pronoms atones, sujets, singulier « il », qui interviennent dans le texte (« Ce qu’il a de plus… D’où tire-t-il ces yeux… »), et prouvent que c’est bien le tyran le premier visé. Le pronom sujet passe au COD (« le ») quand la situation pourrait se retourner contre lui vers la fin (« le pousser, l’ébranler, ne plus le soutenir » etc.). Donc le tyran semble bien la cible principale du jeune auteur.

B) Un être haïssable ou mauvais

– Deux accusations assez graves sont portées contre le tyran désigné par périphrase comme « le « larron qui vous pille »… et le « meurtrier qui vous tue ». Deux des principaux commandements de la religion chrétienne sont bafoués (Tu ne tueras point, Tu ne voleras point). On notera l’effet d’insistance sur ces deux actions répréhensibles, avec le pléonasme ou la redondance du nom et du verbe (meurtrier qui vous tue). On comprend que l’on a  affaire à un être cupide, et sans foi ni loi.
– L’accusation de vol est développée dès le début de manière assertive (déclarative, affirmative) par le biais d’une accumulation de verbes à l’infinitif (« enlever… piller, voler et dépouiller »).  On notera la gradation du plus large (le « revenu ») au plus intime (« meubles de vos ancêtres ») en passant par les « maisons ». L’ampleur du vol est telle que la moitié de ce qu’ils avaient suffirait, selon LB, à leur bonheur (« qu’on vous laissât seulement la moitié de vos biens… ») ; l’emploi du subjonctif montre que le peuple se situe dans l’espoir, dans le virtuel, puisque l’auteur précise aussi : « plus rien n’est à vous ». C’est dire l’ampleur de la razzia, la moitié qui resterait pouvant être pillé une nouvelle fois. On retrouve ces accusations plus bas quand l’auteur évoque les « pilleries » ou les champs qu’il « dévaste ».
–  Mais c’est surtout l’idée de meurtre qui montre une image haïssable du tyran : Il attente non seulement à vos biens mais à « vos familles », à « vos vies » (gradation descendante). Il vous envoie « si courageusement à la guerre… » et, par là même, « à la mort ». La guerre pourtant désignée par la métaphore de la « boucherie ». Il n’hésite pas à porter la main contre vous (« pour vous frapper », «vous assaillir »)… Un rythme ternaire résume les deux actions, vol et meurtre, qui caractérisent ses méfaits : « ces dégâts, ces malheurs, cette ruine » avec le même nombre de syllabes pour chaque nom, comme pour souligner l’habitude.

II) Mais le tyran est-il le seul coupable dans l’affaire ?

A) Le peuple, également attaqué

– C’est lui qui est apostrophé dès le début de l’extrait dans une exclamative assez virulente, usant de termes extrêmement forts et péjoratifs, notamment les adjectifs : « misérables, insensés, aveugles » (au sens moral du terme). On remarque le recours à l’antithèse, symétrique 7+7 (« opiniâtres à votre mal et aveugles à votre bien »). Attention La Boétie emploie le pluriel, cad extrapole, contrairement aux protestants qui ont tronqué légèrement le texte, le tyran désignant pour eux le roi de France.
-Accusation maintenue tout au long de l’extrait par l’emploi anaphorique du pronom, atone ou tonique, de la 2ème personne du pluriel, « Vous », ou le possessif « les vôtres », voire le déterminant possessif « vos » : Ex « Vous vous laissez… », « intelligence avec vous ? » « vos champs », « traitres à vous-mêmes » (pronom réfléchi). L’impératif est également utilisé : « Soyez résolu…  et vous voilà libres ». La Boétie ne se contente pas d’apostropher pour dénoncer, il exhorte. Il anticipe la conséquence d’un seul acte, d’une réaction : « vous le verrez ». Le rapprochement de ces pronoms et déterminants suscite des allitérations en spirantes, sans doute pour montrer le procédé toujours identique des tyrans. On notera tout de même la logique un peu simpliste (dont LB a conscience) : ne + servir ET (conséquence) : liberté…
-Surtout, LB recourt à la forme pronominale à sens réfléchi pour montrer que l’action qui part du peuple retombe sur le peuple : « vous vous laissez enlever… vous laissez piller, voler et dépouiller », plus bas : « vous vous usez à la peine… vous vous affaiblissez  afin qu’il soit plus fort» avec au passage une antithèse. On commence à percevoir l’idée originale de la Boétie. Le peuple se fait du tort à lui-même par tyran interposé.

B) Car complice inconscient

– En effet le tyran ne peut rien faire tout seul. Il a donc besoin de la complicité du peuple. Le nom péjoratif « complices » est d’ailleurs utilisé « complices du meurtrier qui vous tue » et un peu avant « receleurs du larron qui vous pille » (tournure métaphorique). L’expression conditionnelle  « s’il n’était d’intelligence avec vous » annonce cette dénonciation de la complicité paradoxale du peuple révélée par La Boétie.
– Pour mieux illustrer son propos, LB recourt à de nombreuses questions ou interrogatives rhétoriques, placées en accumulation dans le texte. Il recourt ainsi à des adverbes ou adjectifs interrogatifs : « D’où, Comment, Quel »… Chacune de ces interrogatives est construite de telle sorte que la mauvaise action du tyran (ex « qui vous épient, vous frapper, foule vos cités, vous assaillir… ») est encadrée d’un côté du moyen dont il se sert (« les yeux, les mains, les pieds »…On notera que ces derniers mots sont utilisés de manière métonymique), de l’autre côté du propriétaire de ces moyens, et c’est toujours le peuple : « si ce n’est de vous », « s’il ne vous les emprunte » « les vôtres » « de vous-même ». Donc le peuple aide le tyran à lui faire du mal, il lui offre le bâton pour se faire battre. La structure de la phrase est donc : Peuple Tyran Peuple. La réponse à la question posée sur qui aide le tyran est donc le Peuple. Il est bel et bien complice. Le but et la cause de l’action du tyran.
– De la même manière, mais cette fois-ci en recourant à la déclarative assertive, LB montre que toute action entreprise par le peuple est récupérée à son avantage par le tyran. Ex : « Vous semez vos champs pour qu’il les dévaste » et ainsi de suite… La structure de la phrase est simple : Action du peuple (« vous meublez et remplissez vous maisons», But (« pour que, afin que », pour + infinitif), Récupération par le tyran (« pour fournir ses pilleries »). L.B utilise l’accumulation pour prouver la variété des mauvaise actions du tyran : envers les filles (« luxure »), envers les enfants (pour « la guerre » et sa « grandeur » à lui, ses « convoitises », ses « vengeances »), envers grâce au travail (« peine » pour ses « délices », ses sales « plaisirs »)… Donc c’est le parfait méchant homme. Alors pourquoi lui obéir ? Chacun se fait du tort en le servant ou le laissant faire. Ce n’est pas raisonnable.

III) Excès et solution

A) Qu’attendre en effet d’un tel individu ?

– Il vous opprime (chiasme d’une phrase comme : « Bous vous affaiblissez afin qu’il soit plus fort, et qu’il vous tienne plus rudement la bride plus courte » + métaphore chevaline) + il vous espionne (« épie ») + il vous asservit (mains pour frapper, pieds pour fouler les cités, mal qu’il vous fait…), et.
– Il ne montre pas le bon exemple : outre la cupidité, il s’adonne à la luxure, ne pense qu’à « se mignarder dans ses délies et vautrer dans ses sales plaisirs », vocabulaire péjoratif
– Il ne pardonne rien, ne fait aucune bonne action : on fait allusion à ses « vengeances », à ses convoitises. Autrement dit : Colère (détruire), Gourmandise (délices), Avarice (cupidité), Luxure, Orgueil (grandeur), Paresse (se vautrer), Envie (convoitises). Bref il ne songe qu’à faire le mal.
Oui mais il a le pouvoir absolu. Comment donc s’en débarrasser ?

B) Solution

-La résistance passive. Ne plus le servir.  C’est conseillé ou recommandé dans la fin du texte (« Soyez résolus à ne plus le servir »). C’est d’autant plus facile qu’il est comparé à un colosse aux pieds d’argile. Et le peuple est sa vraie base. Si on ne le soutient plus il ne peut que « fondre sous son poids et se rompre ». Métaphore filée. Solution pacifique plutôt que le sempiternel recours à la violence (deux infinitifs : « le pousser, l’ébranler », auquel s’oppose « ne plus le soutenir »), pas toujours très efficace et dangereux.
-D’autant que LB a tout fait pour démystifier le tyran aux yeux du peuple : « Ce maître n’a pourtant que deux yeux, deux mains, un corps… ». Procédé d’énumération ascendante, ou gradation, qui vise à démontrer que le tyran n’est qu’un homme comme les autres, voire le plus vil des êtres, (« rien de plus que le dernier des habitants de nos villes ». LB rappelle que c’est l’imaginaire du peuple qui fait les tyrans, dont la seule supériorité est la ruse : « ce qu’il a de plus, ce sont les moyens que vous lui fournissez pour vous détruire » ; « celui là même que vous avez fait ce qu’il est ».
-Enfin on notera que LB insiste sur le côté psychologique qui justifie l’obstination (« opiniâtre ») et l’infirmité (aveugles »). Il faut avant tout désirer la liberté pour l’obtenir : « vous pourriez vous délivrer,… seulement de la vouloir ». Et pour mieux frapper les esprits, pour mieux guérir de la cécité, il rappelle que même les bêtes ne supportent pas ce que supporte l’être humain : « les bêtes elles-mêmes ne supporteraient pas si elles les sentaient ». Les humains ne se croient-ils pas pourtant supérieurs aux animaux ?

Concl : vérification réponse à la pbématique
Votre avis sur la thèse de LB et sa solution. Pas trop simpliste. Rappel : LB, pas dupe, cherche les causes du refus de servir.
Côté prophétique du livre.