La Dégelée Rabelais dans l’Hérault et le Gard    

                             
Si les expositions rendant hommage au maîtres du passé, tel le Courbet du Musée Fabre, font immanquablement le plein malgré leurs entrées payantes, le pari était plus audacieux de prendre Rabelais pour prétexte à une proposition vouée à l’art actuel auquel le public n’est pas toujours sensible. D’autant que ce type de manifestation ne prend son sens que si elle est perçue dans son ensemble et que, les lieux mobilisés étant légion, il faut beaucoup bouger pour enfin voir.


RETOUR SUR l’ODYSSEE RABELAIS


La surdouée, comme d’hab.
C’est évidemment Montpellier qui se taille la part du géant avec neuf lieux mobilisés sans compter que Lattes ou Aigues-Mortes voire Lunel se trouvent à quelques encablures gargantuesques de l’œil du cyclone, dont le Frac serait l’épicentre. Voué à la scatologie (anticipant sur les médisances des détracteurs), ce qu’il propose en ses locaux témoigne du souci de cohérence voulu par le commissaire et ses adjoints. On pouvait s’attendre à un appétit de géant et à du physiologiquement incorrect : l’expo tient ses promesses. Un avion coupé en morceaux censés avoir été dévorés et régurgités puis ré-encollés (Giraud et Sibony), Richard Fauguet qui multiplie les allusions intestines, Taroop et Glabel réhabilitant le pétomane, Gabriel Orozco modelant des incongruités postérieures dans du verre soufflé, Nicolas Gruppo demandant à une prostituée russe de jouer devant sa web cam avec une poire à lavement…  Tout cela fonctionne parfaitement… La Panacée propose l’espace le plus imposant, en l’occurrence voué au corps. Ce lieu est en train de devenir la référence qui manquait tant à cette ville (qui n’a pas de Carré d’art ou de Crac à sa démesure). On y voit de très bonnes choses et ce sont souvent les artistes de notre région qui séduisent le plus. Je pense à cette extraordinaire appropriation par Daniel Dezeuze de l’amphithéâtre, éclairé brièvement par intermittence et ressuscitant les fantômes de tous les « couillons » qui en auront usé les bancs. Les dessins de sexe que Pierre Joseph  a demandé à certains étudiants de réaliser de mémoire n’ont pas à rougir de leur confrontation au « Spaghetti man » à la queue de marsipulami  de Paul Mac Carthy, un peu à l’étroit dans son espace. De même les portraits anatomiques d’Eudes Menichetti, produisent leur petit effet, tout comme les opérations à cœur ouvert du Gentil garçon à partir de balles et de table de ping-pong. Luc Bouzat, que l’on est heureux de retrouver à pareille fête, tire  pertinemment son épingle du jeu en demandant à ses modèles d’exhiber leur nombril, photographié dès lors en gros plan. Le même Bouzat mène à Lunel une enquête sur la disparition magico-spatiale de son alter ego Peintrake le magicien, double de l’artiste inventé dans les années 80, l’une des productions les plus marquantes de cette période dans la région. Sans doute allait-il rejoindre Mandrake et Méliès, son interrogation sur le statut de l’artiste anticipant sur des expériences  reconnues depuis. Cette œuvre vouée au passé a tout l’avenir devant elle. Luc Bouzat, après St Etienne d’Issensac,a investi de ses empreintes végétales le temple d’Arpaillargues, hymne à la nature que l’on voudrait tant étreindre et à la vie que l’on voudrait tant prolonger. Pour le reste on retiendra surtout la vidéo en boucle d’Alain Benoit où un obèse court comme un chien, les punching-ball de Ocampo et Damag. St Anne (0467608242) déçoit quelque peu malgré la volonté d’occuper l’espace et la présence inattendue de Lawrence Wiener mettant un terme à la constipation de la créature (le géant Hulk), en sacs poubelles du Gentil garçon, en délicatesse avec l’immense cracheur de sel. Ou d’Etienne Bossut avec cette accumulation de bottes hautes en couleur. J’oubliais Javier Perez et sa créature ensorcelante toute en cheveux. A l’ESBNS (0499583285) les noms annoncés sont ceux des commissaires-adjoints, les noms des artistes semblant servir un projet. Nous ne les nommerons donc pas, on les découvre sur place, qui illustrent le thème de la guerre, puisque folie pichrocholienne il y eut : les insignes militaires de l’une, les vêtements de camouflage de l’autre, un leurre destiné à l’envoi de prétendus missiles grandeur nature, une mobylette pétaradante… Cette éviction interroge forcément sur le statut de l’artiste en train de se déplacer, soit qu’il cède le pas à des déterminations économiques, soit qu’il soit devenu un simple outil de divertissement parmi d’autres, interchangeable à foison. Pour en revenir au Frac, Dans les galeries associatives on peut trouver aussi de très bonnes choses notamment à Iconoscope (0620365747) où se remarquent surtout le pullover hors taille, le hamac géant et  la créature humaine à l’étroit dans une maison de poupée de JF Fourtou. Mais aussi l’incroyable installation optique de Loriot et Media à partir de verres à mettre en bouche. A Aperto (0467725741) la mode déferlante des « costums » est mise en valeur avec ce banc ou ce drapeau popularisé par Lionel Scoccimaro et son intérêt pour la culture skate. A Boîte noire (0686582562) Carlo Zagari déploie de grands dessins carnavalesques. Vasistas (0467524737) a pertinemment invité Dominique Gauthier et ses figures rondes ou elliptiques superposées dans un foisonnement baroque et multicolore. David Wolle déploie sur ses petites toiles ses concrétions scripturales rappelant des enluminures devenues folles de sensualité charnelle et colorée. A l‘inverse le traitement du texte biblique de Julien Audebert témoigne d’une démarche minimaliste et d’une réflexion sur la visibilité de l’invisible. Vasistas s’interroge sur le langage graphique, le Château d’O l’attaque selon une autre perspective, plus sémantique et ludique. En témoignent les rébus d’Elisabeth Krotoff sur toile, à partir d’un extrait rabelaisien ou l’installation sciante de Collin-Thiébaut. Mais aussi le jeu de transcription phonétique d’une chanson anglaise par Armelle Caron (à découvrir aussi à St Gervais sur mare) ou celle en langage des signes du personnage filmé par Grégoire Fabvre. Pierre Tilman joue de la paronomase Dire/rire. D’autres s’intéressent à la gestuelle muette telle Agnès Fournells  filmant d’énigmatiques cérémonies durant lesquelles le public est le véritable acteur d’interventions qui gardent leur secret. C’est tout de même Abdelkader Benchamma qui attire le plus l’attention avec son dessin mural où les mots mangent la tête du personnage pris comme dans un essaim. Et surtout Daniel Firman, avec ses hauts parleurs sculptés à la langue ou sa bibliothèque en trompe l’œil exposée en plein air sur la pelouse tandis que les allées sont jalonnées d’enseignes de Patrick Corillon. A noter une surprise : un clin d’œil d’Emmanuel Latreille à la presse locale, qui le tient  quotidiennement au jus.


Les cracs du Crac


Au Crac de Sète, moins de choses présentées mais le gigantisme compense la quantité. Tournant autour du « monde à l’envers » on peut y voir d’emblée deux ballons dansant sous le souffle d’une couronne de ventilateurs simulant une guerre des mondes chaplinesque, d’Annette Messager. Le catalan Barcelò a érigé une masse éléphantesque reposant sur sa trompe. Une autre façon de concevoir la sculpture. Le belge Eric Duyckaerts (Panacée aussi) se fend d’une de ses parodies de conférence dont il a le secret, ici vénitienne… Le crac reste fidèle à ses artistes de prédilection puisque outre ce dernier on retrouve l’anglais Glen Baxter et ses grands dessins empruntés aux comics dont le sujet est détourné avec humour pour proposer des remarques sur l’art. Et puis notre star nationale Fabrice Hyber, sa voiture à double capot, sa politique de l’autruche, et sa guillotine. Wim Delvoye se taille la part du gâteau avec son « cloaca », tube digestif technologique, qui choquera les âmes, goûts et couleurs des êtres sensibles. Enfin, l’enfant du pays, Combas accueille avec sa figure de proue sur le parvis, un navire sur la tête (la frégate est aussi le motif de l’inquiétante vidéo de Thys et De Gruyter) en noir et blanc, très Dubuffet en l’occurrence. Jusqu’au 14 septembre, 26 quai aspirant Albert, 0467749437.


Coquilles, Pescalunas et petits moutons.


A Louis Feuillade (Jusqu’au 31 août, 0467878419), à part Luc Bouzat qui est la véritable surprise de la sélection avec son « Porté disparu » sur son double Peintrake, on retrouve avec plaisir les ciels nocturnes tels qu’ils se présentaient la veille de grandes catastrophes comme Guernica ou Hiroshima de Renaud Auguste Dormeuil. Le thème est en effet l’astronomie. Imposante sculpture de Laurent Perbos comme une planète suspendue à partir de piscines et de bouées en matière plastique très vive. Les astronautes d’Hubert Duprat semblent chercher à conquérir le nouvel habitat de l’espace, à moins qu’il ne s’agisse d’y retourner. Barbara et Michel Leigsen déclinent l’alphabet du soleil selon une technique qui conserve son secret. Enfin Yvon Le Bozec (Panacée, O) use d’une boule au plafond pour nous faire assister au ballet des étoiles. La ville vouée à la lune méritait que l’on fouille du côté de sa toponymie dans un délire d’almanachs et tarots prophétiques. Au musée de Lattes (390, route de Pérols, 0467997720), Johan Creten (Vasistas)  se glisse dans les vitrines  vouées aux objets archéologiques, sur les murs ou entre les objets étrusques, les stèles mortuaires ou les céramiques sigillées de l’ancienne Lattara gallo-romaine. Certaines sculptures en particulier, faites de fruits ou  de fleurs  enveloppant le corps, de visages noirs coincées dans une moule ou une huître perlière, dialoguent avec des vestiges d’un autre temps. Ainsi sont réconciliées deux époques dans une odor di femmina et d’hommage à la déesse de l’amour. A Aigues mortes au-dessus du porche de l’entrée principale, les moutons en couleurs de Maurin/La Spesa, accrochés comme des gargouilles, surprennent les visiteurs et les incitent à aller voir de plus près les remparts de la citadelle. Ils ironisent sur le tourisme de masse et essaient plusieurs façons de mourir. A l’intérieur des remparts, leur autruche à deux têtes, semble arrogamment toiser les blaireaux et autres bébêtes puantes qui passent sans les voir. Daniel Firman la montre à l’envers, pattes en l’air et plumes au derrière, pratiquant sa fameuse politique de. Enfin deux installations de Delphine Gigoux-Martin suscitent des réactions mitigées : ces poussins plantés au mur comme des fléchettes ; ses dizaines d’oies embrochées et qui tournent sans fin. Toujours pour le sacrifice de la vie à l’hégémonie humaine, sa capacité de surconsommation. Juqu’au 28 septembre. Logis du gouverneur, 0466536155.


Ni toi nîmois


Nîmes est moins bien servi mais on vient plutôt à Nîmes pour Carré d’art ou son école (qui eût pu être associée à cette manifestation tellement Paula Rego y avait sa place). Toutefois les photos de Natacha Lesueur au PPCM (Musée des Beaux-arts, Alès), à partir d’éléments de nourriture disposés sur le corps ou le visage  procurent sans doute l’une des plus grandes émotions de ce tour d’horizon. L’hommage à Sydney Houiller, à 4 Barbier est amplement mérité et nous fait regretter sa brusque disparition,  ses sculptures de toile figurant des mains ou avatars de membres. Au bar de Pannetier on peut déguster des petites pièces dont il a le secret et dont on se demande toujours comment il les a dénichées et quel flair l’a conduit à les choisir. Reynier, Gagneux, Morellet, Maillaux, et évidemment Sanejouand prouvent que Rabelais peut rimer aussi avec subtilité. D’autant que Pannetier y révèle les dessins singuliers d’un profane, Michel Cadière, qui poursuit une quête graphique obstinée du mystère des êtres et du monde en accord avec l’univers rabelaisien fait de très hautes arcanes et horrifiques mystères. Au musée des Beaux-arts on voyage d’une île à l’autre, sonnante en l’occurrence, avec l’installation sonore De Marcel Dinahet mais surtout dans le fantastique, avec les paysages moisis ou  liquides et organiques de Michel Blazy  (Iconoscope). Une révélation : le surnommé Invader qui envahit nos villes, Nîmes comprise, de son logotype jeu-vidéo, également transcrit au pochoir sur des murs citadins. Les vidéos sont mélangées à la collection habituelle ce qui évidemment crée une sorte de décalage, dont témoignent les images couleurs télévisuelles de Jugnet et Clairet, ou surtout l’horloge numérique inédite de claude Closky. Jusqu’au  28 septembre, rue cité Foulc, 0466673821.


Très à l’aise Parking du pont du Gard et Chartreuse bandée


Au musée PAB et à l’espace Rochebelle d’Alès, où il y a à boire et à manger, on peut déguster les magnifiques dessins de Gustave Doré illustrant les aventures du géant.  Il y a du spectaculaire comme le ver « solitaire » géant de Patrick Van Caeckenbergh, du prodigieux comme les poissons ou crânes garnis en chocolat tellement vrais qu’ils sont faux du Gentil Garçon, du parodique avec ce tapis rehaussé de la Cène par Ernest T, de l’inattendu comme le gaufrier géant voué au béton de Dejode et Lacombe, Espace Rochebelle. Au musée, le tableau-table de restaurant très école réaliste de Spoerri, le cerf plein de mouches, naturalisé et affaissé sur ses bois de Ghyslain Bertholon, un dîner drapé, in présentia et in absentia, dans le diptyque de Cottenceau et Rousset. Un triptyque vidéo d’Alain Lapierre sur un banquet qui tourne à la conférence. Le tout se mêlant progressivement.
Le Pont du Gard (0820903330) est la bone surprise de cette dégelée. C’est en effet la plus cohérente dans ces choix, l’atmosphère et le rapport à l’extérieur (gorges du Gardon). Tout y est pertinent : du triptyque vidéo de l’entrée (l’avancée continue dans les égouts de Fichli et Weiss, l’incroyable marche de 6 heures de Gianni Motti, les percussions iconiques de Claude Closky) à la grotte finale modelée par Anita Molinéro de vénilia rouge. Entre temps l’oreille géante de Lili Fantozzi, par laquelle serait né Gargantua, un rocher cassé-collé d’Hubert Duprat, une construction labyrinthique en éléments de fumisterie de Richard Fauguet, l’homme adipeux et asexué à la carotte d’Alain Benoit qui tourne quand on s’en rapproche, une incroyable chaussette multicolore pendue au plafond et qui se termine par une vidéo qui en entreprend l’exploration de Pascale Wiedemann, les souches en tuyaux d’arrosage de Christian Robert-Tissot, l’homme en fin de vie de Serge Leblon. Tout cela dans une ambiance feutrée et un souci de mise en scène assez réussi à tout prendre. Avec en prime un guide zélé et compétent. C’est moins évident à Villeneuve les Avignon (CIRCA, la Chartreuse 0490152424) si l’on excepte le fait que les œuvres priapiques soient reléguées comme il se doit dans la burgade, un coin isolé de l’abbaye. Pas de, chance deux vidéos ne fonctionnaient pas, aucun préposé aux renseignements, le chaudron sonore au cœur battant de Rémi Dal’l Aglio demeurait désespérément silencieux et aucun robot en rut à se mette sous la dent comme promis (Paul Granjon). On se console avec la gentillesse de la préposée à l’accueil et, quant aux œuvres, avec les parties de jambes de Agnieska Podgorska, les phallus, dont un en granit, inversé, de Stéphen Marsden, ou le moulage d’un violoncelle à tête de nœud et au collier de pneu d’Etienne Bossut. Le reste est un peu décevant, Lucien Pelen par exemple n’étant pas mis en valeur (Carcassonne). Dans une allée jadis dévolue à l’entrepôt agricole, la moissonneuse batteuse grandeur nature et factice de Pascal Rivet. Au Fort St André, puissante bâtisse médiévale, il faut longuement marcher et monter les ardus escaliers des tours mais on s’amuse du massage thaï d’un petit pied trouvé contrastant avec les sandales de géant d’Agnès Rosse dans l’église de l’ancien bourg, ou des artistes-équilibristes miniatures montés sur un éléphant rose lui-même paradant sur un tabouret du duo Maurin/La Spesa. Philippe Favier joue la « carte » du minuscule avec des petits dessins dont il a le secret. Tandis que Nicolas Rubinstein dessine des Mickey sur les cartes américaines ou africaines (Tour des masques). Quant à Patrice Carré, il a mis en scène des reconstitutions de bataille navale à grand renfort de pirates et capitaine Haddock. Impressionnantes vidéos exotiques et maritimes, parfois houleuses, de M. K Abonnenc dans les tours jumelles. Plus loin, tour Philippe Le bel, Pierre Joseph occupe les étages avec ses vidéos et installations, dont ce monceau de canettes et cette critique des critiques primaires sur l’art contemporain. Certes il faut slalomer entre les horaires des uns et les jours de fermeture des autres mais Rabelais méritait bien un périple estival (incomplet puisqu’il se prolonge en l’Aude de Carcassonne et Lagrasse, Les PO de jau, la Lozère de Mende,  vallon de Villaret). Pantagruel l’a bien entrepris aux temps jadis. Latreille, tout aussi assoiffé aussi. BTN
L’ensemble des expos jusqu’au 28 septembre, le plus simple étant de se procurer un programme au Frac. Sauf Château d’O, jusqu’au 19 octobre, Avenue des Moulins 0467677617.