SPLEEN 4


Introd : Auteur, recueil en vers Les Fleurs du Mal, section Spleen et Idéal. Organisation de la section. 4 Poèmes intitulés spleen.
Étymologie de ce nom anglais renvoyant à l’organe, la rate, qui sécrète la bile noire qui, selon la théorie médicale des humeurs, serait à l’origine de la mélancolie.
Quatrains en alexandrins tentant de fournir une définition illustrée de ce sentiment dysphorique.
Problématique : comment le poète décrit une crise aigüe censée illustrer sa conception du spleen.


Plan :


I) La crise aigüe


A) Exprimée par la composition pertinente du poème
– Les 3 premiers quatrains sont construits sur un crescendo : Le premier renvoie à la pression qu’exerce « le ciel » (v.1) qui « pèse » (accent tonique sur le verbe et rythme 3315) et ferme, de surcroît, littéralement « l’horizon embrassant tout le cercle » (v. 3 allit en sifflantes) : Ce qui produit une impression d’enfermement. Cela se poursuit avec la « terre » v. 5, comparée à « un cachot » (le grand paraît petit) ce qui renforce ce sentiment de claustration. Enfin le troisième évoque la pluie qui descend du ciel vers la terre, « imite les barreaux » (v. 9 avec inversion syntaxique) d’une « prison » et surtout s’intériorise pour enserrer le cerveau créateur dans ses « filets » au v.12. On sent donc bien la gradation dans la pression exercée « sur l’esprit du poète v2, avec enjambement).
– Le quatrième est comme la réaction de révolte de l’esprit face à cette agression qui s’exerce vers le bas. Comme le ciel en semble l’origine, c’est vers lui que s’effectue la réaction (« vers le ciel » v.14). Cette réaction est d’une part sonore sur deux vers (« des cloches… sautent… lancent vers le ciel… hurlement », puis traduite visuellement sur deux vers aussi, par le gémissement des « esprits » fantomatiques au v.13. Le bruit (cloches…) répond au silence précédant la tempête du vers 11 (« un peuple muet »…).
– On attendait ainsi un apaisement au 5ème ; C’est tout le contraire qui se produit. En effet on sent comme une reprise du mouvement de pression vers le bas avec la vision de « corbillards » au v.17, qui renvoient à l’enterrement, donc à plus bas que terre. Et surtout à l’impression d’engloutissement maritime, bien exprimé par le rythme haché des vers 17 à 19, avant la vision finale du pirate triomphant de la chute au vers 20 (« son drapeau noir »). Donc 3 mouvements, un de malaise croissant, un de révolte, un de défaite définitive (« crâne incliné »).


B) La construction syntaxique souligne ou accompagne cette construction


– A y regarder de plus près, on se rend compte que les trois premiers quatrains commencent par la conjonction de subordination « quand », relayée deux fois par sa reprise « et que » v1, 3, 5, 9, 11). Les 3 premiers quatrains sont donc des subordonnées temporelles en attente de la principale qui doit permettre d’achever la phrase. Ce procédé anaphorique produit une impression d’accumulation qui sert bien le mouvement de pression étayé par l’étude du vocabulaire. Cela produit également une impression de lenteur insupportable, bien marquée par l’adjectif « longs », de plus mis au pluriel au v.2, par l’aspect duratif du verbe « verse » au v.4 ou par l’évocation monotone de la pluie au v.9 (« étalant ses immenses traînées », rythme 3333 + nasales).
– La principale n’arrive donc qu’au quatrième quatrain, ce qui est assez souligner la longueur de la phrase (16 vers !). En gros : quand il se passe ça + ça + ça etc. voilà ce que cela produit. Une sorte d’explosion bien montrée par le mouvement « sautent » des « cloches » au v.13 (rythme irrégulier 2415 avec verbe accentué) et la violence « furie ». Mais on a déjà le sentiment d’une réaction désespérée car l’impression de lenteur n’est pas éliminée (« hurlement » suppose la durée, de même que le participe « errant » et surtout l’adverbe interminable « opiniâtrement », renforcé par la diérèse, placé à la rime et couvrant tout l’hémistiche.
– Certes le cinquième quatrain est séparé syntaxiquement par un point du 4ème, mais il y est rattaché tout de même par la conjonction « Et » en tout début de strophe. On a donc l’impression qu’il s’agit d’une indépendante qui dévoile la conséquence ou l’effet du mouvement de révolte… mais aussi d’une reprise du malaise croissant des 3 premiers quatrains et donc d’une deuxième principale (cela produit cela, mais aussi encore cela). On retrouve en effet la lenteur « longs corbillards », qui « défilent lentement » (3333 + liquides et nasales) et surtout la pression exercée sur le cerveau, pire même puisqu’il s’agit à présent d’agression : « plante son drapeau noir » (3315 avec verbe accentué) comme pour faire taire l’esprit et sa volonté de s’élever par la création (Dieu n’aime pas qu’on l’imite. C’est la trace toujours ravivés du péché originel, la malédiction qui pèse sur l’homme, et notamment les poètes). On retrouve enfin le silence inquiétant de la strophe 3 « muet » : « sans tambour ni musique ».


II) Le poème est censé aussi fournir une illustration de ce qu’est pour le Poète le spleen.


A) Partons de l’humeur noire.


– Le mot humeur renvoie aux substances liquides qui traversent notre corps (sucs, sang…). On notera donc l’importance de l’élément liquide dans le texte, qui lui donne d’ailleurs son atmosphère. Par l’allusion bien sûr au ciel « bas et lourd », les deux adjectifs laissant présager un orage que l’on espère libérateur. Par le verbe « verser » toujours dans le premier quatrain. Par l’adjectif « humide » au v. 5 avec tout ce que ce mot connote de désagréable et malsain, d’autant que les plafonds du cachot sont dits « pourris » au v. 8 – par l’humidité précisément. Et puis bien sûr le 3ème quatrain consacré à la pluie et à ses immenses traînées. Le dernier quatrain n’y échappe pas puisqu’il relevait de l’univers maritime des pirates, l’esprit étant l’élément à couler, selon la volonté implacable du ciel.
– De même, le noir est omniprésent. Dès le début du poème, il et question de « jour noir » ce qui forme un oxymoron, une anomalie, comparé de surcroît non seulement à la nuit mais à « des nuits » (donc pluriel comme comparant du jour seul). Le cachot du 2ème quatrain ne doit pas être bien éclairé et l’on sait que la « chauve-souris » du v.6 vit dans les ténèbres. De même pour les « araignées » du 3ème quatrain qui vivent dans des recoins sombres et trament des complots muets (sans s’exposer à la lumière forcément) : « un peuple muet… vient tendre… » ; Personnification au v.11 et 12. On retrouve le noir avec la vision des corbillards et, bien sûr, celle du drapeau final.
– Mais ce qui correspond le mieux à la définition baudelairienne du spleen, c’est l’ennui. Baudelaire le met au pluriel dans le 1er quatrain et l’intensifie avec l’adjectif « longs » v.2. Il semble personnifié puisqu’il exerce son oppression « sur l’esprit », ce que marque bien l’expression « en proie » qui place celui-ci en position de victime. Il faut prendre le mot « ennuis » au sens fort de remise en question de son existence même dans le monde, du sens de la vie, bref de toutes ces questions qui peuvent mener à la mélancolie voir au désir de mort. De plus, pour qui connaît la destinée ultérieure de Baudelaire, le texte est prémonitoire. Le poète finira aphasique et paralysé, comme si l’on avait effectivement planté un drapeau sur son crâne pour l’empêcher de s’exprimer.


B) Et d’autres impressions désagréables/dysphoriques.


-En rapport avec l’horreur, l’épouvante. Les araignées qui viennent « tendre » leurs filets au fond du cerveau ont quelque chose de répugnant lié en particulier au contact froid et gluant (sonorités en pmfv, bi labiales et spirantes). La « furie » des cloches a quelque chose d’inquiétant, d’inhabituel d’autant que leur hurlement (elles sont animalisés voire humanisées) est dit « affreux ». Il en est de même pour ces « esprits errants et sans patrie» qui semblent vivre dans quelques limbes (le recueil devait s’intituler Les limbes) en attente d’un salut futur et se contentant de gémir, victimes de l’injustice divine. On pourrait y ajouter les chauves-souris qui font en général peur.
– On a également un sentiment de violence, surtout dans la dernière strophe et son dernier vers, sonorités dures KKPD malgré la traversée de l’os suggérée par les r et l. Mais également dans le sursaut des cloches, incarnation du mouvement de révolte du Poète contre son oppression. Ou dans le piège ourdi par les araignées, devenues stratèges militaires : « vient tendre ses filets». Ou encore dans le verbe « cogner » associé à un sentiment de dégoût (pourris) dans le Q 2. Le mot « furie » aussi.
– On a également un sentiment d’étouffement et d’encerclement, notamment dans le Q 1, puis que le ciel est comparé (comme) à « un couvercle », nom qui coiffe le vers et qui conclut toute une série de monosyllabes, lesquelles donnent une impression de martèlement + sonorités dures (KBPKKK). Et le vers 3 avec son inversion syntaxique, et ses allitérations en sifflantes, fait penser à un serpent qui vise à étouffer l’esprit, lequel voudrait créer cad s’élever (rivaliser avec Dieu). L’univers se réduit d’ailleurs pour le Poète puisque l’on passe de cet encerclement (l’horizon se réduit) à la « prison » ou au « cachot » puis aux « barreaux » et enfin aux « filets » «(gradation donc).


III) Recours à l’allégorie.


A) Trois majuscules dans le texte


-Elles sont assez facilement repérables du fait de la majuscule qui les distingue. Elles sont au nombre de trois, l’Espérance, que le mythe de Pandore laisse au fond de la boîte à méfaits, et que la religion a érigée en vertu théologale (avec la foi et la charité), l’Espoir qui est assez proche et qui est en conflit avec l’Angoisse, qui a pris le dessus sur lui, comme on le voit dans le dernier Q, qui se termine par son triomphe.
– L’Espérance est curieusement comparée à la chauve-souris. En fait au-delà du fait que cet animal vit dans les cachots ténébreux, il a la particularité d’avoir une sorte de double nature à l’instar du Poète : il aspire à l’air et donc au ciel par ses ailes (cf. L’albatros ou Élévation) et est maintenue au sol par sa condition de mammifère. Tout comme le Poète qui rêverait d’espaces infinis, d’absolu, et qui est voué à une existence de reclus et même, on l’a vu, d’exilé (ici « les esprits…sans patrie »). La chauve-souris est saisie dans ses mouvements désordonnés (sons durs KTPP, et insistance sur le participe « cognant »). La chauve-souris, comme l’esprit du Poète, ne peut s’élever et se heurte aux limites de la condition humaine, à la finitude de l’existence. On notera le recours subtil à la métonymie (« son aile », pour les deux en fait, timide signifie apeurée).
– La lutte entre l’Espoir (en contre-rejet, position inhabituelle au v.18) et l’Angoisse est présentée comme une bataille navale avec d’un côté un « vaincu », et qui très humainement « pleure » et d’un autre côté, toujours personnifié, un pirate violent. Deux adjectifs la caractérisent : « atroce et despotique », tous deux négatifs et connotant l’oppression. D’où l’impression de violence déjà soulignée (« plante »). L’angoisse peut être ajoutée aux diverses formes du spleen. Le « crâne incliné » du poète signale, non seulement la défaite, mais la soumission de l’esprit humain à la volonté divine. Rythme heurté soulignant les sanglots et le lent engloutissement du navire-esprit.


B) Intériorité/extériorité.


-Ces allégories sont l’incarnation es sentiments contradictoires éprouvés par le Poète. Ainsi celui-ci traduit-il son monde intérieur grâce à des visions extérieures et inversement traduit-il dans on monde intérieur les sollicitations qui lui viennent de l’extérieur.
– Par ex, il est évident que c’est la vision du « ciel bas et lourd » qui a une incidence sur le monde intérieur de Baudelaire, son « esprit ». Ce dernier est d’ailleurs dit « gémissant » cad qu’il est personnifié, en personne souffrante. Le ciel bas et lourd inspire alors la souffrance intérieure, mentale ou morale. Enjambement surprenant du v.1 sur le v.2 comme si l’on ne pouvait pas arrêter cette influence. De même le jour dit noir cad sombre inspire la tristesse (plus triste que…) au v.4.
– Mais inversement, c’est le monde intérieur qui modifie l’apparence extérieure. Cela se voit au vers 12 : « Quand la terre est changée… ». Par qui d’autre serait-elle changée sinon par l’esprit du Poète ? Même remarque de cette subjectivité : La pluie n’imite pas les barreaux. C’est le Poète qui l’interprète ainsi. La vision des « corbillards » est d’ailleurs bien indiquée ; Elle se déroule « dans mon âme ». Il est parfois difficile chez Baudelaire de distinguer l’intérieur de l’extérieur. C’est cette porosité entre le monde et l’homme qui peut se définir comme symboliste. On retrouve l’unité perdue.


Conclusion : vérifier réponse à question posée. Définir clairement le spleen et ses enjeux pour Baudelaire. Recourir à la Mélancolie de Dürer.