Une créature céleste s’adresse au Memnon de Voltaire sous le forme d’un apologue censé lui expliquer qu’il ne faut demeurer imperturbable face aux malheurs qui s’abattent sur nous d’autant que les apparences sont trompeuses : en amour.

PROPOSITION CORRIGE SUJET D’INVENTION

Je m’en vais, ô malheureux terrien, vous conter une petite histoire, très connue sur ma planète et qui me semble à même de vous consoler de tant d’infortunes et déboires survenus en un laps de temps si court. Il était une fois donc, en une lointaine province habitée des confins de l’univers que vous appelez, je crois, l’anti-Terre, un jeune homme qui se nommait Saturnin qui vous ressemblait beaucoup, du moins avant que vous ne perdissiez votre œil droit. Il était riche et beau, d’une respectable famille de savetiers enrichis par d’honnêtes placements financiers n’ayant eu pour seul inconvénient que de mettre sur la paille la moitié de la principauté. Cela avait valu à son père en particulier une grande considération auprès des gens de bien et sa place de ministre du Prince. Saturnin du moins ne mangeait pas de ce pain là. Il était très apprécié de nos dames et demoiselles, lesquelles prisaient plus particulièrement ses richesses. Son célibat attirait d’autant plus les convoitises qu’il avait la réputation d’être d’un caractère doux, placide et généreux.

Or il allait sur ces vingt-cinq ans et n’avait toujours pas trouvé chaussure à son pied. Ses parents cependant n’avaient de cesse que de le marier à la plus riche héritière de la région, laquelle ne lui plaisait pas parce que notre paisible héros n’aimait que les brunes, plutôt rares en ce pays, où les filles venaient au monde avec une blondeur naturelle qui ne les quittait point même en grandissant. Une nuit, tandis qu’il se promenait au clair de l’anti-Lune de cette anti-Terre dont je vous parle, il vit, au bord d’un clair ruisseau, solitaire et mélancolique, mignonne à croquer, une jolie petite brune qui grignotait des prunes.

Se pourrait-il que ce fût la créature idéale à laquelle il aspirait en secret ? Etait-ce une déesse descendue de son Olympe ? Ou tout simplement, comme moi, une voyageuse intergalactique venue respirer l’atmosphère de cette petite boule de boue sur laquelle, nous apprend-on dans nos écoles, il fait si bon vivre ! Son sang ne fit qu’un tour. En trois enjambées, il se trouvait à ses genoux. La jeune femme se retourna : lui sourit tendrement, lui tendit la partie non mordue de sa prune et il sut que c’était en principe pour la vie. L’arc de chacun de ses sourcils décocha deux flèches dans son petit cœur de novice tandis que les boucles de ses cheveux commençaient à tisser dans son âme exaltée tous les rets de la passion la plus vive ? Ils se prirent la main et se dirigèrent vers le pavillon le plus proche car la nuit est plutôt fraîche, près des eaux courantes, dans nos contrées. Il lui dit qu’il l’aimait depuis toujours, qu’elle était trait pour trait à la créature de ses rêves et qu’il n’avait point de plus ardent désir que celui d’en faire sa femme, d’autant qu’elle n’était point blonde. La jeune femme répondit en rougissant qu’il lui plaisait aussi beaucoup et qu’elle acceptait la proposition à condition que ses parents le voulussent. Elle y mit également une autre condition : que chaque fin de semaine, il la laissât seule revenir honorer ce lieu sacré de leur première rencontre, et qu’il ne la rejoignît qu’à la tombée de la nuit, afin de raviver incessamment les souvenirs de leur premiers instants de bonheur. Elle ne serait pas là pour les prunes, elle le lui jurait sur la tête de sa mère, laquelle lui avait donné les meilleurs conseils du monde habité. Il acquiesça, fit les présentations à ses parents manifestement heureux d’accéder à son souhait le plus cher. Il épousa. Ils auraient dû vivre dans l’allégresse et faire ce que l’on fait dans ces cas-là, ainsi que le prétendent vos contes, mais il la trouvait tellement belle, tellement parfaite et surtout tellement brune qu’ils ne parvenaient pas à avoir d’enfants, du moins au terme des trois premières années et rien ne laissait présager que la jeune épousée fût engrossée. A ce détail près, les deux jeunes gens filaient le parfait coton, surtout lui d’ailleurs et, tous les sept jours, le jeune homme jouait aux échecs avec son père en attendant le moment propice du rendez-vous. Or, l’un de ces jours précisément, l’une de ces personnes qui vous veulent du bien en vous faisant du mal glissa quelques mots à l’oreille du jeune homme. Il ne s’agissait que de ragots certes, de surcroît est émanant de blondes sur le point de coiffer Sainte-Catherine, et qui avaient de bonnes raisons de s’avérer déçues de son inexplicable choix. Et si sa jeune épouse retrouvait en fait un ancien soupirant éconduit ? ll sourit à ces médisances et se dit qu’elles feraient bien rire sa femme. Son impatience lui fit rompre le pacte si bien qu’il arriva au rendez-vous avec trois bonnes heures d’avance.

Et là, savez-vous ce qu’il découvrit ? Le comble de l’abomination. Le paroxysme de l’horreur. La mangeuse de prunes était blonde et, en fait d’amant, elle retrouvait toutes les fins de semaine, sa mère, une magicienne célèbre qui, à force de mixtures phytothérapiques, de bains de boue et d’incantations sibyllines, la rendait aussi brune qu’une de vos andalouses. Eh bien savez-vous ce qu’il fit ? Il ne fit rien du tout. Il attendit l’heure du rendez-vous et se comporta comme si rien ne s’était passé, se demandant même s’il n’avait pas rêvé. Il se dit qu’après tout, chaque femme a son secret et que la sienne demeurait toujours aussi belle, et surtout aussi brune durant la majeure partie de la semaine, ce qui était quand même l’essentiel. Il en tenait une et, les vraies brunes, ça ne courait pas les rues ni les ruisseaux ; il se résigna donc. Et il en fut récompensé : ce ne fut pas un, ni deux, ni trois mais sept beaux garçons qui naquirent dans les années qui suivirent, blonds comme leur père, mais ça ce n’était pas pour lui déplaire…

C’est ainsi que notre anti-terrien apprit que la sagesse consiste à garder la tête froide devant un malheur qui vous touche de près. Le bonheur après tout ce n’était pas forcément une question de couleur de cheveux. Et un malheur apparent peut cacher un bien futur. Eh puis la trahison n’était pas si grave. Toutefois ne te réveille pas tout de suite ô malheureux terrien mon histoire n’est pas finie. En voici maintenant d’une autre cuvée. Tu verras qu’il n’y a pas qu’en matière amoureuse que les apparences sont trompeuses.

La naissance du septième garçon fut saluée par sept coups de canon et par un immense festin au palais du père de Saturnin. Il convenait de fêter dignement l’avènement du divin enfant. Ce fut Saturnin qui s’occupa des invitations. Ainsi le jeune homme, bon comme du bon pain, invita tous les mendiants de la principauté et leur fit servir de l’alcool de prunes anti-lunaire, qui est un peu chez nous l’équivalent de votre muscat de Lunel. Il aimait bien ça lui aussi d’autant, qu’après tout, la prune était un peu son fruit porte-bonheur. Un peu gris lui-même, au summum de la félicité, il déclara à l’assemblée, peu reluisante il est vrai, qu’il avait généreusement invitée qu’il était heureux de partager son bonheur avec elle, que tout était pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles et conclut par ces mots sut lesquels d’aucuns devraient méditer avant de les énoncer : Je vous en prie, faites comme chez vous. Le résultat ne se fit guère attendre. Sous l’emprise eux-mêmes de l’alcool, et un peu aussi par esprit de vengeance par rapport au propriétaire des lieux, les langues se délièrent, les insultes éclatèrent, les coups  » pleuvèrent « , je sais que l’on dit plurent mais, outre que ce mot ne me plaît pas, nous avons bien droit, sur l’Anti-Terre, à nos petits idiotismes locaux. Certains se rappelèrent que leur état misérable n’était pas sans rapport avec les opérations frauduleuses dans lesquelles avait trempées l’ancien cordonnier et ils décidèrent de passer à l’acte. La maman fort heureusement se reposait en sa maison de ville. Mais au palais, quelle razzia ! Malgré les gardes du palais dont c’était la mission que de monter la garde, chaque mendiant en prit par là où il pouvait : pas un brin de vaisselle dorée, pas un chandelier, pas un portait de valeur qui ne résistât à leur fureur vengeresse. Le coffre fut pillé, le cellier vidé, les servantes déshonorées. Le père de Saturnin dut prendre ses cliques et il reçut bon nombre de claques probablement méritées. Avec la paille sur laquelle on les avait mis, la demeure fut incendiée. Là où se dressait une fière bâtisse, il ne restait plus qu’un champ de ruines enfumé. Saturnin, plus sage que téméraire, s’était mis à l’abri dès les premiers signes du saccage, comprenant qu’après tout, la Justice ne faisait que suivre son cours et palliait les jugements défectueux des cupides humains. Il attendit que le calme fût revenu et se mit à chercher si par hasard un bijou ou une bague n’aurait pas échappé aux pillards, qu’il aurait pu ainsi rapporter à sa toujours bien-aimée.

Il était ruiné certes puisque sa fortune lui venait de sa famille mais après tout une nouvelle vie commençait, fondée sur l’honnêteté et le travail bien fait. Lequel, ça on verrait plus tard. Il en était là de ses méditations et de sa quête quand il aperçut une dalle surmontée d’un anneau, en lieu et place de l’ancienne cheminée du palais à présent détruit. Il la souleva et ce qu’il vit ne laissa pas de l’étonner. Il venait de trouver le trésor des anciens incastèques, des créatures célestes comme moi, venues d’on ne sait trop quelle planète pour fuir la cruauté d’envahisseurs d’un autre continent. Une vraie caverne d’Ali Baba, si j’en crois le conte bien de chez vous que j’ai lu durant mon voyage interplanétaire. La moindre perle pouvait acheter un palais tout neuf. Il était à nouveau riche. Car des incastèques, il faut bien le dire, ça faisait pas mal de temps qu’ils n’en avaient pas vu dans la région qui puissent revendiquer un tel patrimoine. Il rassembla ce qu’il restait de gardes armés, leur demanda de surveiller le lieu du trésor et d’attendre son retour. Il se remplit par précaution, et il fit bien car on n’est jamais assez prévoyant, les poches de tout ce qu’elles pouvaient contenir avant de rejoindre son incontournable brune – parce qu’elle avait grossi, pensez après sept accouchements ! Il lui compta son histoire, tandis que les gardes, dès qu’il eut le dos tourné, faisaient en tout point comme lui sauf sur le tout dernier point, vu qu’ils étaient mariés à des blondes. Il dit aussi qu’il faudrait recueillir ses parents. Elle accueillit la nouvelle sans grand enthousiasme mais les bijoux lui allaient à ravir.

Tu peux donc voir ô malheureux terrien qu’un malheur apparent peut aboutir à un bonheur plus grand. Le tout est de ne pas se désespérer trop vite, ni de s’imaginer que ce que vous appelez la Providence ne sait pas toujours ce qu’elle fait. Nous la connaissons aussi, elle agit tout comme chez vous et en voici une dernière preuve.

Saturnin et sa toujours brune bonne femme passèrent dans leur maison plus modeste et en cœur de ville où ils vivaient discrètement, appréciés du voisinage et même des quelques rares mendiants qui restaient. Ils avaient espacé les rendez-vous dominicaux car on les parents ne cessaient de répéter que ce n’était plus de leur âge. Les sept enfants grandissaient. La brunette s’arrondissait. Ses cheveux bruns se faisaient plus rares. Un jour pourtant un étranger beau comme un astre, aux traits purs comme un ange, demanda à être reçu chez notre amateur de prune confite. Celui-ci, à son accoutumée, offrit l’hospitalité car après tout ce pouvait être un messager que Dieu envoyait pour vous éprouver. L’étranger parla de son pays, une contrée perdue au fin fond de la brousse anti-terrienne où les femmes corpulentes jouissent d’une grande réputation, surtout si elles portent des bijoux de valeur, et il parla si bien, si longuement, que Saturnin ne put que l’inviter à passer la nuit chez lui. Au réveil, sa femme n’était plus à ses côtés, comme tous les jours depuis quinze ans. Saturnin se frotta les yeux et n’en crut pas ses oreilles. Les bijoux sonores, qu’il cachait derrière un portrait de sa vieille bien-aimée, avaient disparu. Qu’auriez-vous fait à sa place ? Vous lamenter sans doute… Il n’en fit rien. Il avait sept bouches à nourrir. Il n’avait plus les moyens de subvenir à ses besoins. Il convenait d’être réaliste. Ce n’était pas le moment de céder au désespoir. Il se dit que pour réfléchir au calme, ne pas entendre les avis insistants des parents, pour faire le point aussi avec les enfants, sur ce qu’il convenait de faire, au calme et loin du bruit ou de la fureur des cœurs de ville, et aussi pour ne pas alarmer les domestiques, ce serait bien d’aller faire un petit tour en forêt, en n’omettant pas d’emporter du pain dès fois que les marmots piaillassent car la marmaille ça ne pense qu’à manger. Il se dirigea à tout hasard du côté du ruisseau de son premier amour et y essuya une larmette bien seulette. Il lui souvint alors que la magicienne habitait dans les environs. Il se rendit chez elle, frappa à la porte de la chaumine enfumée. On lui ouvrit et quelle ne fut sa surprise de s’apercevoir que la cadette de la maison une brunette délicieuse, aux yeux très bleus, et qui ma foi, si elle aimait les enfants et les fils d’ancien premier ministre, pourrait sans nul doute pallier la défection de leur mère.

Elle était jeune et encore plus jolie mais surtout plus jeune et peut-être plus brune encore. Il lui sourit. Elle lui sourit aussi. La maison de la magicienne était grande. Saturnin et la marmaille s’y installèrent. Ils devinrent bûcherons et finirent par s’enrichir dans l’industrie du bois, qui était en ce moment-là en plein essor. Il fut dès lors heureux et eut, avec la petite brune, sept filles qui apprirent la cuisine, devinrent d’excellentes pâtissières et finirent par épouser des bons gars du pays en dépit des envieux.

Ainsi, ô malheureux étranger, rien ne sert de se désespérer ni de chercher à lutter contre les décisions de la Providence. Si tu dois être trompé, cocu et volé, tu ne pourras sûrement pas aller là contre. La sagesse consiste donc à ne pas céder au désespoir ni à la panique et de savoir, en tout état de cause et en toutes circonstances, raison garder. On appelle ça un mal pour un bien.

D’autant que la première impression peut s’avérer trompeuse. Maintenant, ô malheureux terrien, je vais te dire comment devenir l’homme le plus heureux du monde… Mais en disant cela, la créature céleste fit craquer une branche d’arbre ce qui réveilla Memnon, qui ne connut jamais les clés du bonheur mais qui, en l’occurrence, resta de marbre, ce qui prouve qu’il avait malgré tout retenu un tant soit peu la leçon. Ces bêtises, en songe, qui nous viennent à l’esprit, se dit-il. Et il se rendormit.

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