LA FILLE DU PÊCHEUR

(La salle d’un château médiéval. Des tapisseries au mur. Quelques sièges d’époque. La reine est assise face à un miroir sur pied. Une servante la peigne. Par la fenêtre on voit qu’il fait nuit.). (Le roi entre seul, d’une démarché décidée. Il tient un billet à la main) : Le roi : (A la servante) : Laisse-nous, veux-tu ? (A la reine Il marche de long en large): Vous semblez étonnée, madame, de me voir si vite revenu en ces lieux, à une heure tardive. Des considérations impérieuses m’y ont ramené, je vous assure. Mais je vois que vous changez de visage. Liriez-vous dans mes yeux quelque sombre présage ? La reine (détournant la tête, en aparté) : Ciel je suis perdue ! Le roi (ton sévère) : Je vous vois toute interdite. Madame, approchez-vous, j’ai deux mots à vous dire. La reine (tremblante) : Je suis aux ordres de votre majesté. Permettez toutefois que je… Le roi : Taisez-vous. Je ne suis point revenu pour ouïr vos mensonges. Tous vos beaux discours, perfide, ne vous sauveront point de l’infamie où vous a jetée votre ignominieuse conduite. Sachez, madame, que votre trahison a été découverte et qu’elle ne restera guère impunie. (La reine se jette à ses pieds) La Reine : Au moins, majesté, daignez m’écouter, rien qu’une fois. Je vous jure que… Le roi : Taisez-vous, vous dis-je. Que pourriez-vous m’apprendre que je ne sache déjà ? Mille fois mes conseillers m’ont prévenu de votre perfidie. Mais ici, dans ce palais, dans ce parc ce lieu même qui abrita nos serments de fidélité, et juste le soir où j’ai dû m’absenter… Décidément, je n’aurais jamais dû épouser la fille d’un pêcheur. Une étrangère de surcroît. Nos manières sont trop différentes des vôtres. Sachez toutefois, criminelle, que dans notre pays, on punit de mort la reine qui trahit… La reine (tendant les bras vers lui en signe d’imploration) : Par pitié écoutez-moi. Je sais tout cela. Aussi ne s’agissait-il pas de ce que vous imaginez. Le roi : Je sais tout vous dis-je. Ce billet, écrit de votre main, est la preuve concrète de votre abominable crime à mon égard. N’avez-vous pas reçu tout à l’heure madame, dans l’enceinte de ce palais un mystérieux inconnu ? La reine : Seigneur, il s’agit d’un malentendu… Le roi : Je vous ai déjà dit que vos beaux discours ne m’ébranleraient guère. Répondez plutôt lorsqu’on vous interroge… La reine : Au moins ne s’agissait-il point d’une action dont je dusse rougir… Le roi : Tu avoues donc, traîtresse ! Madame, relevez-vous ! Que je lise dans vos yeux les signes de votre indignité… La reine (se relève et adopte un ton plus assuré malgré l’émotion qui la tenaille) : Mon seigneur, au nom de l’amour que vous prétendez avoir éprouvé pour la malheureuse étrangère que je suis, daignez je vous prie me prêter une oreille attentive. Je suis coupable, hélas, mais pas dans le sens que vous croyez… Je… Le roi (se détournant d’elle) : Non, vos simagrées ne me toucheront guère. Quand je pense que vous avez osé me préférer un rival, à moi qui vous ai aimée au point que, passant outre les avertissements de mes plus fidèles vassaux, j’ai pour vous épouser, franchi les monts les plus escarpés et les vaux les plus hostiles, exposé mille fois ma vie, ai dû m’humilier devant votre barbare famille… Et tout cela pour me préférer… mais je serais bien aise, madame, d’apprendre de votre bouche, le nom du gueux à qui vous adressiez ce billet… (Silence de la reine) Votre silence ne plaide pas en votre faveur… L’aveu est-il si terrible que je ne puisse l’ouïr ? La reine (d’une voix grave, à peine plaintive) : Majesté, les apparences sont contre moi, je vous l’accorde, mais pouvais-je refuser l’hospitalité à l’un de mes proches parents ? Le roi : Quoi ? Et de quel parent s’agit-il, je vous prie, que je ne puisse recevoir moi-même ? La reine : Il s’agit… Encore une fois, ne vous méprenez pas sur le sens de sa visite… Il s’agit… Le roi : Je vous écoute, madame.. La reine : de mon cousin, Henri. Le roi (furieux) : Votre cousin ? Et vous avez osé le recevoir sous mes fenêtres ? C’est un comble. Ne l’ai je pas banni à vie du royaume et même de son pays, l’insolent qui me toisait du regard… La reine : Justement. Il voulait que je plaide sa cause auprès de votre majesté. Le roi (hurlant) : Et vous voulez que je me satisfasse d’une pareille excuse, quand tout le monde, dans ce royaume, prétend que vous l’avez aimé avant moi ? La reine (doucement) : Seigneur, comment pouvez-vous prêter l’oreille à de pareilles médisances. Il ne s’agissait que d’enfantillages et… Le roi : Taisez-vous, malheureuse. Je ne connais que trop les raisons de votre mansuétude à son égard. Vous n’avez jamais cessé de l’aimer. Je m’en suis toujours douté. Ainsi donc vos serments n’étaient que feinte. Tout me le confirme : votre tristesse depuis cinq ans, votre froideur, ce billet… Et son attitude à lui, qui ne s’est jamais adressé à moi qu’avec arrogance. Quel regret de ne l’avoir point supprimé ! Ce sont vos pleurs, à l’époque, qui m’avaient fait changer d’avis, madame. Je réalise à présent combien j’ai eu tort. Mais tu seras punie, perfide. La loi interdit de recevoir un proscrit. Et la loi vaut pour la reine. Nul ne doit se croire au-dessus des lois. Gardes, donnez ordre que l’on fouille le palais, que l’on batte la campagne, que l’on visite la plus modeste cabane de pécheur, la plus petite tanière de bandit, que la plus petite once de terrain soit passée au peigne fin, et que l’on me retrouve celui qui a porté atteinte à mon honneur. Vous brûlez de le rejoindre, madame. Eh bien vos deux flammes s’uniront sur le bûcher voué aux traîtres. La reine (en larmes) : Majesté, je vous en supplie… Le roi : Je ne t’écoute plus… Garde, amenez la reine dans le cachot le plus sombre. Que personne ne lui rende visite et qu’elle soit traitée comme une prisonnière ordinaire. Et faites savoir à tous mes soldats qu’ils auront affaire à leur roi si mes ordres ne sont pas respectés à la lettre. (Il sort) La reine : O malheur ! O infortune funeste ! On m’avait bien dit que ce mariage était contre-nature et qu’il me serait fatal ! (Le garde pose doucement la main sur son bras. La reine se dégage et sort avec fierté).

LE CHÉRI DU TÉLÉPHONE

(Un salon bourgeois années 80. A gauche, un bureau avec un téléphone à fil. Au centre un canapé et deux fauteuils de cuir grenat de part et d’autre. A droite un bar, des étagères remplies d’apéritifs. Un vase sur une table basse en verre et ferronnerie. Au fond, sur la droite un corridor. Des portes menant au chambre ou cabinet de toilette). Madame (la trentaine, jeans délavé et troué, cheveux courts et teints en jaune paille, tee-shirt imprimé du portrait de Plastic Bertrand avec écrit dessus : Ca plane pour moi, debout, au téléphone) : Oui chéri… Non chéri… Oui… On verra… Hi ! Hi ! Hi !… Tu es gentil… Bon je dois vite te quitter car mon mari pourrait rentrer d’un instant à l’autre… (se retournant vers la porte) Oh, je ne sais pas… Ce n’est pas encore le bon moment… C’est ça, on verra bien… Oui chéri… D’accord chéri… C’est ça… A demain, chez toi, mon chéri… (Un temps) Oui chéri… (Un temps) Moi aussi chéri… (Un temps) Oui, au revoir… Toi aussi, passe une bonne soirée… Oh moi tu sais… C’est ça je raccroche… (A l’avant-dernier  » chéri « , la tête de  » Monsieur  » est apparue du côté du corridor. Il fait signe avec l’index au public de se taire comme s’il s’agissait du gendarme dans Guignol ; au second chéri, il entre en silence, on remarque qu’il a ses chaussures à la main, au troisième chéri il avance à pas furtifs et, à la dernière réplique, il est derrière sa femme. Il lui tapote l’épaule en toussotant. Monsieur : Devinez qui vient d’entrer… Madame (portant sa main au cœur et hurlant) : Ah… (Se ressaisissant) : Ah, c’est toi, ce que tu m’as fait peur… Monsieur : Ce que je t’ai fait peur, ma  » chérie « … (A partir de ce moment il accentuera le mot  » chéri « ). Et depuis quand, je te prie, as-tu peur de ton petit mari  » chéri  » ? Madame : Mais arriver ainsi, sans prévenir, une heure à l’avance, et sans faire de bruit… Monsieur : Et n’ai-je pas raison ma  » chérie « , d’agir de la sorte ? Madame : Pour quelle raison ? Je ne te suis pas quand tu penses… Monsieur : Alors j’explique. (Montrant le public) : quand on se sait attendu, avec l’impatience que chacun a pu constater, par sa petite femme adorée, on peut bien, pour lui marquer son affection et sa reconnaissance, lui faire la surprise de rentrer une heure plus tôt, n’est-ce pas ? Tu es contente, hein,  » chérie  » ? Madame : Bien sûr, ché… Heu mais bien sûr, Gontran… Monsieur : A moins bien sûr que je ne t’aie-je dérangée… Madame (embarrassée) : Pas du tout, pas du tout ! Monsieur : Mais si, je le vois bien… (Il se dirige vers le bar, les chaussures à la main). Tu téléphonais, je crois… Madame : Oui, à une amie… Monsieur : Tiens donc à une amie… (Il pose les chaussures sur le bar. Il prend un verre et se sert un  » jaune « ). Et c’est cette amie que tu appelais  » chérie  » ? Madame (en aparté) : Zut, il a tout entendu ! (Se ressaisissant) Moi, je n’ai jamais dit  » chéri « . Tu as dû mal comprendre. J’ai dû dire chère amie. Ce que tu as l’esprit mal tourné. Monsieur : C’est cela. Vous allez voir que tout à l’heure ce sera de ma faute. (Il avale une gorgée de  » jaune « ). Ma pauvre mère me l’avait bien dit : cette fille-là, elle te fera avaler toutes les couleuvres de la création. Elle t’en fera voir des vertes et des pas mûres. Elle te mènera par le bout du nez. Elle a des yeux revolver et qui mentent, notamment au téléphone, des yeux qui mentent allô… Madame : Très drôle. Si tu pouvais éviter de me resservir à chaque fois le couplet de ta mère… Monsieur : Ne détourne pas la conversation. Quand on s’est marié, on s’est juré de tout se dire… Madame : Justement, je n’ai rien à dire… Je n’ai plus le droit de téléphoner à des amies ? Monsieur : La menteuse ! Non mais quelle menteuse ! Quand je pense que je t’ai surprise en flagrant délit. Tu as un aplomb prodigieux. (Refaisant les gestes du début) J’étais là. Derrière toi. J’ai tout entendu (montrant le public). Tout le monde t’a entendu (la femme fait des signes désespérés au public), menteuse. Tu ne téléphonais pas à une amie. On ne parle pas à une amie sur ce ton-là. La menteuse ! La menteuse ! Tu n’as pas honte ? Ton nez va s’allonger… Madame : Mais qu’est-ce que tu vas encore imaginer. Ce n’est pas bien d’être jaloux. Tes frères te le répètent souvent. Eux aussi sont les enfants de ta mère… Monsieur : Je t’interdis de parler de ma mère qui m’a toujours été de bon conseil. A ce propos sais-tu ce que je me suis laissé dire ? Non ? Eh bien que je devrais, un de ces jours, par hasard, rentrer chez moi plus tôt que d’habitude. Je vois qu’on n’avait pas tort. Madame : (en aparté) Oh le vieux chameau, encore un coup de la mère Bichon, elle me le paiera ! (haut) O mon Gontran, tu ne peux pas savoir combien tu me fais plaisir, chéri… Monsieur : Ah, parce que c’est moi que tu appelles « chéri « , à présent… Madame : Mais chéri, il n’y a jamais eu qu’un seul chéri au monde (coup d’œil complice vers le public)… Le plus chéri des chéris… Le seul, l’unique, l’incontournable chéri… Monsieur : Allons, avoue, tu sais que ce n’est pas bien de mentir. De toutes façons ma mère ne te croira pas… Madame : Mon chéri, mon chéri, si tu savais combien je suis contente. J’ai voulu te faire marcher et toi tu as couru… Monsieur : Comment cela… Madame : Comment ? Tu as cru à ma petite mise en scène ? N’as-tu pas compris que je jouais la comédie uniquement pour t’éprouver ? Monsieur : Je ne saisis pas. Madame : C’est pourtant simple. Je regardais par la fenêtre, pour voir si la pluie avait cessé, et je t’ai vu arriver. Alors, j’ai imaginé cette petite comédie pour voir si tu m’aimais toujours. Tu es jaloux donc tu m’aimes ; Ce que je suis contente, mais ce que je suis contente (regard en coin pour vérifier la réaction de son mari). Monsieur : (Un temps de réflexion) Ainsi tu ne téléphonais à personne ? Madame : Mais non gros nigaud. A qui voulais-tu que je téléphone. Tu sais bien que je ne connais personne en cette ville… Monsieur : (Il se gratte le front) Et cette amie… Madame : Elle n’existe pas, gros bêta. Monsieur : Ah, tu me rassures… Je me disais aussi… On ne trompe pas un être comme moi ! Madame : Comment as-tu pu croire que je te trompais. Me soupçonner, moi, qui t’ai donné les plus belles années de ma vie, tu mériterais que je te fasse la tête, que je fasse la grève des câlins, que je te prive de tarte aux fraises… Monsieur (se jetant à ses genoux) : Oh non, oh non, oh non ! Madame : Soit ! Soit ! Allez, je suis trop bonne. Vous abusez de ma bonté, monsieur… Bon je pardonne. Pour te faire pardonner, sers moi un  » jaune « . Et puis si l’on sortait ce soir. J’irais bien au théâtre, moi. (En aparté) : Ouf, je l’ai échappé belle ! Monsieur : Mais certainement. Et qu’est-ce qu’on joue ? Madame : Heu… Le cocu imaginaire, de Molière… (Elle s’esclaffe. Lui se frotte le front. Le rideau tombe).
Ce sujet a été donné au bac blanc de mai 2003. Mise en page améliorée à suivre

Vous souhaitez partager ?