Sujet d’invention : transposition en prose du texte de Rimbaud. Au cabaret vert

On valorisera les copies qui auront respecté l’époque durant laquelle vécut le poète et éventuellement le cadre géographique auquel il est fait référence. Evidemment ceux qui connaissaient ses poèmes ou sa vie et y auront fait allusion en seront récompensés. Mais surtout on appréciera les copies où les élèves auront fait l’effort de respecter tous les détails du poème et de les intégrer dans leur prose, sans pour autant faire des citations littérales. Bien sûr les effets stylistiques seront appréciés et notamment toutes les tentatives pour rendre compte en prose de ce que le poème exprime comme sensations et sentiments dans ses vers. Ne pas oublier que c’est un adolescent qui parle. Et que l’on ne demandait pas aux élèves un poème en prose mais un texte.
On pénalisera la paraphrase, les devoirs trop courts, les incompréhensions manifestes du texte, une traduction trop réaliste de l’épisode. En revanche on appréciera les amplifications de certains passages, suggérées par le libellé. Elles prouvent en effet la capacité réelle d’invention de l’élève.
Le texte ci-dessous n’est pas un modèle, simplement une tentative de se mettre en temps réel à la place de l’élève. Rien ne vous oblige à le distribuer.


AU CABARET-VERT

A Charleroi ! Enfin je la voyais droit devant moi, l’imposante porte de cette ville, dont le nom me trottait dans la tête depuis si longtemps, avec sa dernière syllabe royale, et son prénom de poète. Comme ma ville de Charleville au petit nom prétentieux avec sa terminaison si commune. La Belgique du haut de mes seize ans tout juste révolus c’était d’abord les Flandres et cette ribambelle de peintres flamants qui ont inventé le clair obscur et les beuveries paysannes. C’était le prélude à une autre vie, dans un autre monde loin d’une mère aimable comme une compagnie de dragons sur le pied de guerre ou une porte de prison. Et peut-être sur les traces d’un père que je n’aurai jamais connu. Huit jours que j’avais fui l’école et ses maîtres incultes, l’ennui des promenades publiques sous les tilleuls agacés et le kiosque avec son orphéon aux musiques pompeuses comme un ventre de propriétaire repu. Huit jours par les sentiers de traverse, à égrener mes rimes, loin de la grand-route : c’est qu’on devait me chercher un peu partout en France encore à présent. Mais Charleroi ! J’étais à l’abri à Charleroi. Aucun gendarme n’irait me trouver ici. Seul mon genou m’inquiétait quelque peu. C’est que huit jours sous une pluie battante, sur des chemins parfois pentus, ça ne vous arrange pas les articulations. Mes bottines d’ailleurs étaient aussi déchirées que mes jambes égratignées. Quant à mon paletot il était tellement élimé qu’il allait finir par devenir sinon idéal du moins à peine un semblant de paletot, une idée de paletot. Il faudrait que je trouve un petit travail au plus tôt pour m’en acheter des bottes neuves ou du moins les faire rapiécer car si je continuais ainsi mes chaussures seraient faites de cuir de pieds nus. Le travail, cela ne devait pas manquer dans ces villes industrieuses et prospères : commis, plongeur, précepteur du fils du marchand de tissus bariolés comme je les aime. En attendant cela faisait huit jours que je vidais petit à petit ma besace du pain noir que j’avais emporté, de son fromage dur et de saucisse sèche, ne buvant que l’eau claire des ruisseaux. Une bière m’aurait fait le plus grand bien. Il n’y a que les belges qui sachent cultiver le houblon comme il faut. Ce fut alors, premier miracle, que je reluquai, passé la porte de la ville, juste sur ma droite, un cabaret dont le nom à lui tout seul sonnait comme un poème : Au cabaret-vert. Avec un trait d’union. Comme si les deux mots ne pouvaient être dissociés. Et c’est vrai que la porte, et son dessus de porte, de ceux qui me plaisent tellement, était peinte en vert, du même vert que l’herbe menue que j’avais foulée du pied tant et tant de fois, lors de mes multiples vagabondages. Certes je n’avais pas l’âge requis mais j’avais toujours fait plus vieux que mon âge. C’en est même inquiétant. Est-ce que j’allais mourir jeune comme le gamin de Paris qu’a si bien incarné le père Hugo, comment s’appelle-t-il déjà ? Toujours est-il que, dans les fermes où je passais, on s’étonnait de ma jeunesse mais pas au point de soupçonner une fugue : aussi avais-je eu droit à un verre de vin, à un œuf à gober, une pomme de terre bouillie. J’avais bu à même le pis d’une vache, chapardé quelques pommes et cueilli des baies sauvages. Et surtout dormi à la belle étoile, à même le sol, un pied contre mon cœur. A Charleroi j’allais pouvoir me reposer des fatigues du voyage, me laver les pieds et commencer par me les masser, bref embarquer pour la vraie vie. Cette auberge me tendait les bras. Car outre le fait que j’adore la couleur, j’en ai même donné aux voyelles, l’adjectif « vert » me sied car il suppose une liberté de parole que je revendique. Et puis le vert galant, et les fruits verts à cueillir, collaient bien aux troubles aspirations de mon âge et de mon caractère. J’entrais. Et là, deuxième miracle : Ce lieu semblait m’attendre. D’abord j’y étais seul, étant arrivé un peu en avance par rapport à l’heure du dîner. J’avais grand faim et soif. La serveuse justement transportait une barrique de bière. Elle me regarda surprise et j’eus peur un instant qu’elle ne devinât ma situation. Mais ma taille un peu au-dessus de la moyenne dut une nouvelle fois la tromper et puis aussi le fait qu’une bourse garnie pendait à ma ceinture. Les économies d’une courte vie. Vagabond oui mais pas mendiant. Elle me fit un charmant sourire, me désigna une petite table verte et me demanda presque avec connivence : Et pour ce petit monsieur ce sera ? – avec un accent du terroir à pouffer de rire : « Des tartines de beurre », dis-je, en lui souriant de toute mes dents, je savais qu’elles étaient irrésistibles ; et puis un peu de ce jambon que je vois pendu là-bas et qui m’a l’air tellement appétissant. Vous me le servirez tiède, si c’est possible car cela fait huit jours que je mange sur le pouce, et seulement des aliments froids. – Très bien dit la serveuse, et avec cela, un bock je suppose ? Oh, vous pouvez aller jusqu’à la chopine, j’ai une soif à boire un tonneau entier ! Elle partit d’un grand éclat de rire et tourna les talons. A Charleroi, on ne posait pas de questions indiscrètes. On vous servait et on vous fichait la paix, tout ce que je demandais. Ca doit être ça, le bonheur, me dis-je en mon for intérieur. Commander ce que l’on veut, où l’on veut, loin des mères autoritaires et des leçons de morale ou de religion quotidiennes, loin des sœurs soumises et dévotes. Cette tapisserie est délicieuse. Des moutons doux come des agneaux, des bergers qui dansent au son du flutiau, des bergères mélancoliques assises sur des roches plates et tout ceci dans une harmonie de vert tendre et de gris bleuté qui ravit le regard et me laisse un goût de sucre candi dans la bouche. On dirait que l’on a mélangé du lait avec de menthe fraîche, ou de ces mirabelles dont on fait des tartes délicieuses du côté de chez moi. Ah, si le paradis existe il doit ressembler à un cabaret belge, avec cette délicieuse sensation d’être soudain devenu un adulte tout en gardant l’esprit d’un enfant. Comment il disait déjà le divin Baudelaire ? Le génie n’est que l’enfance retrouvée à volonté doué maintenant d’organes virils. Eh bien moi je ne l’ai pas encore quittée. Au fait la serveuse quel âge peut-elle avoir, vingt ? Vingt-deux ?… Ainsi je rêvassais, le regard plongé dans les angelots de la fresque bleu-pâle au plafond, les jambes parfaitement détendues sous la table e forme de pomme, quand une tornade de chair fraîche et rose pénétra dans le salon. C’était ma serveuse, tous tétons en avant et qui pointaient au-devant d’elle comme si ce n’était pas seulement du jambon qu’elle m’apportait, dans l’assiette, qu’elle tenait juste à hauteur de sa poitrine d’un côté, son autre main ayant empoigné ma chope de bière si attendue, mais une offrande d’une autre nature. Qu’on pouvait regarder mais ne pas toucher bien sûr, comme ses statues de saintes que l’on vénère. Et je me dis que des seins pareils devaient sûrement être « hénaurmes » plutôt qu’énormes car ce dernier mot n’aurait pas suffi à caractériser l‘impression qu’ils me firent, et avec des guillemets pour faire plus rond encore. Décidément, me dis-je, en croisant son regard et ses yeux vifs, le paradis doit ressembler à un cabaret où des femmes peu farouches, dignes d’être adorées comme des déesses antiques viennent combler vos plus secrets désirs. Et le mien en l’occurrence était de boire une bière amère et de manger on pain frais bien beurré et mon jambon chaleureux. Dans un plat colorié comme je les apprécie, il faudra quelque jour que je fisse un poème là-dessus, moi qui adore les peintures idiotes et les couleurs de l’enfance. Et de me sustenter avant toute chose de cette odeur d’ail que l’on avait ajouté à ma commande rose et blanche, comme une cerise sur un gâteau des rois, une fève sur la galette, un téton sur le sein d’une offrande ambulante. Un autre que moi lui eût réclamé un baiser ; elle ne le lui eût certes pas refusé. En tout cas sa bonne humeur était communicative, me faisait oublier les fatigues du chemin et d’autant plus priser cette bière à mousse onctueuse qu’à ce moment précis où j’allais la porter à mes lèvres, un rayon de soleil, qui pénétra par la fenêtre, vint comme dorer, éclairant davantage encore sa teinte cuivrée. Pas de doute : le ciel me le confirmait. J’étais bien en paradis. A cinq heures du soir. En ce début d’automne. Comme si le soleil m’avait donné rendez-vous, lui qui est pourtant si rare, dans ces plats pays brumeux – troisième miracle, et pas des moindres. Ce n’était pourtant que le début de mon périple. Bruxelles m’attendait. A nous deux, me dis-je en pensant à mon arrivée dans cette ville et à ses champs de choux. Et me souhaitant bon appétit, je plongeai le nez dans mon assiette aux couleurs alléchantes. Le jambon, non seulement ça sent bon mais c’est bon, nom de nom…

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