Revue Europe, publié en novembre -décembre 2007.

 

J’AI TOUJOURS EPROUVE L’INTENSE COMMUNICATION QU’IL Y A ENTRE MES VOYAGES ET MON ECRITURE  » , écrit Michel Butor dans  » Le voyage et l’écriture « . Comment ne pas s’en convaincre si l’on considère : – Que  » les (souvenirs de) vacances chez un comte dans un château allemand  » , au seuil de la vie d’adulte, aboutiront, une fois la notoriété venue, au Portrait de l’artiste en jeune singe . – Que le séjour professoral en Egypte, puis à Salonique, aura suscité le premier Génie du Lieu et la fin du Passage de milan où le jeune Lécuyer s’enfuit vers la vallée du Nil. – Que  » l’occasion donnée… de travailler quelques temps à Manchester  » n’est pas sans quelque lien avec la rédaction de L’Emploi du temps. – Que sans l’invitation au  » Bryn Mawr College dans la banlieue cossue de Philadelphie « , Mobile n’eut sans doute point été concevable, ou du moins conçu de la sorte. – Que l’Australie, Le Brésil, le Canada (ou le Cambodge – ou la Corée), la Chine, le Japon, le Mexique, le Pérou… nourrissent les cinq Génie du Lieu : Où, Boomerang, Transit, Gyroscope. – Que les multiples voyages en train – le père fut affecté aux Chemins de Fer du Nord – auront inspiré La Modification certes mais aussi Intervalle, ceux en avion Réseau aérien. – Que le regret de l’Afrique noire est atténué par le voyage au Zimbabwe, évoqué dans Curriculum vitae, ou au Burkina Faso, mentionné dans Michel Butor par Michel Butor. Et dire que Michel Butor ne sait pas conduire ! Le premier de ses personnages, Louis Lécuyer, dont il a mis beaucoup de lui-même , ne saura pas non plus très bien se conduire. Oiseau de mauvais augure, il fera figure de vilain petit canard dans l’immeuble du 7, passage de milan, qu’il stigmatisera d’un meurtre, un soir de fête, avant de partir pour un long séjour en Egypte… JE NAQUIS AU SIGNE PREMIER EN TROUANT LA CRUCIALE TOUR QUI M’AVAIT EXCLU DE LA FETE OU MES SOMBRES AILES DANSAIENT Mais ne nous y bernons pas. Il ne s’agit pas seulement pour Michel Butor d’établir une relation entre ses voyages et ses procédés personnels d’écriture. Il s’agit pour lui de montrer que TOUT VOYAGE EST ECRITURE : car  » L’explorateur, avant le conquérant, recouvre de sa langue la terre qu’il parcourt  » de sorte que tout  » pays inconnu est déjà travaillé comme un texte…  » . Dans le cas où  » Dès lors (sic) du paysage on isole quelques sites reconnaissables que l’on nomme et sacralise, que l’on retient dans les écrits, quelques monuments naturels, la terre devient une page, et l’on y laisse son empreinte. L’errance est alors jalonnée de signes fixes, de caractères  » . La terre devient une page à couvrir. Après tout le monde n’est-il pas destiné à aboutir à un beau livre, disait l’auteur du  » coup de dé  » à qui le nôtre doit tant, du moins selon Jean Roudaut ? Quels sont les beaux livres dans lesquels Michel Butor a exploré la page blanche comme espace à marquer de ses pérégrinations d’oiseau migrateur ? – Tout d’abord, en priorité, Mobile , dont la disposition typographique s’inspire de la carte des Etats-Unis, avec son quadrillage particulier, son  » quilt  » mis en abyme, et de l’art du  » dripping  » de Jackson Pollock (à qui le livre est dédié) singularisant sur la toile des coulées distinctes de peinture rendues compossibles sur la même surface. L’ensemble convie au voyage ainsi que le (ré)clâme la 4è de couverture : Voyagez à travers un continent, à travers des siècles… Regardez les américains, vivez avec les américains… – Suit la série d’Illustrations (inachevée, en quatre volumes) qui se permet un certain nombre d’audaces de mise en page censées rendre compte du travail de l’artiste que le texte de Michel Butor s’est ingénié à illustrer. On retiendra  » les montagnes rocheuses  » – paru d’abord dans la revue Réalités et que commente Jean-François Lyotard dans Discours, Figure en parlant de  » tissu de mots, configuration de mots  » -, évoquant divers sites américains. Voyage dans l’art donc. Les mots dans la peinture… J’AI MIS DES MOTS AUX PAYSAGES GRACE AUX ROSEAUX QUI M’ABRITAIENT PUISANT LA LIQUEUR DES MARAIS POUR GRIFFER LE SOL DE MES SERRES – Description de San Marco rend compte du parcours iconique et textuel du visiteur dans la basilique vénitienne,  » Trajet qui peut devenir celui de la tête tournant pour déchiffrer l’inscription qui se déploie sur une des coupoles de Saint-Marc  » – et de la circulation du flot incessant des touristes à l’extérieur. – 681000 litres d’eau par seconde , multiplie les polices, styles et décalages dans une composition temporelle alternant les rythmes plus ou moins rapides, scandés par la voix de Chateaubriand. Comme Venise, mais en plus liquide encore, les chutes du Niagara sont l’un des lieux touristiques les plus visités de la planète. Ne symbolisent-elles pas l’Histoire occidentale en pleine mutation depuis son accélération durant la Renaissance ? Une chute, suivie d’une possible nouvelle renaissance… TREMPANT MES PLUMES ETOILEES AUX BAINS RUGISSANTS DE LA CHUTE J’AI RECOLTE LA GOUTTE D’ENCRE QUI GERMAIT AU BOUT DE MON BEC – Où, dans lequel Michel Butor se présente comme  » commis voyageur en culture française  » et expérimente cette véritable  » petite révolution  » (au sens cosmogonique du terme) liée au  » fait que l’on tourne des pages  » . Nous y retrouvons les Etats-Unis mais aussi l’état des indiens Zunis, en Colombie britannique, Séoul, Angkor et même Cauterets, lieu de guérison, comme le livre. On y fuit Paris, pour mieux y revenir, transformé par le voyage. – Intervalle , anecdote en expansion, dont l’ORTF a diffusé une adaptation interprétée par Giani Esposito, sosie de Butor, pousse la dissémination du texte sur la page jusque dans ses derniers retranchements. Il s’agit d’un voyage, entre Paris et la province, au cœur de la France profonde, ou entre la province et Paris. J’AI SUSCITE MAINTES RENCONTRES COMME ON SE FAIT SON CINEMA AU FOND DES PROVINCES PROFONDES QUE PARIS NE SOUPÇONNE PAS – Boomerang , Génie du lieu III, utilise une distribution sérielle très stricte avec ses séquences qui nous font graduellement passer dans une autre région du monde, ses constellations qui courent en haut, en bas, au milieu de la page, selon que nous nous trouvons dans un hémisphère, un autre, ou du côté de l’Equateur. Transit et Gyroscope se présenteront en deux moitiés placées tête-bêche, le dernier avec un système de colonnes verticales et toutes sortes de variations des styles de police. Mais SI TOUT VOYAGE EST ECRITURE, IL EST AVANT TOUT LECTURE. En effet tout voyage est  » un lieu privilégié de lecture  » en tant que le  » lieu qui se déplace fournit le retrait demandé « . Il est avant tout lecture de signes de tous ordres,  » la marque par excellence (étant) la tombe  » . Cette lecture des signes du monde remonte aux temps les plus anciens :  » Peuples chasseurs : on suit les animaux à la trace ; il s’agit de lire les leurs marques et les signes qui les trahissent. Peuples pasteurs : il s’agit de suivre les signes de la végétation, des saisons, pour passer à temps d’une partie du territoire à l’autre  » . Puis aux repères et sites reconnaissables , aux tombeaux, à l’exode, à l’exil et à la nostalgie de l’errance et des premiers signes. En quête desquels partirent ces grands lecteurs que furent les Romantiques dans leur rapport à l’orient : Chateaubriand et Rome, Athènes, Jérusalem, trois pôles d’attraction, effectuant un  » voyage dans l’histoire  » , Gérard de Nerval plutôt  » dans le mensonge de l’histoire  » : le Caire, Beyrouth, Constantinople. Parcourant les rues de ces trois capitales  » Nerval est à l’affût de tout ce qui lui permet de pressentir une caverne au-dessous…  » des trois autres villes, ajoute l’auteur du  » Voyage et l’écriture « . J’AI PRIS LA VOIE DE L’ORIENT HOTE DES FILS DU MINOTAURE ET J’AI FAIT LA NIQUE A LA MORT DANS L’AMONT DES VALLEES FERTILES Car le voyage est aussi un retour aux sources, direct ou indirect. Au demeurant, on lit beaucoup dans les œuvres de Michel Butor, et jamais gratuitement. Le livre lu dans le livre que nous lisons fait toujours sens chez lui ; on reconnaît là le procédé de la mise en abyme, chère à Gide, Dallenbach , ou Ricardou : – Le roman policier de J.C.Hamilton-G.Burton, guide de Jacques Revel dans le labyrinthe de Bleston, ville maudite des descendants de l’errant Caïn, des forgerons et des tisserands, qui oublie ses musiciens dans L’emploi du temps . – L’ouvrage anonyme, acheté en hall de gare, que Léon Delmont n’ouvrira pas et qui s’oppose à celui qu’il se promettra, d’écrire au terme du voyage vers Rome relaté dans La modification . – Les manuels scolaires compulsés par les trois narrateurs arpentant les rues de Paris, et de l’histoire du monde dans Degrés mais aussi toutes ces références littéraires à Marco Polo, Colomb, Rabelais, Montaigne, Voltaire…(plus quelque comics des années 50). RIVAL DES ANGES DU FUTUR FOU QUI CONVIE AUX AMERIQUES ON M’A MONTRE DU DOIGT MAUVAIS INTRUS DES QUARTIERS DE L’ESPRIT – Sylvie, de Gérard de Nerval, pour l’un des protagonistes d’Intervalle , anecdote mettant en scène une rencontre avortée sur un quai de gare, entre un homme et une femme, Paris et la province, les dominants et les dominés. – L’œuvre intégrale d’Edgar Poe, traduite par l’auteur des Fleurs du mal et qui hante le voyage dans l’inconscient du poète, analysé par Michel Butor dans son Histoire extraordinaire , essai sur un rêve de Baudelaire. – Le Discours sur la servitude volontaire rebaptisé Contr’un, de La Boétie, et qui aurait, pour l’auteur de l’Essai sur les Essais , eu tant d’incidence sur l’élaboration, la rédaction et la composition des premiers Essais de Montaigne. SUR LES SOLIVES SEIGNEURIALES J’AI LU LES MYSTERES DU NOMBRE PAR DESSUS L’EPAULE DU MAITRE FERU DE L’ANTIQUE AMITIE – Si les hasards de la naissance l’eussent voulu le compositeur des 33 variations de Ludwig van Beethoven sur une valse de Diabelli aurait sans doute apprécié les utopies de Fourier, résumées, répertoriées et poursuivies par Michel Butor dans La Rose des vents , 32 rhumbs pour Charles Fourier. C’est ce que suggère cette allusion dans le premier des deux livres :  » On sait que pour Fourier le système solaire constitue une série de 32 termes dont le soleil, 33è est le foyer…  » . Et combien de lectures de Marlowe, de Goethe, de Gounod pour élaborer avec l’ami Pousseur les pérégrinations de Votre Faust ? CHARME PAR LE VIOLON D’ENFANCE JE BUVAIS L’EAU D’ETERNITE ME JOUANT DU DIVIN DEMON MIMANT LA SAVANTE MUSIQUE Inversement, TOUTE LECTURE EST VOYAGE puisqu’il  » y a le trajet de l’oeil de signe en signe, selon toutes sortes d’itinéraires que l’on peut assez souvent mais non toujours simplifier grossièrement comme la progression selon une ligne droite d’un point de départ à un point d’arrivée  » , et parce qu’à travers  » la lucarne de la page,  » l’on se trouve ailleurs. Butor suggère  » d’étudier les voyages selon  » : –  » leur scansion : le trajet comporte-t-il des étapes et de quelle longueur ?  » . La modification par exemple suppose un départ (de Paris), la traversée des Alpes, une arrivée (à Rome). Cela coïncide avec les trois étapes qui décrivent la progression de l’état mental du lecteur, censé explorer la réalité, la dénoncer, pour désirer la transformer. Si l’exploration coïncide avec la découverte de signes avant-coureurs de l’échec prévisible, la dénonciation correspond à la  » modification  » du projet conjugal du héros, laquelle s’effectue dès le passage des Alpes, la transformation se confondant avec la conséquence que Delmont en tire : utiliser la machine à écrire qu’il vend pour écrire, car telle est sa vocation. NICHE SUR LES MONTS VENERIENS J’AI SURVOLE LES BLANCHES CIMES D’AMOUR MAIS LE TRAIN DE RAISON CONDUIT AUX VOIES DE LA MACHINE –  » leur vitesse « , Jacques Revel dans L’emploi du temps, reste une année entière à Bleston où il a le temps de s’enliser, de s’ennuyer, de se perdre, l’écriture s’avérant le seul moyen de se retrouver, de se rebeller, de se sauver. Bien qu’aussi volumineux, Mobile n’évoque que quatre nuits et trois jours, ce qui explique la nécessité d’un autre rythme de visite, permis par ce que Barthes appelle la  » discontinuité « , dont les variations typographiques sont la trace . J’AI FRANCHI LES BRILLANTS ETATS SONDE LEURS VIVES REFERENCES ET DETERRANT LA PLUME BLANCHE PERCE LEURS INSIGNES DORES –  » leur équipage  » : Nous supposons qu’il s’agit des bagages accompagnant le voyageur. Dans Où, avant l’expérience de la boue à Séoul,  » J’avais laissé à Tokyo la gosse valise achetée à New York que j’avais emportée de Paris, et n’avais pris avec moi que celle, toute petite, blanche à impressions bleues, qui m’avait été offerte par les services d’Air-France lorsque j’avais fait transformer mon billet afin de continuer mon voyage par le Cambodge ce qui s’était décidé brusquement. Trois chemises blanches, deux paires de chaussettes, trousse de toilette et rasoir, pyjama, pantoufles, chandail, quatre cravates…  » . Équipement dérisoire, face aux déchaînements hostiles auxquels l’européen n’est pas préparé, et qui justifient le mode de vie des autochtones. Dans ce cas de figure pour affronter la boue, le cinquième élément, selon l’Ezra Pound des Cantos Pisans. Ailleurs, Butor évoque le froid à Zuni :  » Nous ressemblions à des ours. J’ai mis trois chandails, une grosse écharpe enfoncée dans mes cols, pantalon de ski, chaussures fourrées, pelisse de mouton « . Tout détail a son importance : voyager suppose l’abandon de ses habitudes et la découverte de l’autre, des autres, de l’Autre en soi. JE DEPASSAIS L’AIGLE EN MONTAGNES POUR HUMER L’AIR DES GUERISONS QUAND L’INDIEN DANSAIT D’ESPERANCE SA CELESTE REVOLUTION –  » leur compagnie  » : le voyage peut très bien s’effectuer en solitaire ; cela favorise les rencontres et permet d’apprécier parfois des lois de l’hospitalité, telle qu’on la pratique à Mallia, près du palais minoen, en Crète , ancrées dans une culture qui se perd dans la nuit des temps, un soir de St Sylvestre, Mais il peut tout aussi bien se dérouler  » en famille « , même si la fête se fait parfois en l’absence du principal intéressé ( » La fête en mon absence « , dans Boomerang), mais le plus souvent, in praesentia (le retour du Zimbabwe, avec les deux petits-fils, évoqué dans Michel Butor par Michel Butor ). Il peut aussi s’accomplir  » en groupe  » : Que l’on pense, dans Transit, à la visite de l’un de ces  » lieux les plus classiques pour les pèlerinages scolaires « , le  » Horyu-ji « ,  » perpétuellement parcouru de groupes qui se croisent dans les cloîtres…  » , ou à ce fameux  » pique-nique au pied des pyramides  » qui lui-même reprend un procédé utilisé dans Description de San Marco,  » autocité  » et recontextualisé dans Gyroscope . J’AI SU LES FUTILES BESOINS SUR LA TERRASSE DES EAUX MORTES QUAND JE POINTAIS D’UN OEIL PERÇANT LES SOURCES DE PIERRE DES MAUX –  » voyages à rencontre  » : Au temple d’Angkor, seul sous la pluie cambodgienne, le narrateur se voit contraint d' » enlever chaussures et chaussettes, rouler le bas de mon pantalon et traverser « . Un peu plus loin… :  » Soudain, j’ai senti que je n’étais plus seul. C’était le flûtiste de tout à l’heure qui s’était accroupi près de moi. Il y avait dans son sourire quelque chose d’affectueux et d’un peu moqueur. « ,… il découvre alors la raison d’être du pagne et petites tenues locales. Il s’agit d’une anecdote météorologique racontée dans Où . En voyage il faut bien se résoudre à devenir l’autre, un autre être, au fond de soi. –  » voyages dont les étapes sont marquées par des connaissances, des relations, des hôtes  » ; que l’on pense à cette première visite au Mexique rendue possible par la présence sur place de Frédéric-Yves Jeannet, à qui sont destinées les 21 lettres de Transit . JAI GOUTE LE SANG SACRIFIE AUX PROPOS DES PILLEURS DE TOMBE CONDUIT AU PAYS DU SOURIRE PAR MA RARE RAPACITE Mais le voyage ne se fait pas seulement sur la surface terrestre, à l’horizontale pourrait-on dire, Michel Butor l’envisage ainsi à la verticale ; IL EXISTE EN EFFET DES  » VOYAGES D’ASCENSION « … De cathédrale de Laon en montagnes rocheuses, en passant par les collines boueuses de Où, on ne compte plus les ascensions naturelles, civilisées ou symboliques chez Butor. Nous distinguerons cependant : – Les multiples allusions au Mont Sandia (Nouveau Mexique) dans Où, que le narrateur vise à apprivoiser, l’ayant en permanence sous les yeux, à textualiser. –  » la seconde tour de Babel du genre humain « , puisque  » le genre humain a deux livres, deux registres, deux testaments, la maçonnerie et l’imprimerie « , rappelle l’étude sur Hugo dans Répertoire II . –  » Les 100 vues du Mont Fuji « , œuvre de peintre japonais Hokusaï, commentées dans Transit, et qui complètent les  » Trente-six et dix vues du Mont Fuji  » de Répertoire III . – La difficile, voire humiliante, ascension du chemin pentu qui conduit au château initiatique du jeune singe.  » Elle montait, je la suivais, je n’arrivais pas à la suivre…  » . LA MALEDICTION DES CHATEAUX HANTES DE SINGES ALCHIMISTES RENDAIT LUMINEUX LES JOYAUX ET LES MYSTERES DE L’IBIS – Les six étages du 7,  » passage de milan « , voyage dans l’étrangeté urbaine, celle des égyptologues, des peintres, des adolescents… – La montagne Ste Geneviève et le mont Palatin, avant la traversée des Alpes du bien nommé Delmont, dans La modification, – Le programme  » Franchir l’espace  » dans Gyroscope sous l’autorité de l’astronome Tycho Brahé . L’ascension ici se fait céleste. Inversement, NOUS POUVONS CONCEVOIR AUSSI UN  » VOYAGE DE DESCENTE  » . Par delà l’étude de Jules Verne et sa quête du point suprême, présente déjà dans le premier Répertoire , texte datant de 1949, juste après la  » Petite croisière préliminaire à une reconnaissance de l’archipel Joyce  » (1948), à qui nous empruntons notre titre, la descente chez Butor se fait principalement par le biais du rêve : – Les cinq Matière de rêves et leur titre géologique : Second sous-sol, Troisième dessous, Quadruple fond, Mille et un plis . SUR LE SEUIL DES PORTES D’IVOIRE J’AI RESTAURE L’ORDRE CHTHONIEN OU ERRAIENT MAINT OISEAU MAUDIT DU REGARD DES SONS ET DU VERBE – Ils hantent les nuits américaines, les cauchemars noirs, la négativité dynamique de Mobile. – Pensons aussi aux  » 18 cauchemars dans la plupart desquels j’aurais été la victime d’une des magnifiques et atroces cérémonies de l’année solaire aztèque…  » , dans Transit, évoquant ironiquement le  » nouveau  » roman que l’auteur n’écrira plus jamais, mais dont il expose l’improbable projet. Ou au rêve aborigène qui fonde la majeure partie du volumineux Boomerang. Rappelons que ce livre utilise trois couleurs, le bleu pour les USA, le rouge pour l’Australie, et le noir, habituel, pour la  » Jungle « , et le blanc de l’Europe. JE N’AVAIS PLUS PEUR DES GRANDS FAUVES DES ROUGES REVES DES FANTOMES CAR ERRANT SUR L’ONDE AU LEVANT L’ŒUVRE AU NOIR A VIRE AU BLUES – Les nuits agitées de l’artiste transformé en jeune singe dans le château allemand des songes alchimistes. – L’extraordinaire exploration entreprise par Butor à partir de la lettre de Charles Baudelaire à son ami Charles Asselineau du 13 mars 1856, au terme de laquelle Butor confie:  » …désirant parler de B, je n’ai réussi à parler que de moi-même  » . DANS LA CHAMBRE DU BEAU MUSEE J’AI CROISE L’AUTRE EGO DE L’AIR QUI SIFFLAIT MES CHANTS IDEAUX POINTES SUR L’ESSOR DE TOUT SEXE – Le rêve du grand veneur dans La modification : Qui êtes-vous, d’où venez-vous, où allez-vous ? Le voyage est indissociable de l’écriture butorienne. Dans  » Le voyage et l’écriture « , Michel Butor va jusqu’à proposer UNE NOUVELLE SCIENCE :  » CELLE DES DEPLACEMENTS HUMAINS  » QU’IL NOMME  » L’ITEROLOGIE  » . C’est ainsi qu’il étudie les mécanismes de l’errance, du nomadisme, de la découverte, de la fixation, de l’exode, de l’émigration, du retour au pays natal, mais aussi le voyage d’affaires, les vacances, l’étranger, les pèlerinages, la multiplication des domiciles, le déménagement et même les véhicules du transit. A cette science, MICHEL BUTOR AJOUTE UN ART :  » celui qui consisterait simplement à VOYAGER, PEUT-ETRE EN LAISSANT QUELQUES TRACES ICI ET LA, mais celles-ci étant subordonnées à l’effet général, telle innovation dans l’itinéraire, tel changement de véhicule, ou telle station prolongée POUVANT SUSCITER AUTANT D’ADMIRATION QUE DE COMMENTAIRES QU’UNE BELLE EXPRESSION DANS UN GRAND POEME  » . Mais la  » MARQUE directe, laquelle risque de détruire les signes antérieurs  » va se voir supplantée  » par une marque plus respectueuse, plus élégante, en fin de compte parfois PLUS DECISIVE, par objet représentatif, LE LIVRE, un objet éminent de ceux-ci  » . Ainsi comprend-on mieux pourquoi : – Aux incendies de Bleston perpétrés par quelque résident temporaire et rebelle, non intégré à la communauté puritaine de l’Angleterre moderne, Jacques Revel préfère la marque plus brûlante et plus altruiste de son texte en canon (au sens musical du terme). DANS LE DEDALE URBAIN DES JOURS S’ENGLUAIT MON EMPLOI D’EXIL LA ROSE M’A PIQUE DU FEU DE LA NUIT DE VENIN DES LOUPS – Au trop romanesque adultère, se substituera un nouveau type de roman, un roman d’un type nouveau, avec son héros  » en train  » de modifier son point de vue sur lui-même, sur les autres et le monde, roman qui obtiendra le Renaudot, au grand dam des tenants de la tradition : La modification, le livre que VOUS savez… – En lieu et place des jeux sans péril du scoutisme qu’affectionne le neveu Pierre Eller, dans Degrés, avatar des explorations primitives, s’érigera un péril, scriptural, d’une autre nature et qui met en jeu l’encyclopédie du savoir écrit. – A la bombe du  » faculty club  » où dormaient les Butor, à Santa Barbara (USA), dans Où, l’auteur préfère un acte de résistance plus efficace à longue échéance, bien qu’indirect et souterrain, l’écriture. – Le sang, des suppliciés aztèques, dans Transit, Butor l’a toujours interprété, en recourant à Zola, par son substitut scriptural : l’encre. – Aux paradis artificiels, du Baudelaire en pleine Histoire extraordinaire – mais aussi du grand explorateur de notre lointain intérieur,  » fenêtres sur le passage  » (d’Ecuador au Voyage en Grande Garabagne), Henri Michaux à qui Butor a consacré un volume d’Improvisations , tout comme à Rimbaud , cet autre grand voyageur – Butor a substitué la drogue souveraine : la poésie… D’Avant-goût, en Travaux d’approche, de Hors d’œuvre en Chantier, de Liminaires en (et) Préliminaires . TEL L’IVRE AUX SEMELLES DE VENT JE PLONGEAIS NU DANS LE POEME DE LA MER DONT MAINT COMPAGNON DU SIGNE ME LIVRAIT LES RIVES – L’écriture comme agrément,  » divertissement « , voyage stérile, n’intéresse guère Michel Butor, ou c’est qu’il en a exploré l’évidente et parfois paradoxale valeur didactique. Il ne néglige ni les contes de fée, ni la science-fiction , ni le roman policier comme on l’a vu pour L’emploi du temps. Le voyage a pour effet paradoxal de nous rapprocher du lieu quitté :  » Je désirais Venise ; Venise me fait désirer Paris, Nevers, Maubeuge, l’illumine  » . Je fuyais Paris et j’y reviens. Dans l’œuvre de Michel Butor il suffit d’être à Paris pour penser à Rome, d’être à Brisbane en Australie pour se référer au domicile niçois, bref on est souvent dans deux lieux, et le plus souvent plusieurs à la fois. D’un antipode, à l’autre, aux autres. C’est l’ubiquité spatio-temporelle. La mémoire et l’imagination sont tour à tour sollicitées comme l’explore La modification. Le voyageur est ainsi ici et ailleurs, en Zone franche ou sur la Frontière . En voyage,  » ici et là. « . Dans le présent et dans le passé. Passé que mobilise l’auteur de Mobile, pour en dépoussiérer les lectures figées, en révéler toute la fraîcheur, celle qu’il souhaite à notre avenir. Au fond, au-delà de l’espace et du temps, c’est à un voyage au cœur de notre culture que nous convie cette œuvre. Un voyage dans la mémoire collective. Parfois le voyage culturel pallie l’impossibilité temporaire du voyage réel. Ainsi pour la section des  » Indes galantes  » dans Boomerang, l’auteur recourt-il à l’intercession de Rameau. Ailleurs c’est un peintre qui nous laisse sur le seuil. Que l’on pense à L’embarquement de la reine de Saba , d’après Lorrain. Ou un cicerone, qui sert de guide : Shakespeare amène à Elseneur ; Jiri Kolar dans l’œil de Prague … J’AI DANS LA MALLE DE MON VENTRE LE MIEL DU CELESTE BUTIN QUI SOUFFLE AUX MAITRES DES MARAIS LE POISON D’OR DES MAUX BENIS Le voyage est consubstantiel à l’écriture butorienne. Il est omniprésent dans chacun de ses livres à tel point que l’on ne peut dire lequel des deux engendre, ou précède, l’autre. Même durant ses promenades quotidiennes, Michel Butor s’arrange pour emporter un petit carnet sur lequel il note ses projets de poèmes, leur ébauche, le premier jet. Du moins l’affirme-t-il sur la quatrième de couverture du recueil Au jour le jour . Ne renouvelle-t-il pas, par ses expériences, si caractéristiques de la littérature de ces cinquante dernières années, l’intemporelle métaphore de  » la vie individuelle considérée comme voyage  » . Vie de voyage. Vie d’écriture. Vie de voyage dans l’écriture et d’écriture par le voyage. Ecriture du voyage de la vie, vie vouée au voyage, à l’écriture, au voyage de la vie, à l’écriture de la vie… comme voyage s’entend.

 

Publié par Rivières, avec des illustrations de Serge Lunal.

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