PROJET DE SCENARIO POUR UN SIÈCLE D’ÉCRIVAINS

Ouvrons le dictionnaire :

« butor : n.m. Ornith. Genre de ciconiiforme au cri retentissant. Fig : Homme grossier, stupide, brutal. »

« Butor Michel (Mons en Baroeul, 1966), écrivain franç. représentant du « nouveau roman ». L’emploi du temps (1956); La Modification (1957); Degrés (1960). Critique : Histoire Extraordinaire (1961). » I)

Un nom d’oiseau

Dans Histoire Extraordinaire, essai sur un rêve de Baudelaire, Michel Butor s’interroge sur le nom d’oiseau de l’illustre auteur des Fleurs du mal. A ce propos il écrit : « Je sais ce qu’un enfant peut souffrir des plaisanteries faites sur son nom. En ce qui concerne notre poète, rappelons-nous quelle fureur provoquaient chez lui les fautes d’impression transformant Baudelaire en Beaudelaire. » En fin de livre, il précise, en guise d’envoi : »Certains estimeront peut-être que, désirant parler de Baudelaire, je n’ai réussi à parler que de moi-même. Il vaudrait certainement mieux dire que c’est Baudelaire qui parlait de moi. » Identification significative, à l’instar de celle qu’entretenaît par delà la mort le traducteur des Histoires extraordinaires avec leur auteur, son frère spirituel d’outre Atlantique, Edgar Poe. Mais que pense donc l’intéressé, Michel Butor, de son propre nom et de l’importance du nom propre, du nom du père, dans la carrière d’un jeune écrivain. (Butor raconte sa première rencontre avec Jean Paulhan).

Michel Butor naît dans une petite ville du nord de la France où son père travaille dans les chemins de fer. L’écrivain n’a que trois ans quand sa famille s’installe à Paris. Le voyage en train sert de prétexte à des livres comme La Modification qui nous conduit de Paris à Rome et de Rome à Paris ou dans un ouvrage moins connu comme Intervalle dont l’action se situe dans la gare Lyon-Perrache, en direction de la petite province française.

Les parents de Michel Butor ont sept enfants. Michel Butor, lui se limitera à quatre filles, de l’unique femme de sa vie, Marie-Jo. Il est curieux de constater combien les chiffres jouent un particulier dans la structure de ses écrits. Le premier volume d’Illustrations par exemple comporte sept textes, le Génie du Lieu commente sept villes du bassin méditérranéen, les Improvisations sur Flaubert sont divisées en sept propos. Michel Butor aime jouer avec la valeur symbolique des chiffres, le cinq notamment pour ses vertus englobantes, à l’instar de son prédécesseur Rabelais, à propos de qui il écrit : « Lorsqu’on étudie une culture, une des questions les plus importantes est celle des groupements en séries…

Le 7 par exemple : jours de la semaine, couleurs de l’arc-en-ciel, notes de la gamme… Si la valeur opératoire du 7 est encore considérable pour notre culture, elle était bien plus grande encore au Moyen Age et à la Renaissance, car il contrôlait aussi les planètes, métaux et autres groupes. ». Michel Butor, qui jongle avec les planètes dans La rose des vents ou avec les métaux dans Le portrait de l’artiste en jeune singe, semble recourir lui aussi à ce qu’il appelle une « hiéroglyphique numérale ». Les nombres permettent de baliser, de quadriller le monde qu’il entend observer… Ainsi les animaux marquent-ils leur territoire. A ce propos, la première page de Boomerang s’ouvre sur l’évocation des grands fauves d’Afrique tels que les concevait Buffon. Butor y a malicieusement introduit son animal-totem : « malgré l’espèce d’insulte attachée à son nom moins stupide que le héron mais encore plus sauvage… »écrit-il, avant de s’intéresser aux jungles urbaines. Les oiseaux, les vues aériennes, tiennent une grande place dans le livre majeur de Butor, Mobile, essai pour une représentation des Etats-Unis, dédié à Jackson Pollock, l’homme qui survolait la toile, Mobile où Butor décrit les planches ornithologiques du naturaliste Audubon.

Deux activités artistiques ont traversé l’enfance de Michel Butor : la musique, la peinture.

Le jeune Butor joue du violon. Sa mère, atteinte de surdité, ne pouvant plus l’entendre, venait poser sa main sur l’instrument pour le sentir vibrer. La formation musicale de Michel Butor occupe une place prépondérante dans sa conception de la littérature. La plupart des oeuvres de Butor sont écrites à partir d’une composition pré-établie. L’emploi du temps par exemple relève de la structure du canon musical, et l’aspect sériel ne fait aucun doute dans Degrés ou dans 6810000 litres d’eau par seconde, Mobile s’inscrit comme une vaste partition, dans la postérité aussi de Mallarmé, Description de San Marco rend hommage à Igor Stravinsky, etc. Michel Butor a écrit également un ouvrage de musicologie tout à fait original : Dialogue avec 33 variations de Beethoven sur une valse de Diabelli. Et que dire de sa prolifique collaboration avec le compositeur belge Henri Pousseur, dont il rédige le livret de Votre Faust notamment ? (entretien avec Pousseur sur la génèse et l’élaboration de l’oeuvre).

Quant à la peinture, Michel Butor prétend avoir toujours eu un oeil ouvert sur elle. Son père déjà lui donnait le goût du dessin, de la peinture, de la gravure. Jamais un auteur n’aura collaboré autant avec les artistes que Michel Butor que ce soit par le biais d’articles critiques, de poèmes et textes de circonstances, de livres illustrés, à tirage limité, de luxe ou ce que l’on appelle les livres-objets. Par ailleurs Michel Butor a consacré des études à Delacroix, Caravage, Rembrandt, Van der Goes, Monet, le peintre japonais Hokusaï, Rothko, Max Ernst, Picasso dont il admire la capacité créative ainsi qu’un essai sur Les mots dans la peinture. Il a aussi écrit un très curieux ouvrage en lequel il anime littéralement de sa prose narrative le tableau du Lorrain sur L’embarquement de la reine de Saba. Le titre même de Mobile fait référence au sculpteur Calder. La plupart des volumes d’Illustrations, d’Envois, d’Avant-Goût et deux des cinq Matière de Rêves prennent pour pré-textes des artistes contemporains et leurs oeuvres et pas des moindres : Bran Van Velde, Delvaux, Masson, Alechinsky, Bryen, Vieira da Silva, Herold pour ne citer que les plus connus.

Collégien au début de la guerre chez les jésuites d’Evreux, Michel Butor revient à Paris et rentre au lycée Louis le Grand. On retrouve des allusions précises à cette période dans Degrés. En hypokhâgne, il se met à pratiquer la poésie, en cachette, en classe, comme pour contrecarrer l’enseignement des mauvais professeurs. Michel Butor occultera des années durant, celles où sa vocation de romancier et d’essayiste prend le pas, son goût prononcé pour la pratique poétique. Il n’y reviendra que grâce aux rencontres de peintres. Récemment, il a publié un volume théorique sur « L’utilité poétique« . Inscrit à la Sorbonne où il suit des études de philosophie, il rencontre par l’intermédiaire de Michel Carrouges, auteur d’un essai sur Breton et les données fondamentales du surréalisme. Breton et les surréalistes d’après-guerre.

Pendant la guerre déjà, il avait feuilleté quelque revue sur les éventaires du quartier latin. Très attiré par les expériences et les thématiques exaltées par le groupe en particulier par la poésie urbaine, le rêve ou la recherche du point suprême il refuse néanmoins de se laisser embrigader. L’ironie du sort voudra qu’on l’embrigade – on : les journalistes, critiques et universitaires – dans une prétendue école du nouveau roman, alors qu’il est déjà parti sur de nouvelles voies, pour de nouvelles expériences « post-romanesques ». Dans Passage de milan, une réunion chez l’égyptologue Samuel Léonard s’inspire des réunions auxquelles il a pu assister. Toutefois, il publiera ses premiers articles, grâce à Michel Carrouges, auteur d’un essai sur André Breton et les données fondamentales du surréalisme. Sur le point suprême et l’âge d’or à travers quelques oeuvres de Jules Verne, sur la science-fiction, les contes de fée et, première contrevenance à l’orthodoxie stricte du groupe : James Joyce.

Portier à l’entrée du château de Fontelle, où s’organisent des conférences, il est invité en Allemagne par un docteur hongrois (Butor signifie mobilier dans cette langue) qui met à sa disposition bon nombre de volumes de littérature alchimique. Des années plus tard il extraira de cette expérience son Portrait de l’artiste en jeune singe en lequel le thème du rêve est prépondérant déjà. Il soutient un mémoire sur les mathématiques et l’Idée de nécessité sous la direction de Gaston Bachelard. Il prépare l’agrégation de philosophie avec Roger Laporte et Jean François Lyotard. (entretien J.F. Lyotard). Malheureusement il échoue.

Des années plus tard l’université française lui refusera sa thèse sur travaux à partir de ses oeuvres critiques publiées (Répertoire a obtenu le prix de la critique) et il devra s’expatrier en Suisse. Dans l’immédiate après-guerre, il est très marqué par la pensée de Jean Paul Sartre grâce à qui il découvre le roman américain et la phénoménologie de la perception. Il a d’ailleurs Merleau Ponty et Gabriel Marcel, chefs de file de l’existentialisme, comme professeurs. Sartre saluera son cadet dans un entretien avec Madeleine Chapsal, le considérant comme l’écrivain français le plus important de l’après-guerre. Il est alors fin prêt pour partir en Egypte, comme le héros de son premier roman, Louis Lécuyer, voyage professionnel qu’il relatera dans le premier Génie du lieu.

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