Chez Pierre Soulages à Sète avec Geaoges Desmouliez

PIERRE SOULAGES A LA LUMIERE DE CONQUES

Il est des peintres qui acceptent de concevoir des vitraux parce que c’est devenu un phénomène de mode, un signe extérieur de reconnaissance et de respectabilité, un insigne honneur accordé à celui-ci,-de préférence à celui-là. Le résultat n’est pas toujours des plus heureux si l’artiste n’a pas cherché à cerner les tenants et aboutissants de sa décision. Pierre Soulages a refusé bien des propositions que d’autres se sont empressé d’accepter avant que de s’investir corps et âme dans ce projet de réfection des vitraux de la basilique Ste Foy à Conques en Rouergue, chef d’oeuvre de l’art roman, célèbre gîte de pèlerinage, construite à quelques kilomètres de son lieu de naissance, Rodez en Aveyron.

Je ne sais si, ainsi que le sous-entend Geneviève Bonnefoi, la vision enfantine de la sublime architecture de l’abbatiale, à l’instar de celle des dolmens voire des arbres perçus à contre-jour dans son terroir natal, eut une incidence déterminante sur la vocation plastique du jeune Soulages et sur la découverte de sa singularité picturale, mais je ne puis me défaire de la pensée que ce consentement ressemble à une espèce de retour aux sources. Toutefois, il convient de dépasser ce caractère anecdotique, fût-il fort instructif.

Il semble nécessaire de chercher dans l’oeuvre même de Pierre Soulages ce qui le prédisposait à un rapport aussi intime, aussi pertinent et aussi légitime avec le lieu. Sans me poser en spécialiste de cet artiste, ce que je déplore à présent profondément (Certes j’ai vu plusieurs expositions de lui, a fortiori des oeuvres, mais l’idéal pour ce qui le concerne serait d’écrire sur lui face à un choix raisonné et représentatif de son itinéraire tant les reproductions de ses tableaux en faussent la signification), il m’apparaît que plusieurs raisons s’imposent à nous tout de go, que je laisse le soin à d’autres de développer plus amplement et en toute rigueur. Des rapports évidents peuvent en effet se voir établis entre l’architecture romane et notamment en premier chef celle de l’église de Conques et ce que l’on peut retenir d’essentiel des réalisations de Pierre Soulages. Tout d’abord le plus manifeste : -La subordination du détail à l’unité d’ensemble, carastéristique aussi bien de l’art roman que de chaque tableau ou gravure de Pierre Soulages, a fortiori de ses vitraux. -Le caractère construit de chaque oeuvre, laquelle immanquablement fait penser à une architecture ramassée, puissante et sobre, avec ses lignes majeures et ses éléments « mineurs ».

A Conques, à la nef et au transept s’ajoutent des chapelles bénédictines qui concourent à l’effet massif de la bâtisse. -Une certaine sévérité, liée bien évidemment à l’extrême dépouillement du christianisme primitif par opposition aux fastes et flamboiements du gothique à venir. Ainsi l’intérieur de la basilique ne contient pas, à l’origine, de « figures » ni d’épanchements colorés superflus ou surajoutés, une fresque plus tardive du transept étant d’ailleurs à peu près effacée. Chez Soulages, l’austérité est liée à l’utilisation, certes riche en nuances polychromiques, du noir, signe distinctif à tout jamais de sa production. Quant aux vitraux, n’étant pas transparents, ils font le vide autour de ce qu’ils ne sont pas. -La recherche de la pureté et de la simplicité optimales. Dans l’architecture romane, la pierre est exhibée dans sa nudité. A Conques les pierres, d’origine différente, sont colorées de jaune, de rose et de gris-bleu (Je prends conscience en écrivant ces lignes que leur superposition n’est pas sans rappeler la technique employée dans certains tableaux où Soulages joue sur un minimum de couleurs à dominante noire bien sûr). . Quel besoin dès lors de faire redondance en ajoutant des vitraux de couleurs (Et pourquoi pas une piste de danse?)? Cette quête de la netteté chez Soulages va de pair avec une certaine fermeté, un sens aigu de la précision, un esprit de finesse qu’accentue la confiance accordée à une peinture « monopigmentaire » (Pierre Encrevé).

Par ailleurs on repèrerait aisément des types de gestes récurrents, trop retenus pour s’avérer primaires, tout au long de son parcours. -Une certaine qualité de lumière d’autant plus remarquable qu’elle se fait jour à partir de l’ombre ou de la pénombre. Cette aspiration à la luminosité irradiant de la matière même se fait de plus en plus subtile et explicite dans l’oeuvre de Soulages. D’où les vitraux de Conques. De plus la qualité de cette lumière se modifie selon l’heure, le temps ou la saison. Le soleil agissant. -Un aspect hospitalier : dans l’église, il fallait que les pèlerins puissent circuler pour se recueilir dans les chapelles. Certaines oeuvres de Soulages nécessitent le déplacement, notamment pour apprécier les nombreuses possibilités permises par les effets lumineux. -Une notion de rythme lié à Conques non seulement aux fenêtres mais également à la succession et à l’alternance des pilastres et des colonnes. On trouve dans les peintures de Soulages des contrastes entre compacité et fluidité du geste, entre matité et brillance, pleins et déliés par exemple. L’harmonie des contraires demeure une constante chez lui… La liste n’est pas limitative. On peut aller plus loin : L’église est avant tout un lieu de recueillement. Il ne saurait être question de distraire le pèlerin de passage. A l’extérieur le tympan lui a rappelé l’essentiel : Qui entre en religion, comme on entre en Peinture, doit se dépouiller des images du monde. De même on a l’impression que chaque oeuvre de Soulages nous invite à ne rien contempler d’autre que cette oeuvre elle-même et l’oeuvre seule pour ce qu’elle est, telle qu’elle se donne à voir intrinsèquement, ici et maintenant. Elle contient suffisamment d’éléments pour qu’on n’y accole point des considérations externes. De même l’abbaye fut construite pour inciter à la prière et l’adoration.

Certes on peut être impressionné par ses divines proportions mais justement elles nous ramènent à leurs finalités : la gloire du Créateur… Cependant, en feuilletant quelques ouvrages et documents concernant notre artiste, j’ai été on ne peut plus surpris par l’importance de la verticalité, laquelle semble le hanter. Non seulement parce qu’un nombre assez édifiant d’oeuvres sont peintes sur format vertical; non seulement parce qu’à l’intérieur des oeuvres les élaborations à postulation verticale y jouent un grand rôle (ces sortes de blocs, de monolithes…) mais aussi parce que même les formats horizontaux, proposant des stratifications de masses picturales, aboutissent également à des accumulations de type vertical. Les polyptyques d’ailleurs sont souvent formés soit d’un échafaudage de toiles horizontales, soit d’imbrications de châssis finissant par délimiter des surfaces verticalisées. A Conques la hauteur de la nef est extraordinairement élévée…

Comment ne pas voir dans cette constante le souci d’une transcendance, dont peu nous importe qu’elle soit d’obédience religieuse ou pas, qui traverse toute l’oeuvre de Soulages et nous indique la voie qui doit nous mener des effets de la matière aux effusions de l’esprit. Quand l’esprit sourd, la lumière jaillit. Et c’est cette lumière que les vitraux de Pierre Soulages à Conques diffusent à présent à l’intérieur du lieu saint. L’artiste les a considérablement dépouillés des redondances du plomb qui les alourdit habituellement. Or comme ils sont d’un blanc translucide et pur, celui qui connaît son oeuvre ne peut s’empêcher de considérer le lieu dans son ensemble comme un équivalent des constructions picturales déterminant ses tableaux les plus célèbres et dont le noir servait en quelque sorte de substructure à la lumière. C’est indiquer combien l’oeuvre de Pierre Soulages habite ce lieu et combien ses conceptions lumineuses rejaillissent sur ses visiteurs, dont certains font à présent le pélerinage pour lui principalement. Pour communier avec ce grand oeuvre.

On retrouve évidemment dans ces fenêtres profondes et étroites cette notion de verticalité évoquée plus haut d’autant que le découpage en panneaux suscité par les barlotières provoque un effet d’amoncellement du bas vers le haut, à cause du rétrécissement suscité par la voute vitrée, faisant écho à celle de la nef. Pierre Soulages s’est servi de droites obliques tantôt rectilignes tantôt incurv‚es (concaves ou convexes) délimitant des subdivisions. L’intervalle entre deux droites est sensiblement proche de celui du pinceau à large brosse qu’utilise le peintre dans ces oeuvres récentes.

Autant dire qu’il peint sans brosse, directement dans la matière lumineuse, en découpant ce verre à grains qu »il s’est inventé pour les besoins de la cause. Mentalement, on a envie de prolonger au-delà de la surface du vitrail. Car il convient de faire le pas au-delà. Ce que diffuse le vitrail, c’est toute la lumière du monde virtuel, une lumière qui vient s’incarner dans le verre et qui semble émaner du vitail même (N’a-t-on pas dès lors quelque chose qui suggère le mystère de la Transsubstantiation, dogme essentiel du christianisme?). Lumière issue du monde extérieur non seulement naturel mais transcendant, dont l’église au fond n’est qu’un pendant terrestre bâti, élévé dans la matière de pierre, afin d’illuminer cet intérieur censé éclairer l’homme sur le sens foncier de son existence.

C’est-à dire sur son univers intérieur. Et de ce point de vue, nous ne manqueroins jamais assez de lumière. Soulages nous incite dès lors au recueillement. Je ne reviendrai pas sur la longue quête du verre idéal menée par le peintre, entre doutes et épreuves, à la manière des héros médiévaux, à la recherche du Saint Graal. La connotation alchimique n’est de surcroît que par trop évidente.

Mais l’or ici se fait impalpable. Une fois posés les vitraux, ils s’avèreront hors de portée de main. Ils flotteront dans la matière à la manière des archanges au glaive nu. Ils traverseront le temps afin de communier avec les époques futures à qui ils permettront sans doute de mieux comprendre et appréhender le génie ou l’esprit de ce lieu. Et l’oeuvre de Soulages s’entend. Dont la lumière se propage bien au delà de l’abbatiale de Conques. La matière manquait d’air. Comment ne pas admirer cette trans-lucidité, caractéristique, à présent plus que jamais d’un tel artiste.

Bernard.TEULON-NOUAILLES 23 Août 93

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