LES DEUX AMIS : LA FONTAINE

Auteur classique du 17ème siècle, époque où l’on ne jure que par l’Antiquité et les genres pratiqués par les Anciens.

Définition de la fable ou de l’apologue, inventés durant l’Antiquité, en tant que récit en vers édifiant mettant en scène des animaux et impliquant une morale. Chez La Fontaine, les animaux, allégoriques, sont parfois remplacés par des humains. Les Fables : 12 livres en trois éditions. Plus on s’achemine vers la fin et plus les fables deviennent longues, philosophiques et finalement pessimistes (directement ou indirectement).

Située dans le livre 8, la fable « Les deux amis » est formée de 32 vers de longueur irrégulière (12, 8, 6) et commence par le récit d’une anecdote impliquant deux amis, de laquelle le poète extrait une définition de l’amitié, qu’il propose au lecteur.

Pbématique : Dans quelle intention le fabuliste nous relate-t-il cet épisode ?

Plan :

 

  1. I) Deux amis impliqués dans cette fable

 

  1. A) Le premier (« le réveilleur »)

– Il agit : ainsi le prouvent les 3 verbes d’action (groupe ternaire) des vers 8 et 9, au présent de narration et en asyndète (suppression des mots de liaison pour donner plus de vivacité à l’action) : « Un de nos deux amis sort… court… éveille ». On notera les termes monosyllabiques qui traduisent l’affolement + les sonorités dynamiques.

Gradation de l’intérieur vers l’extérieur puis vers un autre intérieur ; De chez l’un à chez l’autre : « du lit » de l’un au « palais » de l’autre.

-Il répond quand on l’interroge (style direct) ou pour remercier, du v.19 et 20 (mais il lui faut attendre 10 vers tellement l’autre est bavard, ce qui crée un effet d’attente, comique). Il écarte ainsi les hypothèses fausses émises par son ami, en usant d’une structure binaire et négative (conjonction de coord : « ni… ni… », alternative niée). Comme le lecteur ignore la cause de son réveil en sursaut, cela ajoute au suspense. En outre, il remercie poliment, et sans doute aussi amicalement, car il est étonné de l’ampleur des propositions de son alter ego (« je vous rends grâce de ce zèle »). Il faut comprendre par « ce zèle » cette ardeur dans l’amitié. On soulignera le passage à l’octosyllabe, quelque peu conclusif avant l’explication (il est pressé de s’expliquer puisque c’est pour cela qu’il est là) et le vouvoiement, qui montre que nous sommes entre amis de rang supérieur, noble, hors du commun.

– Enfin, il s’explique, toujours au style direct, v. 21 et 22 avant de porter un jugement sur lui-même. Il se justifie en trois temps (donc groupe ternaire) : 1 il a fait un mauvais rêve (v.21 le gérondif « en dormant »), qu’il finit par maudire (« Ce maudit songe » v.23), 2 il s’est interrogé à son sujet (« J’ai craint qu’il ne fût vrai », subjonctif entraîne par le sentiment de crainte), 3 a agi en conséquence sans réfléchir (« Je suis vite accouru »). C’est ce qui explique l’étonnement de l’autre (« Il vous arrive peu/De courir quand on dort » avec enjambement montrant à la fois la rapidité de l’action et son caractère irrationnel montré par la contradiction « courir/quand on dort »). Le vers 22 est binaire et recourt à l’asyndète qui rapproche les deux hémistiches, pour mieux montrer la promptitude de l’action. En d’autres termes, l’ami réveilleur a eu le pressentiment (« j’ai craint » )que quelque chose n’allait pas chez l’autre puisque celui-ci lui est apparu « triste » et même « un peu  triste», et il s’est affolé, oubliant tout sens de la mesure (« Vous me paraissiez homme/A mieux user du temps destiné pour le somme », enjambement qui traduit toujours l’action déraisonnable et sa rapidité), il s’est précipité alors chez celui-ci. Le rêve, que l’on croit absurde, a donc pour lui un sens. Ici, il l’inquiète.

 

  1. B) Le second (« le réveillé »)

-Il réagit, de deux manières d’abord en anticipant (5 verbes d’action au pst de narration, en gradation : et recourant à l’asyndète pour plus de vivacité, tout comme les virgules « s’étonne, il prend sa bourse, s’arme,/Vient trouver l’autre, et dit ». Donc cet ami agit aussi. Il ré-agit. Mais surtout il parle.

– En effet il atténue le caractère irrationnel du comportement du réveilleur comme pour mieux l’excuser : v.11 à 13 : « Il vous arrive peu… Vous sembliez homme à mieux user du temps… ». La phrase commence en milieu de vers pour mieux montrer le côté exceptionnel d’une telle action, normalement interdite et condamnable (de même que ce type de procédé de contre-enjambement). Il lui parle donc en toute bienveillance et non en se fâchant : on l’a réveillé, lui qui était « l’ami couché », et alors que tout le monde dormait aussi, dans les bras de « Morphée… », personnage mythologique cité allégoriquement dans le texte. Donc cet ami-là est prêt à pardonner et même à aider le cas échant (la bourse, l’arme). En tout cas, il suppose une raison grave qui excuse par avance.

– Il interroge donc son âme-sœur, au lieu de le laisser parler. Il parle ainsi durant huit alexandrins. La rapidité de son élocution est bien montrée par les enjambements. En fait, il énumère les trois principales raisons pour lesquelles son ami pourrait avoir besoin de lui. Il semble disposer ces hypothèses plausibles par ordre d’importance : l’argent, une dispute ou affaire d’honneur, l’amour. D’ailleurs le nombre de syllabes croît vers la fin : 15 pour la question initiale (« N’auriez-vous point perdu tout votre argent au jeu ? »), 15 pour la dispute supposée avec la conjonction « si » (« S’il vous est venu quelque querelle… », enfin 30 syllabes pour le sentiment de solitude sentimentale avec deux interrogatives : « Vous ennuyez-vous point… Une esclave assez belle… ». A chaque fois une solution est proposée : l’argent ? : « En voici » ; la dispute « J’ai mon épée, allons » ; la solitude : « Une esclave assez belle… Voulez-vous qu’on l’appelle ? »). On voit ainsi le « zèle «  de cet ami prêt à tout partager avec son « intime ». Cette anecdote illustre bien l’amitié par l’exemple.

 

  1. II) Circonstances et raisons de cette anecdote

 

  1. A) Contexte spatio-temporel

– Le lieu, au sens large c’est le « Monomotapa » du v.1, nom propre exotique, long, peu connu dans nos contrées et plus ou moins improbable, en tout cas lointain. Au sens plus restreint, l’action se situe entre deux « palais », le nom propre, connotant la noblesse ou aristocratie, des milieux aisés et supérieurs, étant utilisé au v. 9. Il suppose en effet des moyens puisque les propriétaires disposent de valets, d’esclaves, d’armes, d’argent pour le jeu (activité des oisifs et donc des riches ou nobles).

– Le moment  est également clairement défini puisqu’il s’agit de la nuit, « une nuit » précisément. On notera la manière amusante de présenter ce moment comme celui de « l’absence du soleil » qui change totalement les choses puisque plus personne ne fait rien (le mot « absence », plus long et en contraste avec les autres, donne l’impression soit de bâiller, soit de s’étirer, soit de longueur du sommeil) . Normalement, la nuit est conçue comme un moment dévolu au repos (« sommeil » v. 5 pour « chacun », + rappel des propos de l’ami réveillé : « quand on dort » avec un pst d’habitude v 12, « temps destiné pour le somme » v.13…) ou au plaisir (l’esclave à ses côtés ; le jeu éventuellement, voire les crimes et délits). Le sommeil nocturne est incarné par l’allusion à « Morphée » qui marque bien le côté paisible de la nuit ; habituellement.

-L’ambiance est d’ailleurs calme au début ainsi que le montre le rythme régulier par exemple du v. 5  et le début du 6 : 3333 + 33 mais dès que l’ami s’éveille changement complet 1/533, ce qui n’est pas très régulier + les verbes d’action et asyndètes traduisant la vivacité et l’affolement déjà signalés. Une ambiance contrastée donc.

 

  1. B) Raisons de cette anecdote

– En fait on retrouve cette anecdote reprise et synthétisée dans la fin du poème. En effet, celui qui a fait « un songe » qui lui a « fait peur », c’est bien l’ami réveilleur du début, et celui qui « cherche vos besoins au fond de votre cœur » c’est bien l’ami réveillé. Le Poème a donc une structure en chiasme puisque la fin du texte est à l’inverse de son début ce qui donne une composition croisée : Ami réveilleur, ami réveillé, ami réveillé, Ami réveilleur.

– Commençons par le réveillé : on notera qu’il a deux qualités : il anticipe (« cherche vos besoins ») ou du moins cherche à deviner mais surtout il vous évite d’avoir à demander, ce qui infériorise ou humilie quelque peu « Il vous épargne la pudeur/De les lui découvrir vous-même »). Le réveillé fait donc preuve d’une extrême délicatesse en proposant avant qu’on le lui demande, et c’est bien la qualité que La Fontaine veut mettre en valeur. Rappel : Montaigne n’envisage pas que l’on puisse avoir à demander…

-Et puis bien sûr le réveilleur : « un songe, un rien tout lui fait peur/Quand il s’agit de ce qu’il aime ». Il est manifestement plus sensible que l’autre qui semble plus rationnel, et de sang-froid. On notera le rythme ternaire qui se termine par le pronom indéfini « tout », en contraste avec « rien », ce qui montre l’extrême finesse ou subtilité de ses sentiments. Comme on le voit, la morale est articulée à l’anecdote dont elle semble la conséquence logique. L’amitié est magique puisqu’elle métamorphose le « rien » en « tout » et un rêve en possible réalité, venue du pressentiment.

 

III) Morale et jeu avec le lecteur à propos de l’amitié

 

  1. A) Morale et conception

– En fait, la morale est concentrée dans la fameuse sentence, d’ailleurs au pst de vérité générale du v. 26 : « Qu’un ami véritable est une douce chose ». Le vers n’a pas de césure ce qui fait que les groupes nominaux « ami véritable » et « douce chose » sont reliés et ne font qu’un. La structure est en chiasme Nom adj adj nom sans doute pour frapper les esprits. On notera la longueur de l’adjectif postposé alors qu’au v. 1 « vrais » était antéposé. La Fontaine exclut donc les amis de moindre importance, a fortiori les faux amis. Mais surtout l’usage de l’exclamation donne l’impression que la Fontaine exprime son sentiment (en fait c’est un procédé lyrique, tout le monde peut tirer cette conséquence de l’anecdote et s’émerveiller de tant de délicatesse de mœurs).

-Mais qui concerne qui ? Manifestement des âmes d’élite, proches dans l’espace (le palais de l’un n’est pas loin de celui de l’autre, à prouver par le texte) et partageant tout cf. v 2 : « L’un de possédait rien qui n’appartînt à l’autre » – les deux hémistiches réunis par l’assonance en in. L’emploi du subjonctif s’explique par le fait que penser que l’un ne posséderait pas la même chose que l’autre est considéré comme impossible  par LF (subjonctif : mode du virtuel, du doute, de l’exception). Au demeurant, on voit bien qu’ils partagent l’argent ou les esclaves.

– L’amitié se manifeste par des preuves matérielles ou spirituelles : Les deux amis se connaissent bien puisqu’ils sont dits « intimes » (au v.8, nominalisation de l’adjectif). Mais surtout ils manifestent des preuves d’affection, qu’elles soient concrètes et matérielles (bourse, armes, esclave) ou mentales (« un songe », de peu de valeur normalement). Contrairement à celle de Montaigne, l’amitié tolère les remerciements (« Je vous rends grâce » v.20) mais c’est surtout par convention et politesse.

 

  1. B) Jeu avec le lecteur

– La Fontaine s’adresse au lecteur, interpellé, ce qui n’est pas si fréquent, au v. 24 « Qui d’eux aimait le mieux, que t’en semble, lecteur ? ». La structure de la phrase interrogative repose sur une anacoluthe, avec gradation : 6,4,2, le mot lecteur étant mis en relief à la fin. La Fontaine s’amuse à chercher une certaine supériorité de l’un sur l’autre, sachant que les deux se valent, et sont de toutes façons tous deux introuvables du côté de chez nous (« ceux du nôtre »). La question posée passe donc de l’auteur au lecteur. Lui pose la question mais laisse son lecteur chercher à la résoudre.

– Le Dilemme n’est pas aussi facile à trancher et La Fontaine en a bien conscience puis qu’il écrit : « Cette difficulté vaut bien qu’on la propose ». En fait il s’amuse d’autant plus à poser la question du meilleur des deux en amitié sachant pertinemment que la vraie question est ailleurs : existe-t-il chez nous de tels agissements et si non pourquoi ? La composition est en tout cas édifiante. S’il termine par le réveilleur alors que celui-ci semble avoir une conception plus spirituelle de l’amitié, sachant  que l’esprit est supérieur au corps, c’est que lui-même a sa légère préférence.

-Mais située au « Monomotapa », « ce pays-là », de surcroît dans le passé (usage de l’imparfait) donc introuvable chez nous (« ceux du nôtre ») cette amitié paraît utopique, totalement imaginaire. La Fontaine veut dire qu’elle n’existe pas parmi les nobles de notre pays, lesquels pourtant se disent ou croient supérieurs en tout. Il fait donc la critique de son époque. En creux se dessine sa vision satirique de ses contemporains du siècle de Louis XIV, où la France pourtant dominait les autres nations. Il faut lire ce texte comme un contre-exemple ironique de ce qui se pratique chez nous et que fustige son contemporain, La Bruyère.

 

Conclusion : verif réponse à pblématique

Votre point de vue sur cette amitié et sur ce sentiment en général

Comparaison avec d’autres fables sur le même thème (Paroles de Socrate, L’ours et l’amateur de jardin) ou avec Montaigne.

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