Le texte inédit ci-dessous, est différent de la plaquette sus-citée. DE même du livre paru sur les vitraux d4aigues-Mortes sous le titre Paroles de Lumière

CLAUDE VIALLAT A LA LUMIERE DES SABLONS

Dans son remarquable ouvrage sur LES ANNEES FERTILES (1940-1960), Geneviève Bonnefoi rappelle que bon nombre des « peintres de tradition française » se sont illustrés dans la conception de vitraux : Manessier étant donné son style propre, Bazaine à Audincourt, Le Moal en la cathédrale de Saint Malo… Elle eût pu leur adjoindre Pierre Soulages si son livre avait été publié après que les austères et translucides réalisations du plus aveyronnais de nos peintres internationalement reconnus eurent été posées à Conques en Rouergue.

Qui se sera déplacé jusqu’en cette abbatiale proche du lieu de sa naissance aura apprécié l’osmose, opérée de main de maître, de l’esprit d’un temps, du génie d’un lieu et de la singularité d’un artiste. Et sur Claude Viallat, à Nevers certes mais surtout à Aigues-Mortes, si elle eût poussé ses investigations jusqu’en des périodes plus récentes. Réaliser des vitraux ne va guère de soi. Il faut que l’artiste se mette à l’écoute du lieu, en analyse la spécificité et cherche avec lui le possible dialogue, quitte à bouleverser quelque peu les conventions en la matière. Une telle attitude réclame de la patience, de la détermination, voire un minimum de réflexion sur les contraintes du matériau à utiliser : le verre. Il me semble que Claude Viallat en la petite église des Sablons nous a offert un miracle du même acabit : la rencontre d’un monument et d’une oeuvre ayant fait ses preuves. Et tout d’abord le peintre n’a pas seulement consacré son temps à la définition de ses vitraux, il s’est attelé, avec la complicité de Bernard D’Honneur, à la redéfinition de leur technique.

Ainsi l’art contemporain apporte t-il sa touche à une pratique ancestrale dont on croyait les règles définitivement serties dans une armature de plomb… Si Soulages a choisi l’austérité, la rigueur ascétique, comme pour mieux isoler l’église de l’exubérance de la nature à l’entour, Viallat au contraire n’a pas lésiné sur le flamboiement coloré et a joué sur un va-et-vient entre l’intérieur et l’extérieur de la petite église des sablons, navire des sables entre ciel, mer ui ne voit qu’il s’est enrichi lui-même de cette expérience éclairante! Soucieux de stigmatiser les habitudes verrières, et accusant leurs contraintes inutiles en regard de ce qu’il cherchait à nous donner à voir, Viallat n’a conservé, en guise d’armature qu’une croix de métal et seulement pour les vitraux les plus remarquables, ceux des chapelles ou du choeur. Il était en effet impensable que ses « formes » (son signe distinctif), soient en permanence alourdies par le plomb et entrecoupées par cet hôte encombrant, notamment pour qui les perçoit à distance comme en la cathédrale de Nevers. La technique utilisée découle du verre feuilleté, impliquant le collage de verre antique, soufflé à la bouche, de chaque côté d’une épaisseur centrale en verre blanc, ce qui aboutit au « triplex ».

Entre le fond, uni de loin mais travaillé dans la diversité de ses nuances ainsi qu’on peut le constater en se rapprochant, et la forme colorée selon les mêmes principes, un halo de blanc transparent. En opérant de la sorte, et malgré les difficultés qu’un tel procédé ne manque pas de poser, Claude Viallat obtient une clarté de propos et une netteté lumineuse optimales. Comme les règles de versification ou les principes de la rhétorique, il ne convient pas de s’enfermer dans un moule impropre à l’expression d’une intention qui se veut révélatrice de l’esprit d’une époque, la nôtre en la circonstance. C’est l’expression de ces motivations plus ou moins explicites que nous étudierons à présent.

La pureté, la simplicité, la luminosité et n’ayons point peur des mots la monotonie font partie de l’environnement de l’église des Sablons, navire de fraîcheur nimbé par le soleil méridional, nef au coeur d’une cité ancrée dans l’histoire par ses embarquements illustres d’un roi canonisé (dont la statue trône à quelques mètres sur la place de la cité), de courageux croisés ou de frères du Temple partant pour un autre monde, la Jérusalem terrestre, en attendant la céleste. Certes le voyage au long cours entrepris, voilà trente ans par Claude Viallat, l’éloignait en apparence d’une quête d’obédience spirituelle. Mais avec une telle légéreté il ne convient pas de juger des confections humaines. Car si l’un des dogmes chrétiens par excellence est celui de l’humilité, qui pourra reprocher à Viallat de n’avoir pas utilisé, sa vie durant, des matériaux non nobles afin d’y déposer sa forme récurrente, elle-même proche des conceptions décoratives des modestes demeures provençales, ainsi qu’il aime à le répéter ?

En l’église des Sablons Viallat fait pénétrer la couleur dont tout le monde sait qu’elle naît de la décomposition de la lumière. Il a bien évidemment rejeté toute allusion narrative afin de mieux solliciter la puissance suggestive de son vocabulaire formel, tel qu’il suscite de nouveaux effets de sens de sa confrontation à la spécificité du lieu. Ainsi les contreformes dessinent elles des sortes de croix torturées soulignées par l’emploi d’un rouge nuancé de sang. Sans jamais se renier, Claude Viallat s’adapte à une architecture qu’il adapte à son tour à son apport original. Toute figure tend en général à distraire, partant à déconcentrer. Tel n’est pas l’effet des couleurs qui agissent presque à l’insu des fidèles, ne les détournent point de leur ferveur mais les envahissent sans en avoir l’air de leur présence insistante tout comme elles s’infiltrent en l’église.

C’est donc à une espèce de leçon d’intuition colorée que se livre implicitement Viallat selon deux perspectives : réactiver le fonds sensible qui demeure en chacun et qui relève, tel le christanisme, d’une symbolique universelle; partant enrichir spirituellement le fidèle qui, à l’extérieur de l’église entretiendra dès lors des rapports plus étroits avec la peinture abstraite dont les applications chromatiques de l’église lui auront fourni l’une des clés. D’autant que la couleur fait merveille. Elle est le prodige quotidiennement renouvelé et qui embellit notre existence parfois terne. Quel plus bel hommage à la Création, partant au Créateur que son orchestration organique à l’intérieur du sanctuaire?

Car à travers les couleurs méticuleusement répertoriées et disposées de façon à mettre en évidence les diverses particularités du lieu (notons que les verts, lesquels renvoient à la matière, n’apparaissent pas dans le choeur; inversement les roses et rouges rappellent la composante charnelle de la divinité, les bleus imposent leur spiritualité etc.), c’est un arc-en-ciel qui pénètre en ces lieux, considérablement enrichi de tons et de nuances inédites, partant c’est toute recommander de les percevoir également de l’extérieur, opaques comme la matière et ne reclamant qu’à se voir pénétrer des lumières du coeur, dans sa générosité et sa simplicité native. Redevenons, face à la magie des couleurs, de tout petits enfants. Certes, on évoquera un symbolisme patent.

Comment procéder autrement eu-égard à une religion qui en regorge? Qui se plaindra en outre de voir, pour l’heure, l’art du vitrail, pour répondre à de si louables intentions, réformé?.. Concluons en soulignant encore une fois l’extrême disponibilité d’un être au génie d’un lieu spécifique. Comment concevoir à présent le sanctuaire sans la trace qui aura laissée cet artiste et qui aboutit à une véritable osmose entre un monument et sa lumière, notre passé et le présent. Il est vrai que dans ce cas précis, on avait affaire à un enfant du pays.

Bernard Teulon-Nouailles. 16 Septembre 93

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