(Voir en fin de dossier la version Audio qu’en a donné Jean-Marie Daydé).

                                    « Nous fûmes deux je le maintiens »

Le regard

Se dire que dès l’origine

Rien ne se concevait

Que du pourvoir à l’infini

Méandres sinueux d’une écriture sans fin

Que l’œil n’eût accroché que des formes sans nom

Qui n’auraient pas le nom de forme

Qui n’étaient même pas des formes

Mais de probables noms pour voir

C’est ainsi que l’on voit les choses

Au sortir d’un sommeil lourd

Ou face à la mer l’herbe des prés les feux de la nuit légère

Que l’on désigne si faux que nul ne saurait dire

Le regard qui ne sait dire

Il ne sait tant que désigner

D’un doigt muet comme il se doit

Ce que l’écrit ne saurait dire

On peut toujours scruter fouiller partir en quête

Rien ne saurait du bout des langues

Dire les rêveries du bois qui sert à table

Ou les lignes étroites bordant les cyprès

Sur l’absence

La grande affaire

Que ce qui nomme

Nous prive à jamais

De ce qui est

En l’absolu de tout écrit

Pointent des éclairs sourds

Cri des cailloux taciturnes

Râle du vent qui s’assoupit

Mais dans quelle infinitude

Situer les feux de chaume sec

Longs soupirs du solitaire

Au visage dévoré de mots

A chacun son abîme

Bouche de souffles avides

Affamée d’univers béants

Ou longs étouffements sans terme

Sans elle point de manque à gagner

Partant plus de désir à perdre

Aucun essor vers la requête

Et foin de fèves aux retours

Du phénomène

Ce qu’on attend

Qui s’inscrit noir sur blanc

Silhouette dans le brouillard d’hiver

Jamais ce qu’on présumait

Une question inquiète

Qui surgit des fonds du temps

Une douleur secrète

Qui se brise en rugissant

Un souvenir enfoui

Soleil terrassant les nuages

Un à présent chu du volcan

Masse de glaise qu’on façonne

Une alliance de contraires

Franche caresse de dard

Une saveur mélodique

Au frais regard de rose

Parfois rien que le rien

Qui vise à dire telle chose

Feu qui couve sous la glace

Sombre fosse du mystérieux

La pellicule

Avec elle le dire (comment dire)

Se met à lire (comment taire)

Un territoire se profile

Pour assurer ses avancées

Mais le sol se dérobe

Sur les sentes du cratère

Le voile vif se déchire

Sur les traits de l’écorché

Craie de pierre sur la pierre

Poudre d’anges sur les étangs

Traces de givre sur la fenêtre

A l’instar d’un trop humain néant

Dieu sait si elle résiste

Et pérennise le miroir

Au point du jour

Quand s’élance l’alouette

Pendant que le chasseur

Plus désireux de nombre

Que d’unité première

La couche sur l’herbe des nuits

Blanche

L’approcher c’est faillir

Sommet qui se dérobe

Quand le marcheur égaré

Étreint la neige durcie

L’ignorer c’est non sens

Qui n’aspire à ce lieu suprême

Borne au vertige des cimes

Gouffre aux abords d’épineux

L’atteindre c’est pure chimère

On y fait corps avec le lire

Neige qui tombe au creux des doigts

Ou qui s’infiltre au mieux des mains

L’atteindre c’est l’impossible

Regard insensé sur la Gorgone

Reliefs  de la soif défendue

Retour pérenne à  la non vie

L’atteindre comme on n’y voit plus

S’en approcher  L’approcher seulement

Mais la forcer en simulacre

Et noir sur blanc enfin la teindre

S’affaisse

Ce qui s’écrit

Ce cri tendu

Cette parole

Qui dégringole

Le poème est cette candeur

Qui brûle

Mais quelle erreur que ce silence

Qui tombe

Pris de vertige

L’homme-Icare

Précipite sa chute

Inéluctable

Le condamné

Juste avant le coup fatal

Sur ses deux jambes

Défaille

La statue antique

La tour mythique

L’indéboulonnable

Tout se brise quelque jour

L’œil je

Le grand banni

Du pêcheur d’éponge

Le degré personne

Des vocations blanches

Le définir

L’inconcevable serait tel

Rumeur d’agonisant

Râle de jeune insensé

Le défier

Comme on tue le regard

Gémissement d’aveugle

Errant sur les voies du tragique

Dire qu’il fut souverain

Un bâtisseur d’empire

Tâche aveugle mal formée

Sur du sable se mouvant

Prohibées les études

Qui cherchent en vain leur source

Passeport pour les enfers

Vain mirage du réveil

A la limite

Qui  ne saurait intégrer

La quadrature du miroir

Même agrandi

Plus petit

Qui a perdu la forme

L’a-t-il jamais connue

Puissance de la bise des cimes

Douceur de la brise des blés

On le dit sujet

Mais ne serait-il qu’objet

Tel que perçu par d’autres

Sujets eux-mêmes des objets

Où commence l’altitude

Là où s’achève la mer

A quand remonte l’être

Pile où la mer s’efface

Au bord du gouffre

Les mots remontent

Et le gouffre avec eux

Qui se remonte en mot

Un autre qui serait

L’inverse ne s’entend pas

Qui plonge aux tréfonds abyssaux

Où la peur se délite

Abîme noir de l’après-verbal

Celui qu’on ne connaît pas

Qui se connaît si bien

L’inconnu retrouvé

L’absolu qui cogne au mur

Autant dire sur l’espace

Fût-il en simple devenir

Sans le chiffre et sans le nombre

Réduit en lettres dérisoires

Ni sujet ni objet

Figure neutre de l’informe

Sans contours décisifs

Sans consistance propre

Mais de qui peut-il s’agir

Du vaste monde qui s’incarne

Ou d’une illusion d’être

Qui frappe au tain des deux miroirs

Avant l’écriture

Tout était écrit

Si tout reste à écrire

Le muet recouvre ses droits

Le néant ses distances

L’innommé s’apprête

Mais n’a nul droit de cité

Langue comme au repos

Défaillance au bord des lèvres

Signes avant-coureurs de l’orage

Que l’âge seul sait décrypter

Ou le long usage

De l’éternité

Au commencement le commencement

En ce nom de nom

Insigne effort du manque

Echos des patiences en souffrance

Comme l’absence augure la présence

La présence de l’absence

Le néant s’est chargé

De l’écriture du monde

Une écriture

Elle attend son temps

L’unique digitale

La fleur aimantée

Que l’on distingue entre mille

Elle s’inscrit en creux

Dans les replis d’obscures cavernes

Larve promise aux plus hauts gestes

Pollen en quête d’un calice

Dans le dédale du pré

Choisir le brin qui germe

Haleine d’une herbe folle

Croyance du cycle de vie

Peut-être une vie antérieure

Avec des moules bien fondés

Un songe qui s’accomplit

Avec ses contours d’à peu près

Une empreinte sur un mur

Une paroi  rupestre

Magnétique

Sensible

Le sexe de la mort

La répulsion qui fascine

Le désir du scorpion

L’apaisement fatal

Ô fille-mère

Le poison qui guérit

La terreur qu’on vénère

La sorcière chérie

Ô les amours sinistres

Le manque à gagner

Tant de temps à tout perdre

Tout ce néant sous la dent

Ô piètre dérision

Le démon qui séduit

Le nombre qui appelle

Le souvenir qui abrège

Que de leurres follets

Au faîte de la gloire

Se lancer du  ponton

Au bout du bout des connaissances

Goûter les saveurs du vallon

A son image

C’est la fuite en avant

La course échevelée

A l’encontre d’écrans

Qui cèlent la vérité

Mais la vérité

Puits d’étoiles dans le seau

A oublié sa nudité

Sous les voiles des oiseaux

Qui saura si se prouve

La vérité des vérités

Chacun sait qu’elle est liée

A la foi qu’elle anime sans doute

Or la question se pose

De sa relativité

Et du mot même de vérité

La vérité des mots pour dire

Comme nul ne l’atteindra jamais

Sinon à se bercer de leurres

Laisser passer les images

Fumées plates sur le mur

Une autre mort que celle aussi

Celle qu’on écrit

Faute de la vivre

Celle que l’on signe

Faute de mourir

Celle que l’on lit

Parce qu’il faut bien vivre

Celle que l’on rit

Puisqu’il vaut mieux rire

Celle qu’on porte en soi

Dès lors qu’on s’est vu naître

Titan meurtri par le vautour

Bouseux qui souffre de savoir

Celle qu’on éluderait

Si l’éluder se pouvait être

Mais qui rend tout si vain

Qu’à jamais on ne saurait dire

Celle qu’on garde en point de mire

Comme on sublime l’horizon

Prétexte à illusion

Qui  fixe ses parenthèses

(Parenthèses)

(Volonté déviée vers

Si la vie

Mais

Faible

Ou vers

Si la mort

Plus la pellicule

De M.

Ou

La fausse mort

Du souvenir

– je parle ! –

On

Ouvrirait bien

Des parenthèses

A l’infini

Mais pour quoi faire

Dieu de Dieu

Pour quoi faire

Pourquoi)

Et voyeurie du dernier XXXteur

Entre voirie

Et voyeurisme

Ce regard jeté

Sur le trottoir des mots

En quête d’un accord

D’un geste inutile même

D’un sourire parfois

D’une vie à l’extrême

Chercher l’objet

De sa recherche

En espérant

Ne point trouver

Besoin de voir

Besoin de dire

Besoin de dire le revoir

Et l’au revoir

Il est désolant

De ne jamais savoir

Le nom du nom

Du dernier XXXteur

De l’avant-dernier vide

Au bord du vide

Se tient le dit

Lui-même vide

De son non-dit

Celui qui dit

Se vide

Surtout s’il dit

Le vide

Celui qui vit

Est vide

Dont il se plaint

Avide

Vertige

Du vide

Terreur

Terrible

Fasciné

Du vide

Effondré

A vide

Aveuglé par la grâce

J’ai dit le vide

Et je pense A Dieu

Qui se confine

Dans le vide

Et c’est ce vide

Qui aveugle

Le vide attire

Les aveugles

Le Vide de Dieu

Vide l’homme

De son trop plein

De vide

Le Dieu du vide

Dévie l’homme

De son trop plein

De vie

De vie de vide

Comme un Dieu dévie

Comme un Dieu sans vie

Sans envie de dire

Derrière son anéantissement

S’effacer

Comme on dit

Comme on vit

Comme on nie

Disparaître

Sur la feuille

Célébrer

Cet aveu

Souffler

La bougie

L’étincelle

La nuit même

Dire au néant

D’être

Pour que l’être

S’abolisse

S’abîmer

Une seconde

La seconde

Ultime à dire

Rupture déjà facile

Au point final

Ne plus rien dire

Ne savoir que dire

Ne savoir dire

Attendre

S’indisposer du temps

Ce temps

Qui nous reste à dire

Mais dire le temps

N’est plus que le dire

Qu‘il nous reste

Du temps

Laisser la parole au temps

Qu’il nous reste à dire

Et dire du dire

Qu’il est grand temps

Ne plus attendre

Que le temps du temps

Et briser-là

Le dit du dire

Que dénier cet accord

La musique de l’homme

Ses nerfs et son sang

L e grand chef tout là-haut

Qui salue et s’en va

La symphonie de chair

Inachevée

Comme est tout sexe

Une misère

Les mains de la mesure

Au rythme de l’air

Et le désert

Sans fin en point de mire

Les pieds qui trépignent

Le cœur qui chamade

La langue qui bout

La mort qui s’exprime

Le point Je

Avec son accent circonflexe

Sur sa ligne de fuite

Au timbre aveugle des éclats

Balbutiements blancs

Lui réserver la confiance

De qui l’a déniée

De l’avoir vénérée

Comme on tue sur la route

L’agonir

D’indulgence

A la pensée

De ses dessous

La reconnaître

Pour ce qu’elle est

Une autre qui s’écrit

Fumée qui s’échappe

Des mots à peine des phrases

Le moins du dire si possible

Même pour rien

Pour rien ne dire

Le peu qui reste à dire

Sur ce mode-là

Mais un peu qui perdure

Jusque dans l’au-delà

Renvois imprimés

Le corps à l’abîme des lèvres

Sans la pensée qui s’incarne

Sur un semblant de son

Se donne un peu d’air

Mais l’air devient visible

Vague de vent dans les voiles

Bosses mouvantes sur le drap tendu

Ondulations éphémères

L’air est libre de se poser

Etourneau sur le fil électrique

Volatile musique

Notes sur la portée

L’air est libre de sa forme

Quelque signe à déchiffrer

Quelque chiffre à désigner

Quelque friche à résigner

Et l’air est libre de ses notes

D’autres airs à siffloter

Il cloue sa trace en la portée

Mélodie qui soudain s’envole

Mormorythmes

La mort travaille au ventre

Comme une vipère timide

Elle avance en cancer

Et ronge les mots à blanc

Ne pas trop l’éventer

Ne point trop s’exprimer

Laisser la mort œuvrer

Dans sa cadence osseuse

Savoir écouter  l’oreille

Savoir patienter le temps

Savoir savoir la science

S’ouvrir sur le volet

Laisser la parole aux viscères

Et placer la tête au nombril

Guerrier dans l’ultime échéance

Héros errant au gré des îles

En matière de pensée

Passer le passé au crible

Creuser l’adresse des pionniers

Etlesmotspourledire

DECRITURES

                        Le regard                                 du phénomène

                                               Sur l’absence

                        La pellicule

                                               Blanche

                                                           S’affaisse

                        L’œil-je à la limite

                        Un autre qui serait

                        Avant l’écriture

                        Une écriture

                        Le sexe de  la mort à son image

                        Une autre mort que celle aussi

                        (Volonté déviée vers

                                                           Si la vie

                        Mais faible

                                               Ou

                        Vers si la mort

                        Mais plus

                        La pellicule de

                                               M…

                                                           Ou

                        La fausse mort du souvenir

– Je parle ! )

                        Et voyeurie du dernier lecteur

                        De l’avant-dernier vide

                        Aveuglé par la grâce

                        Derrière son anéantissement

                        Rupture déjà facile

                        Que dénigrer et renier cet accord

                                                           «JE » (à l’accent circonflexe)

                        Balbutiements blancs

                        Renvois imprimés

                        Mormorythmes

(Publié aux Eds CMS)

Version musicale de certains extraits du recueil par Jean-Marie Daydé…