Au temps des prétendants
La femme détissait la nuit
Ce qu’elle avait brodé le jour
La fidélité alors ne tenait qu’à un fil
Il arrive quelquefois que le fil casse
Les tricoteuses ont perdu leur regard
Le crayon laissé tomber sa mine
Et le pinceau ses physiques couleurs
Nulle pourtant n’aimait autant qu’Elle
La vie de chair épanouie
Les suaves rondeurs souveraines
De l’éternelle féminité
Saisir le secret des poses intimes
Et l’intimité des poses secrètes
Engendrer un lien de consentement
Qui suppose une mise à nu
Or en ces époques d’urgence
Point de temps pour la moindre pause
On ne sait que faire de ses dix doigts
Dès lors que le calme s’impose
Sinon retrouver une noble activité
Qui recouvre les nécessités
De ses valeurs ancestrales
Aiguillée par l’instinct
Ainsi tandis que l’artiste
Tisse petit à petit sa toile
Le modèle tricote
Jusqu’à l’échéance achevée
Le cliquetis des aiguilles
Se mêle au glissement du crayon gras
Dans cette absence de parole
Qui construit le temps suspendu
Et c’est comme un dialogue muet
Que l’on croirait éternel
A l’instar de l’essence des êtres
Dont on cherche à saisir la présence
Et cette présence est un présent
Qu’on arrache de ses chaînes
Pour le restituer dans l’or du poème
Qu’est le dessin fort comme le plomb
Mais le sort a ses ironies
Et les aiguilles leur tragédie
La mort se trouve au côté de l’injustice
Quand la liberté manque à l’appel
Et si l’artiste a disparu
Dont demeurent les moments de grâce
Une autre peut reconduire
L’éternel canevas des tissages humains
(2ème poème pour Dominique Lonchampt, à paraître en livre-objet)