(Voir texte critique ci-dessous)

 

Sur la voie des gamelles sacrées
En quête de la perle rare
Glaner maintes merveilles
A même d’abstraire
L’esprit du sel

Le bouchon dévoyé d’un dîner sur l’herbe
Un prisme de verre rêvant de virées au long cours
Des bris de tuile soufflés par quelque vent joufflu
L’angle droit et usé d’une ardoise d’école
Un écu tout en or si fier de raconter l’histoire
Une cartouche perdue dans la forêt gardienne
Quelques coups de bol manufacturés
C’est de là que je veux
Me mettre en quête du poème

Sur les chemins des deux mains
En quête d’aventure
Récolter le regard des doigts
Les images recueillent
L’esprit du sel

La dive carafe enivrant la partie de campagne
Un air vénitien pour vanter les vertus du négoce
La baraque abimée abritant la vieillesse
La salle de classe ranimée par de jeunes amants
La pièce au pauvre jetée jadis par l’impie
Un novice effrayé de l’apparition d’un lièvre
Une dispute et le présent se présente en fractions
Et je suis presque entré
Dans la quête du poème

Sur les arcanes de la pensée
En quête d’absolu
Arracher un peu de ce savoir
Que le sel suscite
A l’or de nos esprits

Les piquants triomphaux de la feuille d’acanthe
Les éclats qu’on gravait sur la table émeraude
L’étincelant airain du bouclier guerrier
Les sceaux à déchiffrer de l’amulette ferme
L’épingle de bois la jupe qui sort de l’onde
Le fragment fait de chaux de la souche céleste
Le bout d’une baguette qui promet au sorcier
La terre fécondée par la rosée de grâce
Et c’est l’esprit du sel
Qui  régit le poème

Et le vide telle une pierre qui vous ouvre la voie

(Pour Jean Marc Saunier, publié par les Eds Rivières).

RECONSTITUTIONS

Glaner, assembler, modeler. Telles sont les trois phases de ces « reconstitutions » auxquelles s’adonne Jean-Marc Saulnier. Elles supposent un déplacement corporel, une « itinérance » comme chez Richard Long, et de ce point de vue, seraient issues d’un inédit croisement entre land art et performance corporelle. L’œil bien sûr doit être aux aguets pour découvrir ces petits reliquats des activités humaines, qu’elles témoignent des outrages du passé ou de brisures plus récentes, relèvent du sacré ou du profane, de l’intime ou de l’usage collectif, des coutumes d’un lieu ou des usages d’un autre. Comme le jeune Poucet, on peut les glisser dans la poche, à toutes fins utiles.

Il faut ensuite assembler. Certes le geste de choix est primordial mais il suppose une finalité, une intention. Ces morceaux hétéroclites ont en effet un point commun. Ils appartiennent à la mémoire, anonyme et collective. Ils incarnent la condition humaine dans sa fragilité, sa versatilité, sa relativité même, sa finitude surtout. L’art en tant qu’acte créateur, ou recréateur, est l’un des rares remèdes à cette absence de pérennité qui nous désole. Et un remède a besoin d’un récipient. On en a toujours un à portée de mains…

Enfin il faut modeler, donner forme et partant reconstituer. Redonner vie et énergie à ce qui a séjourné dans – ou au plus près de – la terre nourricière. Le vase, outre qu’il suggère le graal tant recherché, détient la vertu, si rare, pour un peintre, de pouvoir être perçu de tous les points de vue à la fois, intérieur et extérieur, envers et endroit et de ne pas nous focaliser sur une surface unique. Les matériaux récupérés fournissent à la fois sa consistance à facettes et les couleurs de ses « gamelles ». L’art chez Jean-Marc Saulnier devient l’acte d’unifier l’hétéroclite, d’insuffler la vie à l’instar du Créateur, de ressusciter ce que l’on croyait révolu, définitivement enterré. En ce sens il témoigne d’un espoir infini et ressemble à ce graal à même de mobiliser jadis les énergies. L’espoir à portée de main car l’artiste conserve le sens de la mesure. Ces gamelles on a envie de les toucher. Comme on aurait eu envie de toucher le graal et comme le désir nous en prend encore, en ces époques de matérialisme hégémonique, et destructeur… Il faut apprendre à reconstituer… BTN

JEAN-MARC SAULNIER

               Les œuvres de Jean-Marc Saulnier n’ont de raison d’être que dans une occupation réfléchie de l’espace. Le mural est privilégié parce qu’on l’associe en général, et le plus traditionnellement, à la Peinture mais l’artiste ne dédaigne de pas de recourir aux rouleaux de lés qui lui permettent de couvrir celui qui va du plafond au sol, signe d’un passage du topologique au territorial. Enfin, que ce soit par certaines œuvres peintes ou surtout par ses récipients faits de matériaux trouvés en quelque lieu privilégié ou près de ceux de l’exposition, et qui s’imposent en objets-sculptures, il lui arrive de recourir au sol ou à un quelconque support ou socle.

Techniquement, sa pratique relève du collage ou de l’assemblage : des tessons et autres fragments récupérés dans l’environnement naturel pour les « gamelles » à portée de mains ; des bouts de cartons qui sont comme la mise en volume aplati d’un geste arraché à la surface peinte. Laissant le vide jouer alors son rôle à plein, Jean-Marc Saulnier construit, par ramification, des sortes de variations arborescentes et dynamiques qui viennent habiter les murs. Aucune ne ressemble à une autre à l’instar d’une improvisation d’un soliste de jazz. Pas étonnant que la notion de rythme prime dans ce travail de reconduction systématique des formes et des couleurs. Avec en prime la résolution du problème du verso, habituellement caché, ici rendu visible, et qui alterne avec l’usuel recto de surface. Cette dernière est tachetée, un peu comme dans l’art du camouflage : on comprend que ce que l’on voit relève d’une référence au réel, stylisé et quelque peu abstrait, mais le mode de présentation les articule comme fragments, difficilement déchiffrables en tant que tels, puisqu’ils font dès lors partie d’un autre Tout : la configuration générale en harmonie avec l’espace requis.

Les lés laissent l’espace béer entre eux… Leur forme est déterminée par la largeur du rouleau, toujours égale à elle-même. Ils ont la particularité de pouvoir se dérouler le long du sol, de se croiser, s’entremêler et surtout de présenter les fameuses deux (sur)faces. Ils recourent de manière plus évidente encore à la notion de rythme que suppose la répétition, notamment en raison du choix récurrent des formes collées en surface. Les gamelles enfin résument une démarche qui se nourrit du temps nécessaire à la récolte des fragments, dans une quête archéologique du présent. Elles supposent un déplacement, une excursion qui finit par se recueillir, en quelques signes, dans un récipient hétéroclite aux composantes sauvées de l’oubli. Elles impliquent nécessairement un rapport avec l’espace parcouru, dont ne demeurent que quelques interstices entre les bouts d’objets assemblés. Car l’art ne cesse de jouer voire de composer avec l’espace, qu’il faut réduire et apprivoiser, l’œuvre De Jean-Marc Saulnier nous le rappelle à tout bout de champ. BTN