MON ADIEU
Cet arbre il me le faut dépouiller
De mon esprit
Oublier même ce qu’est l’esprit
Oublier que c’est un arbre
Et ne plus même disposer des mots pour le dire
Pour désigner
Atteindre cette rive qu’il dessine
De son feu renaissant
Et me sentir ce conquérant perpétuel
Qui ne dérobe de toison
Que la lumière entre les branches
Les gouttes célestes à la chute des feuilles
Cet être il me le faut pleurer
Comme on pleure une divinité champêtre
Et ces larmes sont des présences
Qu’ignore la divine passante
Mais qui donnent au Poète
Un avant-goût d’éternel amour
Cet être cet arbre il me le faut aimer
Et croire en lui tel l’enfant qui prend la barque
Du passeur en toute confiance
Et sait qu’il peut toucher du doigt l’arbre dans l’eau
Et se noyer dans son feuillage
Sous le regard intemporel des étoiles du fleuve
Texte écrit la veille du décès d’Yves Bonnefoy et envoyé à sa fille, Mathilde, sur les conseils d’Alexandre Hollan. Le Poète avait en effet dicté à sa fille un dernier mot d’adieu. L’ouvrage a été publié par les Eds de Bourdaric, illustré par Alexandre Hollan.