Pour Michel Butor, en sa quatre-vingtième année
J’ai donné signe premier de vie
En trouant la cruciale tour
Qui m’avait exclu de la fête
Où mes sombres ailes dansaient
Dans le dédale urbain des longs jours
Où s’engluait mon emploi d’exilé
La rose aux nuits de feu m’a piqué
Et j’ai craché le venin des loups noirs
Niché sur les fiers monts vénériens
J’ai survolé les éternelles cimes
D’amour mais le train de la raison
M’a livré aux voies de la machine
Emule des anges du futur
Guide qui convie aux Amériques
On m’a désigné du doigt mauvais
Sombre intrus des gris quartiers d’esprit
Alors j’ai pris la voie de l’orient
Hôte des fils du minotaure
Et j’ai fait la nique à la mort
Dans l’amont des vallées fertiles
J’ai dans la malle de mon ventre
Le miel brut du butin précurseur
Et soufflé dans la vase des autorités
Un e lumière d’or comme un poison béni
J’ai sillonné les brillants états
Sondé leurs vives références
Et déterré la plume blanche
Pour forer les insignes dorés
J’ai plongé mon plumage étoilé
Aux bains rugissants de la chute
Et c’est toujours la goutte d’encre
Qui germait au bout de mon bec
J’ai reconnu les futiles besoins
Sur la terrasse des eaux mortes
Quand je pointais de mon oeil perçant
Les sources de maux jaillis de pierre
J’ai mis les mots dans les paysages
Grâce aux roseaux qui m’abritaient
Et puisant la liqueur des marais
L’invisible a pris corps de mes griffes
Dans la chambre d’un musée bien beau
J’ai rencontré de l’air un alter ego
Qui traduisait mes chants idéaux
Braqués sur la partition du sexe
J’ai chéri les solives seigneuriales
Lisant par-dessus l’épaule du maître
Afin de déchiffrer les mystères du nombre
Et les vertus de l’antique amitié
Fasciné par le violon d’enfance
Je plongeais dans la jouvence des songes
Jonglant avec les arcanes du démon
Et jouant du désir la savante musique
Je dépassais l’aigle en montagnes
Pour humer l’air de nos guérisons
Et j’ai vu l’indien danser d’espérance
Au rythme d’une céleste révolution
J’ai suscité maintes rencontres
Comme on se fait son cinéma
Au fin fond des provinces profondes
Que les villes n’imaginent pas
J’ai subi la malédiction des châteaux
Hantés par les singeries alchimistes
Qui m’ont rendu clairs les joyaux
Et les mystères de l’ibis
Passé le seuil des portes d’ivoire
J’ai restauré l’ordre chthonien
Où erraient d’autres oiseaux maudits
Du regard de l’oreille et du verbe
Je n’avais plus peur des grands fauves
Ni des rouges rêves des fantômes
Des errances marines au soleil levant
Et l’œuvre au noir a viré au blues
J’ai dévoré le cœur de victimes consentantes
En goûtant les propos des pilleurs de tombe
Conduit au pays interdit du sourire
Par ma rapacité paradisiaque
Tel l’enfant aux semelles de vent
Je plongeais enfin dans le poème
De la mer dont maint compagnon
Du signe me pérennisait les rives
Texte paru chez Rivières-Aubarine-La Source
avec des illustrations originales de Sylvère
NB: Aux butoriens impénitents : Ce poème fonctionne comme une série d’énigmes. Chaque quatrain renvoie en principe à une oeuvre, une série, une postulation livresque de Michel Butor. Vous pouvez vous noter ainsi de 1 à 20.