Au début, l’aurore déchira d’un trait résolu le rideau de nos torrides chimères. Elle écrivait sa partition d’été, irradiant du doigté pulpeux des sirènes sourdes. Il fallut bien l’entendre, il nous fallait attendre. Il eût fallu l’étendre, et se montrer tendre, afin de mieux la trahir, du sommeil de l’enfant neuf. Belle consolation pour nos écueils, cercueils et cirques notoires ! Car nos déesses restituent au parfait les caresses des yeux. Elles savent l’art de subjuguer, d’orchestrer ces concerts de flammes auxquels aucun mortel, tympans inaptes, ne saurait résister. Elles figent le fil de l’onde qui vogue à l’encontre et croque les nautiques choristes aux buccins d’airain – de la rive.
Quand tout fut dissipé, le récif apparut, auquel nous échappions, balayé du grain des archipels nocturnes. Dès qu’il s’aperçoit, du cadre de la loi marine, n’est-il déjà trop tard ? Il capture la réflexion, regrettant déjà les embruns orangés de l’immortelle. Cette hostile éminence a du style, auquel nul n’accède, s’il ne possède le pied de l’insulaire. Tout marin le brigue. Mais qui s’y frotte s’y glisse, au fond de quelque abysse sans le moindre nom pour le désigner. Même au danger nul ne sait se fier. Il réclame ses droits, ses aléas, ses injustices. Peu importe s’il annonce les clameurs de l’élément terre. Qui considère de plus près perçoit, parmi ses vaisseaux attendris par tant de tragiques naufrages, l’ombre d’un rameau, dans le bec de l’oiseau qui vient – de la rive.
A présent, la mer est bleue comme un miroir qu’on inverse. Elle transparaît avec tant de clarté qu’on finit par en deviner les subtiles opacités. Le calme paraît plat, qui succède aux tornades internes, ce sont les pires dit-on ! Une nouvelle partition exulte, une symphonie de timbre exquis. Comment crever cet écran qui prive ainsi du réel ? Ce bain d’utopie où chacun joue sa peau tannée par les errements précoces. Où l’on sait le sort réservé aux matelots de fortune, acquittés de leurs efforts. On a lu cela, jadis, que leur temps fut révolu. Qui se lance dans l’onde des mots a le pied solitaire. Et laisse les autres, fascinés par la venue de la beauté nue, ceinte d’écume du jour houleux des communes luttes. Un tableau sans fond – avant la rive.
Ainsi sont-ils ces abords chaleureux ! Un rivage à mon image, mi-parti de terre et d’eau, autant dire un reflet mortel. Le lieu d’un autre ordre, toujours plus singulier, sans les moindres termes requispour y frayer la voie. Et dans les yeux la nette impression que l’air est visible et consistant, avec ses mines de bourdonnements épais. L’attente n’est jamais longue, quand elle n’est point sans fin, quitte à se perdre en l’infini d’un signe. Il suffit d’un trait, d’une erreur, et c’est le grand voyage. Vers d’autres cieux, d’autres soleils, d’autres cimes, vers de nouveaux départs tumultueux et immobiles. La tache ne tue pas : elle dérange la patience. Il faut s’armer de temps pour ciseler un arrêt de mort. Et atteindre, une fois pour toutes, la rive – l’autre rive.
Encore un poème pour Sylvère, publié par Rivières-Aubarine