De ma fenêtre je flaire le grain des grandes marées célestes et ses voiles d’embruns souillés du parfum des varechs nocturnes. Les spectres de citadelles atterrées s’y esquissent, où nul ne saurait aborder. En ces espaces promis à l’absence, l’avenir luit d’un apparat menteur. Il a l’air si reculé, tellement imprévisible que seul l’iris du ciel minéral condescend à l’effleurer de son doigt borgne. Le profil de l’être y prend son temps. Il se maintient en équilibre aux confins de rives qui suivent le galbe d’un globe égaré. De plus près, ne s’agit-il point d’un arbre qui taquine l’invisible, ce souffle suffocant qui aime à balayer les blancs ? La tache aveugle de l’étoile blême pointe à côté de la dune végétale. C’est là l’île espérée, qui dresse l’œil, s’il se chavire. Au fur de mon exploration des profils aventureux se précisent et osent se décider. Des silhouettes de marins jettent une longue ligne à travers le miroir sans tain. L’être s’est mis à nu. Il protège son sexe des deux mains. Il tend à passer la rade où veillent les hunes poissées de ces débris visqueux propres aux climats torrides. Il piaffe : mais qui donc l’immobilise, qui met un terme à son élan ? Serait-ce cette couronne gigantesque, en forme d’os, qui parcourt le tableau comme un orage ? Le vent de sel n’a guère épargné le carreau. Une plage à mes pieds, à supposer que je ne fisse qu’un avec la brume qui s’infiltre, me ramène à l’ordre du monde je veux dire à l’humus des mots. Il va falloir pousser la porte comme on feuillette les vitraux.

Ma tête a tourné. L’horizon n’en a guère abandonné sa raideur fidèle. Je m’en suis fait la réflexion : jamais l’horizon ne m’a paru si net, si légitime. Mais la marine avait perdu son cadre intérieur. Deux stèles de terre arpentaient les cieux en bouquets de leurre. Notre soleil terne avait cédé ses rondeurs aux cadences des vents. La crainte émanait du papillon qui troublerait la surface, il suffit parfois de si peu. J’espérais la vision des prophètes sûrs. Chacun se mine ainsi à la tache de l’œil sans calmer son envie de vorace sans fond. Justement, deux monstres marins lacèrent le silence. La peau de l’eau en est tout écorchée. Leur présence suscite les stigmates du temps. A sonder la surface j’atteins enfin la grève, et sa nature en duel. Car les dessous des éléments demeurent à notre portée. La terre est d’or blonde ou c’est la terre à mordorer. On dit que les vieux loups se grisent de faims des mer comme d’autres leur mère. Nul ne niera le contraire. Le vrai marin se rassasie de sa terre, sinon comment se maintenir sur le pont ? Ma tête a de nouveau tourné de manière à faire tanguer l’univers. Mais quel est ce gracieux oiseau blanc qui glisse soudain vers l’ailleurs, au lieu même où les ailes du monde finissent par se conjuguer ? Ne sait-il pas qu’il ne faut jamais s’aventurer vers les côtes effilées où l’attend quelque cruel petit de l’homme ? Ou pire, un solitaire, une bêche à la main, épris de clarté pourtant. Et quand le chemin du clair est pris, tel est pris qui croyait y prendre. Car l’idée de lumière jamais n’aura de prix. C’est à ce prix, comme un drapeau, que l’on plante un écrit.

Ce poème est sorti, accompagné de deux oeuvres de Didier Equer, grâce aux bons soins de Rivière-Croix d’Argent-La source.