1ère version

A travers le carreau je vois le grain de la mer et ses rideaux d’embruns maculés d’algues brunes. Les silhouettes d’une cité de terre battue s’y profilent, où l’on n’accèdera jamais. En ces lieux voués à l’absence l’horizon brille d’un éclat trompeur. Il paraît si lointain, si improbable que seul l’œil des cieux minéraux consent à le frôler du doigt. Un être humain s’attarde. Il joue les funambules sur les bords du trottoir qui suit la courbe d’un monde sujet à erreurs. A la réflexion c’est peut-être un arbre qui badine avec le vent, cet invisible, et qui aime à se jouer des marges. La tache du soleil pâle apparaît du côté d’un mamelon verdoyant. Il doit s’agir de l’île attendue, qui redresse le regard s’il s’abîme. Au fur de mon expectative des êtres aventureux se précisent et se décident à oser. Des pécheurs, ramassés sur eux-mêmes, semblent lancer une interminable canne de l’autre côté du miroir. L’humain s’est dénudé. Il semble qu’il ait empoigné son sexe à pleines mains. Il veut comme enjamber la rade en laquelle se profilent à présent des mâts souillés de ces poussières des pays chauds. Il piétine : quelque chose le retient, qui lui interdit d’avancer. Est-ce cette arche géante et en forme d’os qui traverse le paysage ? Le sirocco n’a guère épargné la vitre. Une étendue de sable à mes pieds, à supposer que je ne fisse qu’un avec le brouillard qui s’insinue, me rappelle à l’ordre de la terre. Il va me falloir tourner la fenêtre comme on feuillette un mur.

J’ai penché la tête. Mais le monde n’en a pas pour autant quitté sa raideur hiératique. Je m’en suis fait la remarque : jamais le monde ne m’a paru si droit, si juste. Pourtant la mer avait changé de décor. De colonnes de terre ocre escaladaient le ciel en gerbes d’artifice. L’astre pâle avait cédé ses rondeurs aux mesures de l’air. Quelque part naissait un tourbillon de surface, il suffit parfois d’un rien. J’attendais l’apparition. On peut ainsi s’user l’oeil à la tache sans jamais rassasier sa voracité de prédateur voué aux abysses sans fond. Justement, un couple de pèlerins déchire le silence. Ils ont déjà bien entamé la peau de l’eau. A cause d’eux, de leur présence, de leur rapacité s’insinuent çà et là les coutures et cicatrices du temps. A scruter le vague du paysage en surface je touche terre et plutôt deux fois qu’une. Tels sont les dessous des éléments. Il y a la terre d’or blonde et la terre à mordorer. On dit que les marins ont besoin de la mer comme d’autres de mère. C’est tout le contraire. C’est de terre dont le marin se nourrit, sans cela comment pourrait-il garder les pieds sur les planches ? En inclinant la tête j’ai fait tanguer l’univers. Mais quel est ce cygne de fortune se dirigeant vers l’est à l’endroit même où les ailes du monde finissent par se joindre ? Ne sait-il pas qu’il ne faut jamais s’aventurer vers les rivages aigus où l’espère quelque cruel enfant ? Ou pire, un poète, épris d’idéal. Et quand l’idéal est pris, tel est pris qui croyait y prendre. Car l’idéal n’a pas de prix.

Texte paru dans une série de livres manuscrits commandés par Claude Sylvère.02/04

2eme version

De terre et d’eau

A travers le carreau je vois le grain de la mer et ses rideaux d’embruns maculés d’algues brunes. Les silhouettes d’une cité de terre battue s’y profilent, où nul n’accèdera jamais. En ces lieux voués à l’absence l’horizon brille d’un éclat trompeur. Il paraît si lointain, si improbable que seul l’œil des cieux minéraux consent à le frôler du doigt. Un être s’attarde. Il joue les funambules sur les bords d’un trottoir et suit la courbe d’un monde sujet à erreurs. A la réflexion je choisirais l’arbre badinant avec le vent, cet invisible, et qui aime à se jouer des marges. La tache du soleil pâle paraît du côté d’un mamelon verdoyant. Il s’agit de l’île attendue, qui redresse le regard s’il s’abîme. Au fur de mon expectative des créatures aventureuses se précisent et se décident à oser. Des pécheurs, ramassés sur eux-mêmes, semblent lancer une interminable canne de l’autre côté du miroir. L’humain est mis à nu. Il semble qu’il ait empoigné son sexe à pleines mains. Il veut comme enjamber la rade en laquelle se profilent à présent des mâts souillés de ces poussières qu’ont dit venues des pays chauds. Il piétine : quelque chose le retient, qui lui interdit d’avancer. Il s’agit de cette arche géante et en forme d’os qui traverse le paysage ? Le sirocco n’a guère épargné la vitre. Une étendue de sable, à mes pieds, à supposer que je ne fisse qu’un avec le brouillard qui s’insinue, me rappelle à l’ordre de la terre. Il va me falloir tourner la fenêtre comme on feuillette un mur.

J’ai penché la tête. Mais le monde n’en a pas pour autant quitté sa raideur hiératique. J’en ai fait la remarque : jamais un monde ne m’aura semblé si droit, si juste. Pourtant la mer avait changé de décor. Des colonnes de terre ocre escaladaient le ciel en gerbes d’artifice. L’astre pâle avait cédé ses rondeurs aux mesures de l’air. Quelque part naissait un tourbillon de surface, il suffit parfois d’un papillon. J’attendais l’apparition. On peut ainsi s’user l’oeil à la tache et ne point apaiser son abyssale voracité de prédateur profond. Justement, un couple de pèlerins déchire le silence. Il a bien entamé la peau de l’eau. A cause d’eux, de leur présence, de leur rapacité s’insinuent çà et là les coutures et cicatrices du temps. A scruter le vague du paysage en surface je touche terre et plutôt deux fois qu’une. Tels sont les dessous des éléments. Il y a la terre d’or blonde et la terre à mordorer. On dit que les marins ont besoin de la mer comme d’autres de leur mère. C’est tout le contraire. Le marin se nourrit de terre, sans cela comment pourrait-il garder les pieds sur les planches ? En inclinant la tête j’ai fait tanguer l’univers. Mais quel est ce cygne de fortune se dirigeant vers l’est à l’endroit même où les ailes du monde ont fini par se joindre ? Ne sait-il pas qu’il ne faut jamais s’aventurer vers les rivages aigus où l’espère quelque cruel enfant ? Ou pire, un poète, épris d’idéal. Et quand l’idéal est pris, tel est pris qui croyait y prendre. Car l’idéal, je vous fait cette confidence, l’idéal du moins tel que je le conçois, l’idéal ça n’a pas de prix.

 

 

Livre d’artiste confectionné par SYLVERE.