Surgissant de quelque roche tutélaire, et réfléchie, la source, capricieuse pour qui s’escrimerait à l’apprivoiser, demeure en définitive intarissable, dès lors qu’on la suit des yeux où l’emporte son élan naturel au-delà du bassin qu’elle déborde, sans le moindre soupçon de repentir, sans cesse au devant d’elle-même, à tendre une fois définies les rives qu’elle creuse parmi les marges ruisselantes de la terre alors arrosée vers cette incontinence forcenée, son libre cours, ou ces immensités qu’elle a pourtant déjà connues (de même que niant sa naissance d’oublieuses parenthèses), en pure perte au fond comme en surface, mais je m’égare et anticipe à mon tour, de cascades relatives en étendues toujours, tous les jours ressuscitées…
Car une fois sorti, ça coule comme on dit de source…
Efforçons-nous d’en contenir le fil, d’en canaliser l’inspiration, quitte à la mener à la baguette, victime de cette ex-pression qui, une fois trop aisément captée, transparaît clairement dans nos verres, d’aucuns prétendent que ce n’est pas sorcier. En pure perte dira-t-on, en considération du silence éternel sans doute mais nullement au regard des buveurs de discours qui s’agglutinent au sein des concentrations urbaines, assoiffés de pureté, de retour en arrière, vers des lieux honnis du misanthrope d’Ermenonville, si près du désert et de ses puits ferrugineux. Or la source s’exploite, pour peu qu’on ait foré les secrets phréatiques des nappes invisibles dont elle n’est que le surgeon vauclusien. Telle est la vérité, à l’instar de nos maux, de la vraie source, au mépris des profiteurs de quelque opaque compagnie, qui la traitent en vache à lait, à la hauteur de leur niveau bancaire car eux (entre parenthèses) ne manquent guère de ressources.
Comment opérer : au début, la nymphes se répandit en abondance lacrymale, fluide et fraîche, ou mieux : transparente, propice à l’arbre-poète et comme lui soumise à d’ombrageuses précipitations qui contribuent à son inéluctable recyclage. Hélas tout se complique quand cette même eau bien inspirée que vous croyiez dirigée vous file entre les doigts. Il faut donc se remettre à l’œuvre, se forcer à recommencer.
Certains, pour n’être point romains, n’y vont pas par quatre chemins. Ainsi s’immisce maint audacieux dans son fin antre-cuisses où s’infiltre le mystère souterrain comme pour amuser la galerie platonicienne – cette idée ! Mais il faut chercher plus haut la profane pénétration suscitant la résurgence. Des milliards de gouttes anonymes se sont donné le nom afin d’étancher la soif du calcaire-éponge, ou d’une couche imperméable à toute immixtion signifiante, absorbées par les points poreux de la croûte terrestre avant que d’emprunter des réseaux bosselés, des circuits creux, s’emplissant à notre insu jusqu’à jaillir en surface, perle rare et pure – d’une si rare pureté, native. Parler de catastrophe serait bien exagéré…
Au demeurant, le gestation nous importe moins que le rêve qu’elle suscite : aussi se rebiffe-t-on si quelque obscur homme-grenouille se glisse en son bas ventre, découvrant le sacrilège éternel. Mais foin de paganisme. La source a d’autres cordes à sa lyre. Moderne, d’émergence spontanée ou de débordement, de barrage ou de fissure, elle est envahie de conduits, canalisations et turbines comme afin de lui fixer un sens à la mesure d’une collectivité profane en la matière et qui n’attend de l’eau que ce que l’on espère d’une compagne : sa discrétion. Tel philosophe du temps jadis aurait trouvé notre lumière liquide bien insipide mais notre siècle s’est habitué à son manque de goût, sans trop interroger les antécédents de ces fontaines domestiques si courantes dans nos cuisines, salles de bain, et même galeries – quand la chute d’eau se conjugue au gaz d’éclairage. Les eaux de source, célèbres et manufacturées depuis des lustres, sont livrées étiquetées : on dit qu’elles auraient des vertus curatives à condition de n’en point abuser, sinon gare à la débâcle ! Quels revers de fortune – qu’on nous la serve à table après l’avoir négligemment arrachée du présentoir d’un hypermarché ! Poètes des temps futurs : saurez-vous de quoi je parle, si vous ne manquez point de sources à vos productions informatisées !!!
Pressés de constater que, si les eaux roulent et coulent, roucoulent et s’envolent, la source seule reste, je me permets d’anticiper sur le jugement d’un intempérant des deux rives, fronçant les sourcils en découvrant la vague parodie d’un proême d’eau écrit sans sourcier. Après tout, à quoi servirait la mémoire-éponge sinon à s’exprimer… Mais qui ne voit qu’il s’agirait alors d’un pur parti pris, pour me faire enrager…
Ce bain de jouvence relèverait-il du jeu d’un autre… bien imité ?
Non tout juste potable… C’est clair comme roche.
Texte paru aux Eds Rivières, illustré par Marie Warscotte