DÉTRESSE COMMUNE ou 36 HURLEURS

La flèche maudite terrassait jadis le plus grand des oiseaux
Un vieux marin sans doute pour chasser son ennui
Et c’était la beauté que l’on visait
Car l’homme ne supporte pas ce qui est beau
A fortiori ce qui le dépasse
Et dénonce sa tragique condition

Je parle d’un temps aventureux
Où les populations d’albatros rivalisaient de fécondité
Avec les manchots du pôle austral
Et où le solitaire qui se serait égaré
Eût été pris de panique
Face à l’ampleur délirante du nombre

Je parle des temps bénis où le ciel éternellement bleu
Offrait aux ailes de ce géant des mers
Un peu de son infinitude
Des temps sacrés enfin où les mers définitivement riches
Fournissaient à foison des poissons aux chairs fiables
Que la Nature offrait dans sa sempiternelle largesse

Je regrette ce vieillard qui paya au prix fort la gravité de son acte
L’homme a tout ramené à des proportions qu’il croit justes
Celles des grains de chapelet en perles de bois et tant chargés d’épreuves
Celles des colonnes des temples royaux entre deux pistes de steppe
Celles des tours aux bas-reliefs où se barattent les océans de lait
Quand il n’est que terre mouillée avec une vague envie en tête

L’homme toujours l’homme et son désir de conquête
Il s’est même octroyé la figure de l’albatros
Mais ce fut la goutte de trop dans l’océan des outrances
C’est lui qui se sent à présent menacé
Et ne sait plus à quel saint se vouer
Ni sur quelle nef se poser

Ce n’est pourtant pas un dieu qui manie l’arc de vengeance
On peut toujours remédier à l’irrémédiable
Il suffit d’un peu de compassion pour soi-même
Le roi du monde et le prince d’azur ont leur destin lié
C’est noblesse de l’artiste que d’y prêter son art
C’est noblesse du poète que d’y prêter sa plume

 

MINE DE RIENS

            Dominique Lonchampt est sculpteur depuis son installation dans
les Cévennes et sa rencontre avec la pierre, dont elle explora sur le champ
les éclats.

Dans ses sculptures, Dominique Lonchampt provoque le dialogue des éléments :
Dans un lavoir, on l’a vue dessiner dans l’espace, grâce à des câbles
tendus, de longues portées, où s’agrippaient des oiseaux-leurres faits en
réalité d’os de seiche. Elle fait dialoguer les règnes : dans cette cage
verticale, avec pour base et surplomb une grille de fer, construite à partir
de bambous, où d’étranges « bijoux » de pierres, métal, et arêtes de
poissons, tremblent, comme en situation d’apesanteur. L’œuvre possède alors
la monumentalité d’une concrétion, culturelle, qui s’érige vers le ciel,
tout en laissant transparaître à claire-voie (car le vide ici fait le
plein), la fragilité des petits objets suspendus, comme une écriture dans l’espace.
Le fait même d’évoquer ici l’écriture montre assez combien les choses
simples, quand on les expose au royaume des yeux, acquièrent une dimension
supérieure, disons-là poétique. Par ailleurs, ces éléments suspendus
expriment la relation étroite que la partie entretient avec le Tout. Ne
sommes-nous pas, nous habitants de la terre, un simple élément de ce Tout, à
la mesure duquel souvent, nous manquons d’humilité – et de respect ? Chez
Dominique Lonchampt chaque installation est comme la métaphore de ce Tout qu’il
s’agit de peupler des trois grands règnes, et de l’humain enflammé qui leur
donne sens, l’artiste notamment qui se met à leur niveau pour les
réhabiliter, leur rafraîchir en quelque sorte la mémoire.

On sent chez Dominique Lonchampt la volonté à la fois de garder
les pieds sur terre mais du même coup de plonger la tête dans les mirages
des cieux, qu’il s’agisse du ciel étoilé ou de celui qui confond ses blancs
moutons avec des anges qu’on dit purs. C’est dire si son œuvre est à la
fois vouée à l’observation minutieuse du réel, au regard porté sur les
petites choses, à la quête incessante du détail qui fait sens, mais en même
temps ouverte sur l’imaginaire, sur l’association de signes, sur la
réflexion et sur la poésie. On comprend l’importance pour elle de la
verticalité. Qu’il s’agisse de ses nombreux jalons, longues tranches de
pierre enduites de goudron, de ses prêles géantes, de ses vertébralités, de
son échelle géologique !…

Au Vallon du Villaret, l’artiste a ponctué le parcours de la rivière, de
pliants dont elle avait au préalable retiré la toile, remplacée par la
pierre et le plomb. La thématique du leurre, présente dans l’art de la
pêche, se retrouvait sur ces objets qui ne faisaient que désigner l’absence
de celui censé les occuper : l’homme qui pêche, regard sur l’eau et ses
poissons, esprit dans les cieux peuplés d’oiseaux, toutes fesses sur socle,
le préservant de la terre. Pour Dominique Lonchampt, ces pliants sont des
objets médiateurs entre terre et ciel, symboles de notre présence au monde,
dans un ici et maintenant qu’il s’agit précisément de marquer d’une croix. D’où
le choix du pliant qui pointe un endroit, un lieu précis, de ses rayons en X.

L’addition des objets, qu’elle a
utilisée par ailleurs dans des écritures d’éclats de pierre
disposés dans des casses de typographe, est également un principe
moteur de cette production dans la mesure où elle métaphorise tout
simplement notre vie. Et cette construction de murs (durant plusieurs années
précédentes) qu’elle eût pu ériger à l’infini dans la mesure où jamais l’addition
ne débouche sur la somme.

Le leurre est aussi un concept fondamental pour cette production qui a
travaillé la pierre jusqu’à lui donner l’apparence de trois bassines
gigognes, prises en fait dans le même bloc. L’installation fut présentée sur
un tapis de gravier de rivière, émaillé de plomb pour figurer les flaques.

Des objets, Dominique Lonchampt en récupère à toutes fins utiles. 
C’est ainsi que de deux douves de
tonneaux, elle fabrique d’ovales pirogues habitées de formes suggestives
réalisées à partir de fragments de ferraille. Décidément Dominique Lonchampt
sait l’art de la « trans-figuration » des restes. Et de nous en proposer de
nouvelles lectures, en l’occurrence nous embarquer dans ses pirogues
ouvertes à de nouvelles aventures scopiques. Or la pirogue relève du
primitif. Il y a sans doute chez Dominique Lonchampt la volonté de trouver
un lien entre les activités primitives et notre art dit contemporain. De
relire le primitif à la lumière de cette contemporanéité et de le rendre par
là même contemporain.

Des alignements de ruches deviennent des territoires occupés par des
figurines envahissantes pouvant être mises en relation avec des problèmes d’actualité.
Des empreintes d’alvéoles débordant d’un tissu peint figurant l’espace
citadin, fonctionnent à l’image de l’urbanisation sauvage de nos villes
tentaculaires ; mais aussi à l’image de la maison-atelier (à l’instar de
Louise Bourgeois). De même il n’est pas nécessaire que l’objet ait déjà été
utilisé. Les grilles que l’on utilise pour armer le béton jouissent d’une
souplesse telle qu’ils engendrent des esprits graphiques, sortes de
coléoptères géants  dont les fragments de carapace imitent le végétal.
Autant dire que l’art de Dominique Lonchampt privilégie l’hybride. Or qu’y
a-t-il de plus hybride qu’une association de mots contradictoires grâce
auxquels les poètes concoctent leurs plus belles images ?

Enfin la créativité de Dominique Lonchampt a besoin d’un lieu, c’est-à-dire
d’un ici et maintenant ponctuel pour donner sa pleine mesure. Je pense à ses
« cerfs-volants mystiques » en carton et os de seiche ou à ses combinaisons
de travail au Merlot présentées à la cave coopérative de Barjac. C’est que
le lieu investi devient ponctuellement pour elle un Tout qu’il s’agit
temporairement de donner à vivre autrement. Un peu comme chaque être humain
tente d’y jouer sa partition, avec plus ou moins de bonheur, d’humilité, et
parfois de chance. D’utilité même parfois même si, pour cette artiste, c’est
l’inutile qui est essentiel et qui devient, par là-même, utile.