(Quatre énigmes faciles à décrypter)
I)
Et j’ai dessiné des lunettes en série afin d’inciter les yeux des profanes à mieux glisser le regard sur la toile et d s’en retourner sinon initié du moins mieux voyant
J’ai aussi sorti de ma tête tout casqués des nuées de petit vélos que j’incitais à enfourcher afin qu’ils pénètrent autant que moi le territoire à circonscrire
J’ai embrasé le tableau à l’instar d’un buisson censé délivrer de son ardeur la divine parole, et je l’ai écoutée, et lui ai donné raison on a toujours raison de ne point donner tort à la peinture
J’ai usé du bon sang de ma passion vitale qui dégoulinait en blessure le meilleur de moi-même c’était un peu avant que l’idée du déluge mît à mal mes re-créations
J’ai fait aussi le clown car chacun sait que sous son masque risible se cache une sensibilité à fleur de peau tout âme digne de ce nom est foncièrement duelle
J’ai voulu qu’on entre en peinture comme en méditation dans un temple hors de la fureur et du bruit et que l’exercice artistique relève d’une ascèse
Et je me suis prosterné sur le tapis sacré de mes gestes primordiaux et j’ai avancé j’ai avancé j’avance en corps
Qui me dira : Qui suis-je ?

IV)
Au commencement était la terre et cette terre a pris la forme du carré car cette forme ce carré lui paraissait plus stable un peu à l’instar d’une table un peu aussi comme une loi
Je n’ai fait qu’en pérenniser les expansions dans l’espace à sa surface comme en relief au mur ou au sol et devant le mur et si possible en ourlet jusqu’au sol
Quand le fleuve a cessé ses débordements souverains j’ai choisi ma parcelle et lui ai imposé ordre et géométrie car je ne laisse rien au hasard ni au naturel qui s’emballe au galop
J’ai embelli ses contours que j’ai voulus à la fois fermes et souples puisque la vie n’est que mouvement et extension continue jusqu’aux confins de la finitude organique que je m’escrime à cerner
Et j’ai tracé des milliers de cercle si le cercle est dynamique il est aussi garant de l’unité
En travaillant sur les foyers j’ai rencontré l’ellipse et ses deux focales sans doute plus proche de la représentation plausible du cosmos en plus énergique encore
Et c’est ainsi que je suis passé de la peinture à l’opéra dont je maîtrise tous les paramètres et je vous le dis tout net vous n’avez pas fini de m’entendre
Mais qui donc me dira qui je suis ?
III)
Mon idée c’est que la vie au fond pourrait se résoudre en trois points de suspension : j’ai invité les gens à les suivre sur le sable des plages ou la neige des pistes
Certains auront mordu à l’hameçon, et j’ai collecté des bouchons de toutes sortes qui flottent dans ma tête à la surface des eaux avec guirlande et plume pour mieux fêter Noël…
La fumée c’est la matière la plus délicate que je connaisse : elle caresse les miroirs ou les fenêtres nous rappelle à la subtilité de notre condition et même si je ne suis pas très élancé j’ai grâce à elle atteint la taille des girafes
La tarlatane m’a permis de faire flotter la couleur et de régénérer la fresque et la matière produite par ses plis et replis pas que son épaisseur mais également son support propre
J’ai aussi pris des gants pour décrasser la peinture : elle en tant besoin j’en ai profité pour nous débarbouiller de la figure
J’ai transformé le châssis en étendoir et la toile en serpillère les objets du quotidien nous en apprennent autant que les œuvres éternelles et du moins ils ne font pas songer à la religion ni aux dieux ni aux maîtres
Au fond j’ai simplifié la peinture : un œillet me suffit pour déterminer un sexe  sauf que le sexe c’est l’œillet Rrose de Baltimore n’y avait point pensé qui misait sur la profondeur tandis que je mets en relief la surface
Tout le monde aura deviné Qui je suis ?
II)
Et j’ai dit : je vais danser sur la toile et je vais imaginer cette danse et me mettre à peindre à la basket
J’ai ouvert une sorte de club à l’attention de qui partagerait ma conception de l’abstraction libre mais pas seulement plutôt pour voir les ateliers enfin se vider et que je me sens une vocation de videur
J’en ai profité pour lancer force guirlandes et confetti car œuvrer ne peut se concevoir pour moi sans l’échange et la fête le potlatch et la fête la fête et son plaisir
Et puis j’en profite pour me déguiser dans tous les lieux où la foule afflue pour le meilleur comme pour le pire vu qu’elle a le droit de donner son petit avis sur tout ce qu’elle ne cherche même plus à comprendre mais à ingurgiter
Je m’ébroue dans des étendues de couleur mais il m’arrive de me perdre dans les champs de lavande avec en point de mire et aussi en point de fuite comme une forme de mosquée qu’on n’attendait plus
De la peinture en ce monde on n’en voit jamais assez je crois que si l’on me donnait à peindre Manhattan je n’en ferais qu’une bouchée car on l’aura compris j’ai fort bon appétit de tout de la couleur et surtout des espaces
Je suis tel l’homme-caméléon qui arbore les teintes du lieu qui l’accueille ou du moins réagit à tout nouveau milieu le visage à découvert ou masqué comme au bal en compagnie
Devinez devinez devinez Qui je suis ?

 

 

 

Quatre textes publiés par les Eds du Bourdaric avec des illustrations de Georges Autard, Joris Brantuas, Noël Dolla et Dominique Gauthier

Illustrations de Noël Dolla

Illustrations de Georges Autard