On pourrait c’est vrai parler d’un paysage
Or ce sont juste des formes et des couleurs
On devinerait un chemin pour s’y retrouver
Il serait composé de fourrés sans doute d’arbres et de gerbes folles
Mais j’ai beau tenter de me souvenir
Je ne pense pas l’avoir déjà vu quelque part
Et pourtant il me parle il me parle si bien

Il m’évoque la lumière qui le vit naître
Il me désigne du doigt les nuages de drôles de nuages il est vrai
On dirait que le ciel lui aussi voudrait bien converser
Il me dit certaines ombres qui déferlent de l’autre côté de la rive
Tout cela je le reconnais sans trop hésiter
Je me sens dans un lieu on ne peut plus familier
Et pourtant j’ai comme l’impression qu’il n’existe pas

Il existerait sans doute dans un autre univers
Où la nature s’est depuis longtemps émancipée de nos raisons pures
Où l’astre peut atteindre une dimension démesurée
Où c’est la main qui décide et son homologue l’œil
Où le trait serpente sans ennui ni complexe
Où l’on ne désigne plus les choses par leur nom
Un autre monde où les choses n’ont plus de nom

Mais il existe seulement pour soi
Son espace c’est lui qui le décrète
Il se sait généreux dans son art de suggérer
Il ne se veut guère économe en matière de chair ni de lumière
Et s’il ne ressemble guère à ce que je persiste à nommer le monde
Il est plus présent à mes yeux que tous les univers du monde

Car il s’agit d’un paysage mental

 

Publié par les Eds Rivières avec illustrations de Mélanie Bide