TEXTUERRE

Te souviens-tu

Les gardes rouges défilaient sous les seins des panthères noires

Le président explosait sur le plateau des Halles

Le sujet était mort

Et nous languissions les feux du grand soir

Est-ce que tu t’en souviens

Les foulards ne couraient pas les jupes folles

Les mantilles se taisaient quand piaffait le taurillon

Nous n’étions plus dans nos textes

Et aspirions au merle blanc

Je sais que tu t’en souviens

Les filles découvraient leur sexe au fond des salles sombres

Les lunettes noires saignaient dans les stades écorchés

Nous ne parlions plus comme nos pairs

Et attendions d’habiter la lune

Car moi je m’en souviens

Les garçons sous le manteau enlaçaient d’autres hommes

Les barbus n’effrayaient point les triques des gardiens de paix

Nous disséquions la peinture

Et croyions au verdict des étoiles

Crois-tu que d’autres s’en souviennent

Les sorcières en furie hissaient leurs bannières maudites

Le dégel s’annonçait au fond des camps pelés

Nous écrivions au cutter

Et ne voulions que l’impossible

Je suis sûr qu’ils s’en souviennent aussi

Nous respirions la fumée dans les lents restaurants du rêve

Sur le mur des mensonges fleurissaient les barbelés

Nous déboulonnions les idoles

Et songions aux matins sans fin

Je ferai tout pour qu’ils s’en souviennent

Et que tu t’en souviennes aussi

Comme je m’en souviens

Si vive est la douleur

De voir s’effacer la mémoire

Dans ces lieux que je ne connais plus

Paru dans la structure éditoriale dirigée par Anne-Marie Jeanjean : Tardigradédition