NOTES A LYRE (NOTES D’OMBRES ; NOTES EN BALADE ; NOTES LYRIQUES)

 

J’étais jeune encore et la splendeur des herbes Le salut des primevères La gloire d’or des jonquilles délivrait de ces secrets qui dansaient en battant des ailes

Je cherchais dans la mousse les plus exquises des fleurs et sous les fraîches ramées La saveur des pervenches Et moi aussi alors livré à la brise déjà si douce je dansais

J’épiais le pépiement vespéral des insatiables oisillons  La parole magistrale du coucou qui scandait les culbutes précoces du temps Le sautillement joyeux des petits êtres de plaisir je les voyais qui dansaient

Je vivais dans l’ignorance pure L’amour pour moi c’était le papillon se frottant au buisson Je faisais provision de souvenirs Je ne savais pas que mes heures-là seraient si vite abîmées

Que les branches ne s’ouvriraient que de réminiscences Que jamais je ne reverrais en brut l’élan irisé de l’arc-en-ciel l’ondulation marginale des vagues Et c’est ainsi que je devins plus vieux

Avec la pensée que si rien ne perdure rien non plus ne s’efface sinon dans le désastre Et les astres étaient là dans les parages des arbres dont la présence est tranquille même s’il ne faut pas y regarder de trop près

Aussi j’en ai pris mon parti et j’ai choisi le champ de l’ombre C’était me livrer à l’oubli Un oubli dont il demeure à jamais quelque chose Un oubli complet et qui s’inclut dans ses outrages Oublier l’oubli pour que s’image l’ombre

Ce qui s’imprime en la rétine est dépourvu de chair Le paysage se déréalise dès lors qu’on l’abandonne A la lumière de l’esprit l’incendie s’éteint en étincelle

Nous reste la note de l’ombre

Travailler l’ombre afin de restituer le troublant murmure des feuillées Retrouver dans ses poreux contours la santé du reclus De ce qui s’imprime en la mémoire et qu’on croyait perdu

Et les oiseaux reviennent sur la toile j’entends bien leur langage Et c’est de leur bec que j’écris ces notes

Car on ne pense on n’exécute on ne crée que dans l’ombre de qui nous précède Des choses du monde et êtres qui s’en sustentèrent De qui nous a nourris Des charmes des paysages et qui se les approprie

Du scintillement du ruisseau jonché du jaune des narcisses De l’humble pelisse des bruyères sur la pierre si tôt ruinée De l’animal tapi dans la solitaire nuée visitant la Victoire

Au visage éprouvé de la grand-tante qui se reflète encore en la tasse de thé mais tend à s’effacer pour un autre visage celui qu’on veut bien recouvrer parmi d’autres figures d’ombres

Et nous passons nos vies à restituer ses ombres à la vie Avant de rejoindre à nos tours les royaumes des ombres dont nos ombres sur terre Recréées nous arracheront

Quelques notes

 

(Texte écrit à l’attention de Denis Castellas en vue d’une publication aux Eds Bourdaric, paru finalement chez Amazon)

 

 

 

 

 

 

DENIS CASTELLAS

               Que la peinture ait la capacité de réfléchir des images, on le sait depuis longtemps. Sauf que l’on en est submergé dans le réel qui nous environne. Et que l’on apprécie de les voir se décanter et se limiter à l’essentiel, parfois même se faire poème. C’est sans doute le plus sûr moyen de se les rendre lisibles. Et de s ‘ouvrir les portes de l’interprétation.

Ce que l’on sait moins c’est en effet  sa capacité à révéler ce qui demeure quand on a beaucoup oublié, car nous passons notre temps à effacer de notre mémoire ce qui nous a un temps marqué. La peinture a cette capacité de fixer des vertiges, d’isoler une image et de laisser émerger sur la surface du tableau conçue comme un plan affirmé. Dans les toiles souvent imposantes de Denis Castellas, on voit flotter des figures. Une qui domine, plus ou moins ébauchée, plus ou moins achevée, plus ou moins triomphante, et quelques satellites plus modestes et qui en infléchissent le sens. Le fond est brouillé, fermé même pour mieux mettre en exergue, à la surface, tel motif qui mérite de se voir isolé et distingué du déferlement iconique ambiant. Il peut s’agir d’un portrait, d’un objet fascinant (« un saint bol », un polyèdre, un navire), d’une silhouette plus ou moins identifiable, d’une occurrence du hasard dans ses objectifs. La figure devient chez Castellas réminiscence, avec l’aura qui l’entoure et qui se glisse en surface comme pour nous inviter à plus de légèreté, de détachement ou de recul poétique. Elle peut se voir effacée et se fait spectrale, un peu comme au réveil ne nous reste que l’impression ou l’émotion qui nous a saisis devant des images qui ne bénéficient plus de la netteté ou de l’évidence onirique.

Dans certaines toiles récentes, le flou domine, la figure, pratiquement effacée, est réduite à une forme aux contours hésitants, à des vibrations lumineuses bref à l’inimaginable. Des collages, des grilles de scotch ou des ponctuations picturales nous ramènent au garde-fou du plan, à partir duquel on peut effectivement, comme dit le poète, fixer des vertiges et figer des images – mais peintes, avec de la matière et des gestes corporels, de la chair au fond. Car ce qui intéresse le peintre ce sont les éléments constitutifs de la Peinture (support, gestes, couleurs etc.), dont les figures qui flottent font partie, la partie flottante, la pointe émergeante de l’iceberg.

La peinture sait refléter un état d’esprit, un état d’âme, que la tradition poétique assimile souvent au paysage. N’y a-t-il pas, dans la manière qu’a Castellas de disposer des signes sur la surface, comme une évocation du paysage ? BTN

 

Œil ouvert, cœur flottant

Les corps semblent flotter dans la Peinture de Denis Castellas. Et pas seulement les corps mais les signes, les formes et les taches. Comme dans notre mémoire quand émerge, de manière fugitive mais soutenue, un souvenir marquant, un fragment concentré du temps retrouvé.

Des réminiscences, il en émerge en grand nombre, dans l’esprit du peintre, qu’ils soient liés à des choses vues, aux traces laissées par les voyages et à la découverte permanente des chefs d’œuvre de la Peinture, de Cézanne à Giotto, de la littérature ou de l’art en général.

Le privilège de la peinture c’est de pouvoir, à l’instar du poète, fixer des vertiges, sans doute aussi de figer des vestiges. Elle possède la faculté de relier sur le tableau quelques éléments séparés par l’espace et le temps. L’opération se fait dans les brumes de la création, lesquelles supposent solitude et mystère. On trouve cette ambiance dans les toiles de Castellas qui préfère les riches vertus, nutritives, de la subtilité nuancée aux terribles certitudes de la netteté, laquelle se laisse trop vite absorber sans réellement nous sustenter.

C’est la raison pour laquelle la gamme colorée de Castellas privilégie les gris de toutes sortes, les bruns et les ocres, les couleurs de la terre, de l’univers chtonien comme si l’artiste œuvrait dans un entre deux, entre deux dimensions : le réel et l’imaginaire, l’extérieur et l’intérieur du tableau, l’ombre et la lumière. Dans quelque(s) limbes, auxquels seuls les artistes, ceux qui cherchent sans pour autant se vanter d’avoir trouvé, ont l’heur d’accéder.

C’est également la raison pour laquelle l’atmosphère de ses tableaux peut faire penser au Romantisme. Un Romantisme qui se fonde sur la capacité d’allier fugacité de l’émotion et pérennité de la représentation. Un Romanisme qui certes met en exergue les émotions, les sentiments et les options de Cœur… Mais un Romantisme renouvelé, qui aurait retenu les leçons de Picasso ou de Matisse, les maîtres de la modernité… L’œil constamment aux aguets, autant dire ouvert…

Qui dit corps flottants dit légèreté, celle des anges et des oiseaux. Castellas leur substitue parfois des taches, éparses sur la toile, et comme chargées de toutes les formes potentielles que l’interprétation peut leur attribuer. Quant au cœur, il l’affirme en bannière tel un étendard et, au gré des vents, immanquablement, il flotte.

On pourrait repérer quelque chose du déplacement métonymique que l’on prête au travail du rêve, dans cette Peinture-là. Castellas n’est pas le Peintre de la pléthore, encore moins celui de la profusion, d’aucuns disent de la prétendue virtuosité, colorée. Sa peinture se veut suggestive, toute en nuances. Elle sollicite le regardeur plutôt qu’elle ne le submerge d’une exhibition de prouesses techniques et de cette rutilance accrocheuse que l’on trouve suffisamment sollicitée dans le réel. Elle offre au contraire un havre protecteur, propice à la méditation, à la résurgence des rémanences, à commencer par celles concernent les émotions, personnelles et culturelles, qu’il s’agit de pérenniser, de re-susciter en permanence. Aborder un tableau de Castellas, c’est prendre le risque de pénétrer dans une sorte de grotte ou de caverne, un territoire limbique où tout est possible. Un univers en suspens. Et dans le suspens, les figures flottent…

Les références, de toutes sortes, apportent leur arsenal de formes et de signes, de symboles et de motifs, que l’on peut organiser de manière singulière dans la matérialité de la peinture, laquelle échappe à la fugacité superficielle du réel. Elles sont glanées au fil des déplacements ici encore dans l’espace, le temps et dans le voyage immobile de la réflexion ou de la lecture. Ici aussi il faut garder l’œil ouvert. On peut y relever des croix de fenêtres vénitiennes, le portrait de l’épouse en voyage, tout un cercle d’amis oiseaux… Un clin d’œil à un tableau célèbre… A l’œuvre d’un écrivain majeur… Au patronyme d’un immortel savant… Des notes au fond, et qui viennent du fond du cœur, de Nice ou de New York, de Whistler ou de Seghers… Des notes qui se cristallisent en œuvre…

Outre la juxtaposition Castellas pratique la superposition, d’images comme de textes. C’est ce qui donne ce fond tourmenté sur lequel vient se poser la figure, et qui peut rappeler le fonctionnement de l’inconscient, dans sa compossibilité spatio-temporelle. Une figure qui ne se veut pas rationnalisée et qui donc se moque bien de la perspective traditionnelle. Une figure non illusionniste car consciente de son statut pictural avant tout. On est sur le plan du peint, à la surface d’un entre deux mondes et c’est sur la lisière qu’elle vient flotter. Le temps pour nous de méditer à son sujet. Pour peu qu’elle insuffle, au rythme du cœur, des flottaisons de méditations poétiques… BTN