Pierre Bendine-Boucar en 6 couleurs et au-delà
Chez Pierre Bendine-Boucar, tout est affaire de couleurs, les couleurs franches, celles de l’enfance qu’il s’agit, dans un monde réel souvent très ombrageux, de préserver en soi comme on cultive l’enthousiasme, la fraîcheur des sensations retrouvées et même une certaine simplicité qui tranche avec la complexité des situations que nous avons à affronter dans la réalité brute. C’est la raison pour laquelle, à l’origine, il peint des fleurs, véritables motifs de couleurs incarnées. Certes il les peint de façon stylisée, passées au crible de ses références d’adulte, en tenant compte des particularités de la toile qui est avant tout un plan vertical, propice à l’usage des pochoirs, et non un piège à impulsion perspectiviste. Il la fragmente, en recourant à des outils requis, je pense au rouleau de scotch, de manière à présenter les spécimens selon diverses apparences, des figures variées, des dimensions multiples, créant dans le même, temps une division de la surface vers laquelle il reviendra plus tard. Comme tout est rendu compossible sur un même plan, on se rend vite compte que l’on est dans une autre dimension, onirique ou u-topique, où règne l’harmonie impossible à trouver dans la réalité qui nous entoure. Sans doute un équivalent concret de l’enfance de l’art.
A partir de ce motif fondamental, diverses séries se mettent en place : tantôt c’est la forme souple qui est privilégiée, et cela aboutit aux « ronds » peints (voire aux disques), car la forme et la couleur ne font qu’un, montrés au Château d’Espeyran, inspirés par une boîte servant à conserver des micro-films, une forme universelle donc et, en définitive, le B.A ba de la géométrie usuelle. Autre forme souple (dans son apparence comme dans sa disponibilité plastique) : celle des « nuages », inclus dans l’espace de la toile, stylisés eux aussi, très marqués par la BD, incluant couleurs et rayures ; une forme qui fait rêver et quelque part également raconte – on peut voir ainsi que Pierre Bendine-Boucar s’inspire du réel tel qu’il le perçoit ou tel qu’on le figure et en retient la configuration la plus pure, la plus abstraite. On peut également inclure dans cette tendance formelle les rock-a-stack, ce jeu pour enfants, comme par hasard, ou des anneaux colorés sont empilés à l’instar d’une tour de Babel ; enfin, la tête du Fantomas populaire (joué à l’écran par Jean-Marais et dont l’artiste s’approprie la silhouette), dans tous ses états, traversée de lignes et couleurs et amenant au thème de la cagoule, comme si le peintre portait la couleur sur son visage. Le dandy fait bien de son corps une œuvre d’art. Pourquoi pas le peintre dont on n’a pas besoin de voir le visage pour comprendre ce qu’il tend à nous proposer. Tout peintre devrait avancer masqué et œuvrer pour la lumière, mais dans l’ombre..
Tantôt ce sont les lignes orthogonales de couleur qui dominent, se croisent et qui donnent au tableau un aspect géométrique. On a alors l’impression que Pierre Bendine Boucar s’est imprégné de l’esprit qui caractérise notre époque, à la fois marquée par l’intense circulation qui préside à la vie dans les grandes villes mais aussi par les abscisses et ordonnées qui quelque part, à force d’algorithmes savants, finissent par dominer le monde. Cette articulation verticale/horizontale, il se l’approprie, la consigne sur la toile de manière à retrouver cet émerveillement enfantin face aux couleurs les plus usuelles dont nous avons tant besoin. Ce sont alors les grilles, que l’artiste nomme également tartans. Le tableau, toujours une surface plane, devient alors extrêmement dynamique, jusqu’à saturation (Quelle sera la prochaine étape ?). Le support est souvent emprunté à des objets récupérées (sacs, serviettes, torchons…). Les toiles peuvent s’avérer imposantes mais le peintre aime à disposer des tableaux plus modestes sur le mur parce qu’ils suggèrent l’idée de collection, et sans soute aussi parce qu’ils intègrent la notion d’espace, autrement dit de territoire, par rapport au simple plan et à sa topologie délimitée.
Toujours est-il que, des fleurs initiales jusqu’à ses grilles actuelles, la peinture de Pierre Bendine-Boucar tend vers la dé-réalisation du réel pour aboutir à son abstraction, sans pour autant céder aux vertiges du lyrisme ou de l’expression outrée. Un apprentissage a besoin de règles. Il n’en manque pas dans ses tableaux. Couleurs, lignes, formes, lui suffisent à définir un alphabet qui lui est propre. L’alphabet c’est qu’apprenne à la base les enfants. Or l’être humain est un éternel apprenant.
Au demeurant, ces deux lignes de force, la souple et l’orthonormée, se combinent très bien, de sorte qu’il n’est pas rare de repérer une grille sur une cagoule ou des nuages flottant sur des tartans (inspirés des tissus écossais). Certaines plages demeurent également monochromes – quand on aime la couleur, cela se conçoit aisément. On aura compris en effet que, à considérer les six étapes, parfois synchroniques, qui auront marqué son itinéraire, et que je viens de résumer (des fleurs aux grilles en passant par les nuages et les ronds, les jeux et les cagoules), elles aboutissent d’une part à des possibilités infinies de variations, s’ajoutant au fort potentiel que génère en général l’amorce d’une série, et d’autre part à la célébration exclusive de la couleur. Lovée dans une forme ou inscrite dans une ligne, elle demeure omniprésente. Souvent les deux à la fois. Cette œuvre est cohérente de bout en bout. Encore la septième étape n’est-elle point encore amorcée, comme on accède au septième ciel. Cela nous ferait un bel arc-en-ciel. Et tous les espoirs qu’il annonce. BTN