PROMENADE EN ÉTANG DE MOTS

1)

Et je voudrais t’offrir un étang

De mes mots Que le silence soit

D’or A jamais bleu le poème

Et à la page blanche

Suppléer la feuille bleue

Telle une étincelle d’infini

2)

Encore  les mots d’azur d’une barque

Au repos quand elle aspire au silence

Apaisant tant de maux

A cet instant du ciel ailé

Une ombre seule grouille

En cette paix recouvrée

3)

Trois barques dans mes mots

C’est déjà tout un monde

Qui s’esquisse en présence

En marge s’écrivent d’autres lettres

Et dans sa verticalité foncière

L’étrange patience du héron

4)

Si l’on sait observer

Les choses se mettent à bouger

Ainsi s’agite le poème

Le bois de cette barque

Ne serait pas seulement bois

De l’eau des mots il s’imprègne

5)

Ah si les mots se laissaient prendre

Dans les filets de l’étang d’or

Miraculeuse serait la pêche

Par quelque bout qu’on prenne

Le Poème On finira à coups certains

Sur une belle prise de mots

6)

Certes les mots savent se faufiler

Dans le chimérique rêve d’enfermer

Le bleu du ciel dans l’eau

Pas question de se défiler

Si d’entre les mailles du filet

Déferle un filet de mots

7)

Toujours la laborieuse nasse ramène

A l’idée d’humilité sereine

Qu’il suffit de prendre au mot

Ce que le poème ne saurait dire

C’est toute l’humanité des mailles

Exilées de leur élément

8)

Qui ne s’est jamais immergé

Dans un rêve d’eau d’où ériger

Une plus haute tour d’amour fol

Même aux mots du poème

Surtout aux mots du poème

S’impose la vigile sagesse

9)

L’apparition d’une cabane

Elle se fait si rassurante

Lorsqu’on s’égare dans les mots

Et que le naufrage paraît proche

Pour qui se risque à l’étourdi

Dans l’étang d’or du poème

10)

Le merveilleux du poème La barque

En nuage au-dessus des cabanes

Et nulle voix ne brise le silence

L’activité des hommes de l’étang

Ecartée pour un temps

Comme au temps des premiers temps

11)

Parfois les eaux se font furie

Et s’ils déchaînent les vents de mots

C’est grand menace en les cabanes

Pourtant dans la tourmente

Du poème On sait que son salut

Serait se raccrocher aux mots

12)

O grave retour des rets

Quand s’apaise de l’onde

La rage en ses mailles de mots

Au milieu de l’étang du poème

On doit serrer les liens à lire

Qui se livrent en recueil

13)

Je dis Barques bavardes

Sans l’humaine présence

Et je nomme en écho le paradis

Et moi aussi quoi ( ? ) l’ai retrouvée

Mêlée au soleil des mots

Dans l’éternelle barque du poème

14)

Une portée de barques

Toutes gorgées de soleil

La perfection d’un beau dimanche

Par de vaines paroles

Surtout ne pas troubler

Le rythme des temps en repos

15)

Quand survient la brume

La couleur des mots s’estompe

On avance à tâtons dans le poème

Même si s’effacent  les barques

L’astre se veut fidèle au poste

L’étang a pris l’or et le bleu offert

16)

Ce calme je le voudrais perpétrer

Sous l’œil fixe d’une idée

Qui se veut d’or en ce poème

Le clair qui revient  chaque fois C’est

Le même Et c’est une journée qui à son tour

Autour de l’œuvre accomplie S’éclaire

17)

Et je voudrais des taches de nuages

Qui viennent protéger mes mots

A l’instar des imprudences d’esquifs

Le jeu de barques comme un dé

Qui se jouerait des nuées

Et se prendrait au jeu des mots

18)

Ce beau nuage bleu que cache-t-il

Le timide soleil ou la fière montagne

Dont se jouent les barques en repos

Les Dieux sont fatigués de luire

Et de combattre Ou plutôt Muet le témoin

Est las des combats et spectacles divins

19)

La sainte montagne tombe à pic

Pour materner de son paisible essor

Le placide balancement des barques

Un rêve de montagne

Voler à l’étang de mots

La couleur d’or de son poème

20)

Un choc de titans s’est jadis livré

Au bord de la tranquille indifférence

De l’eau qui dort à présent

Toujours les dominants

Toujours les dominé(e)s

Et l’eau de l’or qui se grise de barques

21)

Au vainqueur l’image en paysage

A la solitude figée qu’on admire

Et à ces mots de compliments

La Fidélité ! La patience !

La fierté ! L’assurance !

La solidité ! Que de vertus !

22)

Quand l’idée du combat se fut rassise

A nouveau les barques murmurèrent

Leur chant profond en ce poème d’or

            Calice de lumière vague

            Sébile tournée vers l’azur

            Je ne vous réclame que quelques mots

23)

Et le calme fut tel en ce poème

D’eau qu’on eût pu l’oublier la vie

Toute frémissante d’ailes mises aux mots

Le retour des aigrettes

Conquête de la Nature

Sur l’activité à l’entour

24)

Les éternels résidents

Trouvent d’instinct

Un peu de l’ordre du monde

Le retour des aigrettes

C’est un peu comme neige

Et ses taches mouchetées

            25)

            L’éternel retour des êtres muets

            Un nouvel ordre du monde

            Un nouvel ordre des mots

            Le retour des aigrettes en ce poème

            Mes lignes d’écriture

            En l’absence de point final


PROMENADE 2

Wiea ! Waga ! Vogue la vague dormeuse et ondoyante ! Wagalaweia Wallala Weila Weia !

Holà la vague, sœur si sauvage, Wagalaweia ! Comme ta grâce ravit mes yeux ! Wallala Weila ! Comme ton affectueux sourire flatte mon cœur ! Walalla Weia ! Quelle flamme  nous caches-tu ? Wiea ! Waga ! Qu’attendre de tes profondeurs infinies ? Wagalaweia ! Quelle malédiction ta surface recèle-t-elle ? Wallala ! S’agirait-il seulement des essors d’un rêve ? Weila ! Holà, sœur qui semble si vaillante ! Weia ! As-tu rencontré le vaisseau aux voiles de sang ? Wiea ! Le fantôme des eaux qui erre sans repos ? Waga ! As-tu déjà frémis sous le vent qui gémit ? Wagalaweia ! Sais-tu que l’homme qui erre pourrait se voir délivré ? Wallala ! Qu’il suffirait d’un mot dit par une femme honnête ! Weila ! Qui lui soit fidèle jusqu’à la rédemptrice fin ! Weia ! Ah pâle marin puisses-tu trouver la vérité que tu cherches ! Wiea ! Un être pur par qui tu sois enfin sauvé ! Waga ! Nous manquerions à nos devoirs si nous ne t’aidions point ! Wagalaweia ! Aucune des berges ne nous est inconnue ! Weila ! Il n’est nulle cabane dont nous ne connaissions les âmes qui voguent ! Weia ! Mais dis-nous la vague, qui t’a appris ton art de la répétition ? Wiea ! Nous te couvrons ainsi de fleurs invisibles ! Waga ! Et entonnons des vivats pour tes promesses de retour ! Wagalaweia ! De l’éternel retour vague dormeuse et ondoyante ! Wallala Weila Weia ! Wiea ! Waga !

Réserve :

J’y chercherais bien une suave étoile !

Quels divertissements et jeux nous promets-tu ? Waga ! Que caches-tu dans tes ondes verdoyantes ? Wagalaweia ! Quelles déités fabuleuses ne recouvres-tu point ? Wallala ! Sais-tu que bien des femmes te maudissent ? Weila ! Tu leur a volé tant de fidèles compagnons ! Weia ! Tu as fait pleurer en vain tant de veuves ! Wiea ! Tu as meurtri à vie tellement d’orphelins ! Waga ! Pourtant, nous ne t’en voulons guère ! Weia ! Nous te couvrons malgré tout de louanges ! Wiea ! Et de vivats pour le vivant élément ! Waga ! Wellala… De l’éternel retour… Weila ! Pour les promesses du retour… Weia !



Poème à l’attention d’Anna Baranek du Château, publié par ses soins sous forme de coffret contenant chacun 25 peintures recto-verso

Texte manuscrit + Article L’art-vues Août 2023

Du côté d’Aigues-Mortes (30003)  d’une part (août), de Salinelles (30306) de l’autre (septembre), dans deux lieux de méditations que sont des chapelles (Célestins et St Julien), l’artiste d’origine polonaise Anna Baranek du Château déclare son amour pour cette terre camarguaise qui l’a adoptée. Je dis terre mais il faut compter avec la primauté de l’eau, douce ou salée, des marais et étangs. Elle habite certes la Camargue mais ces expositions prouvent qu’elle est également habitée par elle. Le bleu du ciel, les couleurs du sel, la lumière du midi suffisent à construire le paysage, avec humilité, simplicité et légèreté. Le vent favorise le mouvement et la peinture se travaille dans le silence. Ainsi Anna Baranek du Château, loin des agitations urbaines, du bruit et de la fureur, nous rappelle à quel point nous avons besoin de paysage. Celui de Camargue est protégé, on peut même parler de réserve. Et ne métaphorise-t-il pas la condition même de l’artiste, amené(e) à vivre dans les marges, pour peu qu’il (elle) s’oblige à préserver ce que avons de plus humain : notre appréhension directe de l’espace par le regard, l’activité manuelle qui consiste à peindre – comme d’autres jardinent ou pêchent. Et le souci de préserver la mémoire des choses, de les inscrire, de s’inscrire, dans le temps. La couleur Bleu incarne cette aspiration à l’infini que suggère la contemplation sereine et patiente des lents déplacements de nuages, des calmes activités animales, et des objets humains laissés au repos, à l’instar des barques marines. Il faut du temps pour que le paysage entre dans le tableau, du moins son essence. Besoin de simplicité, souci d’en rendre compte, refus du réalisme photographique : on touche au plus près de la poésie. On se demande également si la vision proposée par l’artiste n’est pas un rêve. Le rêve d’une petite fille née dans la blancheur neigeuse de sa Silésie et transportée, par la magie des migrations aviaires, vers des cieux plus sereins auxquels le sel apporte son petit grain d’éternité. Les peintures, légères, d’Anna Baranek du Château nous renvoient à cette chanson à succès évoquant le Sud, ce pays où le temps dure longtemps, et la vie sûrement, plus d’un million d’années. Si nous ne faisons pas de grosses bêtises d’ici là. L’artiste est le gardien de ce pays-là. De cette Camargue-là.