30 sérigraphies pour saluer les 30 ans de l’Espace Georges BRASSENS

Brassens et sa pipe ! Brassens et sa moustache ! Brassens et sa guitare ! Sa sympathique corpulence ! Ses cheveux de zazou ! Sa mauvaise réputation de pornographe (du phonographe) ! Sa truculence, gauloise, libératrice à l’époque ! Ses gros mots qui effrayaient sa mère (Et pas que…) ! La Jeanne ! L’Auvergnat ! La vie de bohème, dans une discrète impasse, au sud-ouest de Paris ! La tentation libertaire ! La tendresse du Bonhomme pas si bourru ! La poupée pour qui le grand costaud s’est fait tout petit ! Patachou qui le révèle au grand public ! Les récitals à succès, accompagnés d’une fidèle contrebasse ! Les Trompettes de la renommée ! Mais Les copains d’abord ! Puis le bel homme vieillissant, que l’on savait malade, sans subodorer la gravité du mal ! Son rapport à la mort, si souvent narguée ! La Camarde qui jamais n’avait pardonné ! Tant d’images nous viennent à l’esprit lorsque l’on pense au créateur du Mauvais sujet repenti ! Et de quelle manière !

Et Sète, sa ville natale ! Notre île singulière, celle où l’on revient toujours ! Sa supplique pour y être enterré, même s’il prétendait que c’était pour rire ! Qu’il ne fallait pas trop le prendre au sérieux ! Il n’empêche ! C’est au cimetière Le Py que l’on vient faire, sur sa concession, d’affectueuses révérences… Un cimetière plus humble que le trop littéraire marin, cher à Paul Valéry… Mais cette humilité colle si bien au personnage ! Brassens : un homme du peuple ! Et qui roulait les r…

Des images, un port d’attache, et 30 bougies à souffler pour commémorer la relation du poète à son île !

Sète une ville d’artistes ! Le solide et incontournable Soulages[1] ! La figuration libre ! Une pincée de Supports-Surfaces ! Une école, autrefois ! Des nuées de plasticiens, toutes générations confondues ! Certains natifs du terroir ! D’autres qui s’y sont installés ! Ses Théâtres Molière et de la Mer (Jean Vilar) ! Son musée Paul Valéry ! Son Conservatoire (Manitas de Plata) ! Son Miam ! Son Crac ! Ses galeries, municipales, associatives ou privées ! Ses Beaux-arts sur le mont St Clair ! Une petite capitale de la culture, ouverte sur le monde entier !

Et puis cet Espace, muséal Georges Brassens, à quelques pas de sa tombe, au pied du Mont St Clair. Sète sait honorer les enfants du pays ! On y entend la voix de l’ancien « Voyou » (comme dit la chanson) en guide particulier, déroulant le fil de son existence en 10 étapes ! On y découvre des épisodes cruciaux de sa vie, de la France qu’il a connue et, bien sûr, de sa ville natale ! Des concerts, des films, des entretiens : une visite immersive en stéréophonie pour une rencontre intime avec le poète ! « L’amitié n’exige rien en échange que de l’entretien ! » Que peut justement apporter la technologie nouvelle ! Un Espace ouvert conçu dans un souci de transparence ! En témoigne son point de vue, ouvert sur l’étang de Thau ! Un poète a besoin d’air, de clarté, de liberté ! Surtout quand il se nomme Brassens… Une équipe dynamique, consciente de ses responsabilités, soucieuse de maintenir non seulement le souvenir, son œuvre, mais l’esprit du poète ! Cette exposition, et un tas de manifestations en témoignent ! Une équipe à dominante féminine ! A Sète, l’intolérance n’existe pas ! Les contraires, les tensions, s’effacent devant le talent ! Un mauvais sujet, même repenti, a besoin plus que quiconque de bienveillance ! Par ailleurs, des Brassens, il n’y en a pas deux ! Il fut unique en son genre ! Le public le sait bien : Cet Espace, que l’on a dit muséal, est le plus visité de Sète, qui n’en manque pourtant pas… 40 ans après sa mort, le poète demeure populaire ! Et c’est cet Espace qui fête ses 30 ans !

Encore n’ai-je évoqué que les arts plastiques ! Peintres, Sculpteurs ! Performeurs ! Photographes ! Graffeurs… Mais il y a aussi Vilar et les arts dramatiques ! Le théâtre de la mer ! Les voix vives de la Poésie ! Et la musique, qui n’est pas en reste : La Fiest’a Sète, et le Jazz et Demi-Portion ! 22, v’là Georges et la craquante Fernande ! Les Images singulières ! K-Live et les arts urbains, ce qui tend à prouver que « les quatre zarts », dont parlait l’ami Georges, auraient tendance sinon à s’unifier, du moins à faire bon ménage ! Même les séries télévisées à la mode s’y sont laissé prendre ! Sète séduit les spectateurs, les visiteurs, les vacanciers, les élites, bref tout le monde, et dans le monde entier ! Ce n’est pas pour rien qu’il s’agit d’un port !

Justement ! À propos de correspondances (entre les arts) : avec cette initiative estivale, on verra se conjuguer les arts plastiques et la chanson ! Des représentations, celles que ce monument de la chanson française aura laissées auprès du grand public, et la façon dont les artistes, ceux de Sète, le perçoivent en images : ses aspects populaires et ses chansons à succès…

Le lien se fait par le biais de cet art accessible au plus grand nombre, populaire lui aussi, au sens noble du terme, c’est-à-dire alliant clarté et exigence : la sérigraphie, ou le multiple à la portée de tous ! Sur Sète, grâce à Bastien Garnier, de l’atelier Brise-Lames, on la veut artisanale et manuelle ! Cela sied mieux au personnage, au guitariste, au fumeur de pipe ! Ce dernier n’aura connu ni les ordis ni les portables ! Sa pratique est encore manuelle ! Tout comme la sérigraphie, l’art de la sobriété, voire de la modestie par excellence ! Une presse, une feuille de papier d’Arches, un écran de soie et le tour est joué ! Mais avec du doigté, de la dextérité, de l’expérience ! De la compétence en fait ! Encore faut-il donner à la presse, la mécanique, du grain à moudre ! A l’écran (de soie), la meilleure image possible ! Car c’est là qu’elle intervient ! L’image : Il la faut simple mais marquante ! Evidente ! Un peu comme une affiche ! De surcroît, la majorité des sérigraphies seront tirées en noir et blanc : Ce minimalisme convient bien au poète ! Brassens ne borna-t-il pas ses apparitions sur scène à la fameuse contrebasse du dévoué Pierre Nicolas ?

D’où l’intérêt de ces images – pochettes, affiches et consorts – auxquelles les artistes souvent se réfèrent, et qui forgent les éléments d’une légende ! Brassens ne défrayait pas la chronique… Or on le connaissait par ses disques ! Ses tournées et leurs affiches ! Plus tard ses passages à la télévision ! Aujourd’hui, on les retrouve sur le Net ! Les artistes ne se sont pas privés de puiser dans cette importante iconographie, afin de nourrir leur vision suggestive, et subjective, de ce parolier exceptionnel ! Au timbre de voix unique et lui aussi singulier (tout comme l’île) ! A la diction si typique, et à la culture indéniable ! Celle des poètes : Aragon, Hugo, Verlaine, Villon (cet autre « voyou »), Paul Fort… ! Il en est question en cet Espace ! Et aussi des Passantes, d’un certain Antoine Pol, déniché parmi les illustres inconnus de la Poésie des rues, la plus simple ! La plus authentique !

L’Espace Georges Brassens fête, répétons-le, ses 30 ans, c’est-à-dire accède à sa pleine et entière maturité. Une estampe d’Alain Zarouati, s’y réfère, où l’on voit un couple adamite y faire escale, muni d’une indispensable guitare. Elle clôt pertinemment la visite dans le parcours que constitue cette exposition temporaire. 30 artistes ont ainsi été ainsi sollicités : d’abord ceux de la génération qui aura connu l’œuvre de Brassens de son vivant : celle de Robert Combas (auteur de coffrets déjà « collectors », et familier, en peinture, de son glorieux aîné, dès les années 90), du « modeste » Hervé Di Rosa et de pas mal d’autres, légèrement plus jeunes, comme André Cervera, Aldo Biascamano, Christophe Cosentino, Marc Duran, Alain Zarouati, Hugues Chagniot,  Clôdius ou le précieux Topolino, inventif chroniqueur de l’actualité sétoise. Auquel il faut ajouter leur aîné, Pierre François, lequel avait créé 7 affiches (collage et peinture) pour l’inauguration de l’Espace Georges Brassens, en 1991. Il nous a quittés depuis, mais demeure de la sorte présent, tandis que son frère, Jean-Jacques François, fait partie de la sélection des 30. Sans oublier le boulimique (et génial) Jean-Luc Parant, nouveau venu dans la ville, qu’il marque déjà de son empreinte[2]. Mais aussi les artistes des générations suivantes : celle de Maxime Lhermet ou de Lucas Mancione, d’Anna Novika Sobierajski, d’Ève Laroche Joubert, Karine Barrandon, Laou… Et bien évidemment les plus jeunes : qui auront fait leurs premières armes du côté du Street art… ou de la figuration actuelle inspirée par le rap, la BD, les séries, le tatouage, la customisation et autre… : Maye, Tony Bosc, Depose, AmonAlis, Christopher Dombres, Boris Jouanno, Rebelsmuge, D. Reka, Laure Della-Flora. Quelqu’une, Lucie Lith, mêle même le visuel et le tactile : le braille et le relief…! Le handicap n’est pas oublié ! Naturel puisqu’il relève de la différence, à laquelle Brassens, on s’en doute, était si sensible, lui qui soutenait l’association « Perce Neige » de Lino Ventura.

30 points de vue, dont on tâchera de résumer la variété et la richesse afin de, donner une idée des diversités d’attaques du Personnage, conçues par les artistes. Avec un préalable : le sort dévolu à La Femme, tant célébrée par l’interprète de Brave Margot ou de Comme une sœur… On s’en rend compte lors de la visite en l’Espace, elle ne manque pas à l’appel dans les œuvres (Jean-Jacques François, Laure Della Flora ou Alain Zarouati, par ex.)… Mais elles n’ont évidemment pas été oubliées de la sélection : on note la présence de Ève Laroche-Joubert (qui s’est penchée, avec le sens de l’humour, parodique, qu’on lui connaît, sur la gent animale présente dans l’univers du compositeur – dont les airs se retiennent instantanément, à l’instar du sautillant et tragique Petit cheval), d’Anna Novika Sobierajski, qui l’habille en « jeune » des banlieues, conservant sa moustache, le regard caché derrière une casquette doublée d’un capuchon, décochant des poèmes-avions de papier à la bêtise belliqueuse (et apportera sa fine sensibilité slave à cette expo à dominante méditerranéenne), de Laure Della-Flora qui nimbe Brassens de cernes vibratoires ou pleines d’énergie positive, ou de Karine Barrandon qui l’angélise avec une douce ironie ; de Lucie Lith également qui l’auréole de lettres au pochoir ; enfin de l’Alice, du duo d’AmonAlis, lequel s’intéresse à ses signes zodiacaux…

Beaucoup ont choisi le portrait en gros plan, de face ou de profil, sur fond plus ou moins dépouillé, parfois rehaussé de lignes ondulées (à la manière d’un halo, ou d’une aura) ou au contraire extrêmement complexe, au point que s’y dissout quelquefois la figure par excès volontaire de multiplication (Marc Duran, dans le style particulier, nerveux et pointilleux à la fois, qui le caractérise, et qui multiplie les portraits, ainsi que les « S » : Brassenssss). Chacun s’approprie le visage si caractéristique de l’artiste. On le transforme un ancien punk, tendance loup de mer (Lucas Mancione), en disque solaire ou en oursin rayonnant (Hervé Di Rosa, le Bonhomme devait détenir ce côté ours mais adouci, à la mode sétoise), en outlaw « libre d’être et de pensée » malgré les tours (de prison ?) tout autour qui le guettent (Hugues Chagniot), en jeune moustachu des banlieues, perçu par une artiste humaniste… Derrière un petit voyou, c’est parfois un Brassens qui se cache… Belle leçon de vigilance ! Le côté rebelle éternel a marqué les esprits. Ce n’est pourtant pas tout ! Clôdius ceint l’homme à la pipe, triomphant, d’un sourire, des diverses incarnations de la Camarde (qui ne lui a jamais pardonné, grimaçante, sans doute ironique) ; Aldo Biascamano noie littéralement ce visage sous une épaisse couche de matière sous-marine, une sorte de verre dépoli comme résistant toujours et encore à l’oubli. On le réduit à l’œil de l’artiste, son regard noir, une tache à partir de laquelle l’esprit peut vagabonder, tel un spectre de Rorschach (Chez Christopher Dombres). Robert Combas, à son accoutumée, a dynamisé le fond en cloisonnant la surface : on repère aisément, dans ses propositions très riches, des allusions aux textes, au chat de Margot ou à la cane de Jeanne. Mais Combas aime surprendre : En tout début d’expo il a réalisé une sérigraphie plus dépouillée, avec un Brassens franchement rigolard, en forme de rébus (Gorge, bras, seins). Le duo AmonAlis, décale son légendaire profil, en bas à gauche du tableau contemplant un disque solaire et les signes du zodiaque, ceux de Brassens lui-même, dans le coin droit… Un invité, C215,  le représente un oiseau sur l’épaule, devant la pochette du LP La Supplique, dans des tons sépia sciemment nostalgiques. Il n’y a pas dès lors qu’un Brassens immuable ! Chacun se l’approprie et l’accommode à sa mode…

D’autres prennent un peu de recul et l’imaginent guitare à la main : Accompagné de sa Muse, la femme nue de ses rêves, sujet omniprésent dans son répertoire (ce dont témoigne Jean-Jacques François, ou Laure Della-Flora), ou fumant dans l’ombre son éternelle pipe, simplement, tout en optant pour la modeste chanson plutôt que pour la philo – trop cérébrale (Laou). Le portrait en pied de Brassens sur scène, avec sa chaise et sa guitare aura tenté pas mal de participants, chacun ayant apporté sa touche d’originalité : prêtant à l’instrument un foisonnement de manches (comme si la guitare s’animait, se faisait électrique, devenait prolixe… : tel est le cas de Topolino, déchaîné, qui multiplie les manches et joue sur l’homophonie Sète/Sept/Set) ; la tête (de guitare) métamorphosée en tête fantastique (de l’artiste) : à l’instar de Pierre François, un visionnaire à re-découvrir; le corps du chanteur incliné à la manière d’une danse orientale, et donc plus léger que nature, humour élégant oblige (André Cervera). L’une des artistes, Karine Barrandon, préfère l’évoquer en lévitation, à la manière d’un ange déployant ses ailes protectrices, ou nous surveillant avec bienveillance. Maxime Lhermet se concentre plutôt sur les objets emblématiques (pipes, guitare, papillons, marguerite, curé, sabots et même micro…). Brassens trône comme un roi sur son monde, l’artiste se limitant à une simple allusion, stylisée, du visage, à la manière d’une estampille. L’ancien champion d’athlétisme et ami, Éric Battista, le présente sobrement de profil, dans un superbe contrejour, sous les feux de la rampe. Rebelsmuge l’imagine entouré de la corde au cou empruntée à La Mauvaise Réputation. Christophe Cosentino le saisit en pleine intimité créatrice, en train d’écrire, entouré des créatures qu’il a imaginées et qui l’ont inspiré. Et de fumer paisiblement sa pipe…

Si la pipe (proliférant sur une boule de Jean-Luc Parant, tout comme dans les portraits de Robert Combas ; aisément repérable dans les visages multiples de Marc Duran, ou donnant au poète un air Popeye chez Lucas Mancione…)  et la guitare (Bien mise en exergue chez Maxime  Lhermet, incurvée et protectrice, chez D. Reka ou Alain Zarouati, lisible dans le graphisme cursif et saturé chez Duran) sont effectivement très présentes, les chats, peu évoqués dans les textes, s’avèrent très souvent sollicités (D. Reka, les dessine de manière stylisée mais quelque peu anthropomorphe, quasi hilare ; Rebelsmuge pose l’animal sur un coin de lune ; Laure Della-Flora en entoure le visage zébré du poète…,) sans doute par allusion au côté casanier du personnage, plus familier de sa table d’écriture que de voyages dans le monde non francophone. Pourtant le bateau, un peu pratiqué par l’illustre sétois, a sollicité Alain Zarouati, et surtout Dépose (car l’auteur des Copains d’abord avait, semble-t-il, le pied marin, peut-on constater en visitant l’Espace). L’artiste l’insère en effet dans un paysage marin, un environnement plus large et le fait naviguer, à l’instar de l’éternel estivant, dont parle Topolino, sauf qu’au pédalo on a substitué une barque chargée d’objets familiers ; ailleurs Maye le change en géant longiligne qui dominerait le mont St Clair, la tête dans le firmament tandis que grouille la vie festive à ses pieds démesurés; on en fait un héros de bande dessinée, un peu hiératique, ancré dans son univers intime, le cœur de Sète vibrant sur le ventre (Tony Bosc). J’imagine que ce détail aurait bien plu au poète.

Toutefois, Brassens n’est pas seulement une image, ou si l’on préfère une icône. Il est avant tout un magicien des mots, un auteur de chansons ciselées à la manière d’un orfèvre. Bien des artistes ont choisi de faire des références à celles qui résument le mieux l’apport décisif du sétois d’origine à la culture française en général. Ici c’est la Supplique, là c’est Les copains d’abord (En fait « Un » copain d’abord ! nous précise Boris Jouanno, qui l’imagine quelque peu en pétard, avec des yeux sévères, faut dire qu’il y a aujourd’hui de quoi…)… Ailleurs : Je me suis fait tout petit (grâce à laquelle on s’aperçoit que tous les hommes ne sont pas seulement des mâles dominants), choisie par Jean-Jacques François… Tony Bosc, fait rimer Putain de toi et Pauvre de moi ! Un graffeur, Dépose, conçoit judicieusement un cadre de titres du maître autour de la barque du promeneur-estivant (peut-être posthume ?); celui-ci, D. Reka, les énumère, de manière manuscrite, sous le portrait du poète, souriant comme satisfait du travail accompli… On reconnaît : L’orage, Il suffit de passer le pont et même la chanson du Hérisson (d’Emile Jolie). Ève Laroche-Joubert parodie le texte du célèbre Gorille : « C’est à travers une large prairie que le gorille et compagnie vivent en harmonie sans soucis du qu’en-dira-t-on. » Et de re-créer un Eden où la cane de Jeanne jouxte le bel animal entouré de papillons en goguette, en attendant le copain petit cheval blanc, devant un arbre fleuri. Alain Zarouati accorde lui aussi une place non négligeable au populaire et émouvant Petit Cheval. Celle-là, Karine Barrandon, va jusqu’à inventer un rébus, où chacun décryptera les multiples références à l’œuvre suggérées… Cet autre, Rebelsmuge, se sert des vagues de la mer, que l’on voit danser, afin d’énumérer des passages de ses vers préférés (empruntés aux Sabots d’Hélène, à Auprès de mon arbre ou au Parapluie). Un dernier, Maxime  Lhermet, peint sur les objets de multiples références à La jolie fleur, aux Bancs publics, et aux célèbres « croquantes et croquants » de L’Auvergnat. En observant de plus près le méticuleux graphisme, figuratif, de Maye, on aperçoit la « Gare au Gorille », ce qui prouve que les artistes ont su conserver cet humour, ce sens de la provocation, cette truculence rabelaisienne (mais pas que…) que l’on associe à bon nombre des succès d’un auteur capable d’écrire La ronde des jurons, le roi des cons ou qui sait trouver une rime active à Fernande. Un festival s’en est souvenu…

Au demeurant, ce ne sont pas toujours les mots de Brassens qui apparaissent en ces estampes : Jean-Luc Parant y va de son petit texte manuscrit, dans son style linéaire si brut, si caractéristique et dont il aura toujours eu le secret (il s’interroge sur l’évidence ou pas d’unir son nom à celui de Robert Combas pour évoquer Brassens) ; Lucas Mancione s’amuse d’un Brassens « sans pattes » (dans la chevelure)… CharlÉlie Couture, invité d’honneur, salue L’ami Georges (« C’est à Sète que naquit. »), devenu l’ami de tous. Tony Bosc cite Sète et les initiales du poète. Lucie Lith se sert des mots, connotés, qui désignent le mieux le gai libertaire (Anarchiste, Poète, Humour…)… afin de confectionner son image, sans pipe ni guitare, dans un entremêlement de lettres qui forment des mots et ces mots un visage. De la planéité de la photo d’origine, on en vient à l’impression 3 D, quasiment au tactile, en passant par l’intervention de l’artiste au pochoir, dans l’épaisseur de  multiples couches[3].

Comme on le voit, la diversité d’approche est large. Aucune œuvre ne ressemble à une autre. A la variété de motifs offerts par le répertoire du chanteur-éponyme, correspond une variété d’illustrations effectives. On évolue de la figuration la plus franche (que l’on a pu dire « libre » dans les années 80) à l’abstraction absolue (la tache, noire dans l’œil, du bien nommé Christopher Dombres), en passant par des signes (AmonAlis), des rébus (Karine Barrandon), des mots dans la peinture, aurait-dit Michel Butor (Laou), des initiales (Tony Bosc), une date (Alain Zarouati )… Entre la figure et la tache, des modes de stylisation divers… Grâce à eux, le vert sexagénaire, qui nous a quittés il y a plus de 40 ans, est encore et toujours parmi nous… A fortiori si l’on suit le parcours vocal proposé dans l’Espace Georges Brassens, où prennent place ces sérigraphies. Comme c’est l’ordre alphabétique qui aura été, en règle générale, retenu, on passe d’un Brassens à un autre, d’un thème à un autre et au fond, on met de la « variété » dans la lecture (qui démarre de droite à gauche avant que de s’inverser en milieu d’Espace). La plupart des sérigraphies sont à hauteur de regard ce qui permet de davantage prendre en considération les détails (pour Robert Combas, Marc Duran, Maxime Lhermet, Maye, Parant bien évidemment puisqu’il faut le lire…). La plupart ont respecté les contraintes de couleur au noir et blanc, sauf Di Rosa, lequel a décliné sa gravure en 3 tonalités (et a fait, à son oursin, une tête au carré, ou du moins un cadre), de format et bien sûr de technique. On peut donc les juger, ou seulement les apprécier, équitablement et à partir des mêmes bases… D’aucuns, chercheront des rapports de contrepoint ou de correspondance avec la documentation proposée dans le parcours. Cela décuple les effets de sens de chaque sérigraphie…

Tout est parti d’une rencontre fortuite, nous dirons ordinaire, comme il s’en effectue tous les jours entre Yasmina Lahrach pour l’Espace Georges Brassens, et les Jurand père et fils (Christian pour le Cercle des Arts ; Stéphane, directeur de L’Art-vues), de l’autre… qui a débouché sur un projet commun, lequel a pris rapidement de l’ampleur jusqu’à se faire remarquable par sa richesse, diversité et pertinence (comme ce texte aura tenté de le prouver).

Un jeu qui pourrait amuser le public : Repérer quels artistes ont, selon lui, le mieux illustré les thèmes et sentiments majeurs présents dans l’œuvre du maître : la provocation, la religion, la mort, l’amitié, l’amour, la nature, l’animal ou tout bonnement… Sète…

La distribution des œuvres au sein d’un parcours bien balisé, et remarquablement scénographie, devrait les y aider… Quitte à créer quelques surprises… Avec les titres notamment…

Tout n’est pas dit dans ce texte. L’événement pourrait en effet réserver quelques surprises. Outre la présence inattendue d’Éric Battista ou de CharlÉlie Couture (sur fond bleu, comme la mer), ou encore de C215 (l’original et son avatar sérigraphique), on pourra, par exemple, découvrir aussi bien les portraits plus anciens que de nouvelles créations, exclusives, de Robert Combas (qui en connaît un rayon sur l’œuvre du maître : Les bancs publics, Pauvre Martin, Dans l’eau de la claire fontaine, Les Trompettes de la renommée, Bonhomme, Fernande…Tous ces titres qui l’ont inspiré…).

Cet événement aura ainsi engendré un hommage artistique au poète, un hommage sétois au Sétois, une révérence populaire à un chanteur tout public. Et l’hommage d’un art visuel des plus populaires également à un chanteur à la fois grand public et de qualité. Comme quoi les deux ne sont pas incompatibles… Brassens, ou plutôt l’ami Georges, en aura suffisamment témoigné.

Trente ans, ça se fête. C’est l’âge d’homme, disait Michel Leiris, de la personne humaine, devra-t-on rectifier par souci de parité, l’âge adulte, le début de la sagesse, où on a toute la vie pour l’essentiel encore devant soi. C’est en tout cas le moment de souhaiter longue vie à l’Espace Georges Brassens, à son équipe, et éternelle survie à celui qui l’a inspiré… En images et en chansons !  

Car une question se pose : Que reste-t-il de Brassens ? Des chansons comme on n’en fait plus, le respect de la vie humaine, du travail bien fait et un sens incorrigible de la rébellion, auquel les jeunes générations sont forcément sensibles… L’image d’un bel homme, aux convictions bien trempées, mais surtout pas sectaires ! Pour ce qui me concerne : une furieuse envie d’être sétois/chez moi !

L’exposition ne répondra sans doute pas entièrement à cette question, mais pourrait apporter pas mal d’éléments de réponses. A vous de voir… D’aller y voir de plus près, si ça vous chante…

L’Espace Georges Brassens vous tend les bras !

Bernard Teulon-Nouailles (AICA) ; Septembre 2022

 

[1] Ce texte a été rédigé avant le décès du Maître de l’outrenoir.

[2] Nous n’imaginions pas, en écrivant ses lignes, que son séjour sétois allait s’avérer aussi bref, lui qui rêvait d’un concert en l’Espace Georges Brassens, dont nous ne pouvons à notre tour que rêver. La disparition de Jean-Luc Parant est une immense perte pour la littérature ou les arts plastiques mais aussi bien sûr pour sa famille, ses nombreux amis, ses admirateurs et collectionneurs.

[3] Précisions de Lilian Pitault : « l’œuvre Tactilo-Visuelle réalisée pour l’occasion par Lucie Lith s’inscrit dans une Volonté de rendre Accessible au plus grand Nombre la Culture. L’écriture Braille et l’Impression en Relief de l’œuvre réalisée lui donnant une dimension « d’Accessibilité Universelle ». L’occasion pour l’Espace Georges Brassens de souligner son engagement. Après l’accessibilité de son exposition auprès des déficients Auditifs, avec les tablettes en LSF, l’Espace Georges Brassens souhaite, avec cette œuvre Tactilo-Visuelle, sensibiliser ses parties prenantes à la question du Handicap visuel. Une façon pour notre Entreprise Adaptée GEDEAS, d’étendre notre Projet Ethand’ART (collectif d’Artistes mobilisés pour changer le Regard sur le handicap) et de lui donner une autre caisse de Résonance. »

Texte publié dans le catalogue les 30 ans de l’Espace Georges Brassens