– Dis, que vois-tu, dans les nues où nos regards s’abîment, où ma présence dilue tout éprouvant la tienne, dans ce recoin d’au-delà qui débute au creux du grand Livre, au fil des mots absents sur notre pure page?
– Voir est un grand mot; plus question de galvauder. Je nage au brouillard d’encre diluée. Je me sens miné; j’essaie vainement de redresser mais n’y perçois goutte. Seules émergent des modulations d’atmosphère, propices aux fantômes où je me complais. Je tente la traversée dont nul jamais ne revint.

– Je cherche à te joindre mais nos voies se divergent. Sommes-nous si loin, que tu n’entendes guère? Ma quête, à peine entamée, serait-elle vouée à l’irrémédiable ? Car je te perds où tu te retrouves… Et que suis-je là où tu es? Une feuille arrachée, matière du silence…
– Tout devient clair, au fur que je m’engage. La lueur se fait, à mesure se découvrent les obscures ténèbres. Qui parle encor là derrière? Mon passé me fuit si je vais de l’avant. Seul l’avenir compte à présent.

– Si ce n’est toi, serait-ce mon double, mon âme-soeur, mon ennemi ou un autre de moi ? Qui cherche à me croiser dans l’ombre? A me guider ou me manquer? Serait-ce toi? Je te sens si éloigné, et pourtant si proche… Les temps sont-ils révolus, de notre sympathie?
– Salut à toi, ô frère. A deux nous recouvrerons nos forces; nous croiserons le fer de fine lumière et chasserons l’éternel obscur ; je veux tout renier de mes vies antérieures. Je ne sais plus qui je fus, quand je te rencontrais.

– Quel ravissement que ces retrouvailles. Je ne t’imaginais pas si marqué par les injures de l’espace. Ne nous quittons jamais! Nous nous réconforterons mutuellement; nous panserons nos plaies. A deux, on se sent moins seuls dans l’inquiétante appréhension.
– Comment nous séparer : nous ne formons qu’un Etre! Nous conjurerons les maux et la mort, l’horreur et l’épouvante; nous défierons les cavaliers de l’effroi; nous dispenserons des éclairs d’espérance. Nous vaincrons, de vrai, nous vaincrons!

– J’ignore tout de ma condition; mais j’ai acquis une conviction : nous avons atteint un seuil d’équilibre que nul ne saurait nous soustraire. Nous baignons certes au coeur d’une épaisse nuit mais nous croiserons un jour l’illumination nouvelle. Où est l’autre? Quel autre? Peu nous importe à la fin ! Assumons ce statut négatif. Notre fonction purement transitoire Notre temps toujours de retard O la lueur qui tant soulage…
– Cette noirceur à l’entour nous égare! Il faut nous en délivrer. Concentrons nos aspirations, notre art et notre sève. Par la volonté, nous triompherons. Par la confiance. La fin a d’autres les moyens. Le combat des grands chefs nourrit la mémoire à oublier.

– Sommes-nous cette étoile brillant dans l’ombre? Nous débordons d’énergie pour des siècles et le grand oeuvre nous échoit, qui ravira l’avenir. Tout d’abord ôter ce manteau de deuil. Prodiguer aux quatre coins du Vacant notre paisible rayonnement. A nous, la Mort! Tu n’es qu’une mascarade! Foin de regrets. Nous allons nous aussi de l’avant…
– Nous venons d’accomplir une sacrée tâche, fût-ce à notre mesure. Respirons avant le dernier essor. Sus aux mensonges et aux sornettes! La vérité doit éclater! Que chacun l’érige au sein de soi !

– Arrêtons-nous, hélas, et si près de l’enjeu. Telle est notre mission que de précéder l’inéluctable, reconductible. D’autres se féliciteront, à qui nous aurons tracé la route. La terre de miel, nous ne l’aurons entr’ouverte qu’en songe. Qu’importe, si le labeur fut accompli! Ce fut si court toute une vie! C’est à présent qu’elle prend sens.

– O la sublime clarté qui sied au pur secret…

Ce texte est l’une des versions de DIALOGUE DE BANDES, publié en 95 par Jacques CLAUZEL-A TRAVERS accompagné de 7 acryliques de l’artiste. Gallargues Le Montueux.