Au grenier de la mémoire, j’ai retrouvé mon encrier d’enfant.

L’enfance y demeurait attachée, fine pellicule asséchée.

En ce temps-là, je prenais déjà la plume mais me révélais d’une gaucherie maladive dès qu’il s’agissait de noter les beaux pleins et les fins déliés des tristes pages d’écriture. Ma main s’esquivait du côté des marges. J’étais le prince du pâté. Les maîtres disaient : Tu serais pas un peu pâtissier sur les bords par hasard ?

Les bords ne m’ont jamais quitté. Quant aux pâtés…

Ces taches, à présent, je les veux perpétuer.

C’est en leur nom que j’ai pris le pli d’écrire.

Dans la marge germent des fleurs sans nom et qui n’ont nul besoin de senteurs pour embaumer le recoin où je suis consigné. Je les vois s’épanouir et qui prennent des couleurs. Je les voudrais pâles, comme le rose irisé de mes joues, le bleu céleste de mes veines. Les fleurs c’est le début du paradis à condition de ne jamais en occulter la tige. La tige est à la plume ce que la fleur est à l’encrier.

Vers d’improbables zéniths poignent les franges infinies des étoiles d’ombre et même l’ombre de ces soleils qui n’éclaireront jamais. Une enfance en dispense. Le soleil, les étoiles, ça se tue à la tâche. Or quelle merveille quand un solitaire en herbe s’ingénie à cueillir de tels éclats. Et la plume du vent qui n’en finit pas de balayer les ténébreux nuages. Là-haut. Là-haut.

De l’autre côté des aubes nuptiales la silhouette des titans s’estompe au creux fumeux des incendies. Nulle alouette n’y brûle sa tête à tire d’ailes. Le feu sacré des émules des dieux s’attise à d’autres fins. Le flanc des volcans s’arpente en toute quiétude même si le groupe a fixé son arrêt car l’esprit des sommets sied mal aux tâcherons du nombre. La tache aveugle, grattée à bon escient, aura tout englouti. Quant au sens, il est trop tôt pour en inspirer la clé.

Quand la plume fait défaut, on écoute, au bord des eaux de l’invisible, le chant cannelé des roseaux. Les oreilles se nichent dans l’œil de l’intérieur, noyé par les marais du songe. Le danger serait de s’y enliser mais qui ne sait que cette pensée vous replonge à la surface. Foin de rejets méphitiques, l’air est pur sous les eaux qu’on n’a point usagées. On peut même y déceler l’écho des narcisses célestes qui visent en vain à se renouveler.

Dans l’encrier de mon enfance se débattaient aussi des lettres, de celles qui se constellent en mot.

J’aurais été bien sot de n’en point profiter.

La vie me devait bien ça, et la mort, et les maîtres.

C’est parfois pathétique, la condition de « pâtissier ».

Certains n’y entendent goutte, ni note, ni rien.

Ceux-là n’auront jamais goûté la saveur d’un pur pâté.

Ce texte a été publié dans la collection Manuscrits peints d’Anne Slacik, accompagné de peintures originales de l’artiste. On peut contacter l’artiste ou se procurer l’ouvrage en écrivant au 34, boulevard de Stasbourg à ST Denis (93200) ou par email : anne.slacik@wanadoo.fr

Anne Slacik a illustré des ouvrages pour Fata Morgana, Rémy Maure, les éditions Tarbuste ou Aencrages entre autres, qu’il s’agisse d’auteurs comme Francis Ponge ou de Marguerite Yourcenar, Ovide ou Cummings, Charles d’Orléans ou Pïerre Sansot..

Dans la collection des Manuscrits Peints elle a invité une bonne centaine de poètes parmi lesquels on retiendra Butor ou Bernard Noël, Skimao ou Jean-Gabriel Cosculluela, René Pons ou Bernard Chambaz, et Jean-Pierre Faye, Claude Minière, Joël Vernet, Franc Ducros, Véronique Vassiliou, Dominique Grandmont, Jacques Demarcq, Claude Royet-Journoud etc. Et BTN last but not the least…

Ce texte, remanié et rebaptisé vient de sortir dans un recueil d’hommages à Pierre Caizergues chez Fata Motgana.