L’encre de parole

C’est toujours la même histoire. On me dit, tu verras, tu seras bien, sans m’expliquer bien sûr, ce que le  » bien  » veut dire. L’endroit est douillet. Tu y seras comme un coq en pâte, dorloté, adulé, peut-être dans du papier. Un objet de culte ou de référence. On me promet la lune, le paradis qui s’est perdu, le pauvre, à attendre ! Moi, naïf – pourtant j’ai l’habitude – je signe les yeux fermés. Quand je les rouvre, il est trop tard. C’est l’envers du décor. Pour le paradis je veux dire.

Je me retrouve interné, dans un réduit bas de plafond, autant dire hiberné. Encore s’il s’agissait d’une durée raisonnable, je ne sais pas moi, le temps de se sentir bien, ce n’est pas réclamer la lune ! Non, cela peut durer indéfiniment. C’est une espèce, une sorte, une manière plutôt d’éternité, qui m’est comme allouée. Entre mes quatre murs, j’ai le temps, tout le temps, tout mon temps, de trouver le temps long. Alors que voulez-vous, je m’adresse aux murs, si l’on peut appeler ça écrire, et sourds à mes murmures ?

Je dis que je fais si je dis que j’écris. Le fait d’avoir à dire suscite l’impression de l’avoir fait. Ah, ils sont inouïs les murs, pour  » ça  » je n’ai rien à redire,  » on  » a bien fait les choses. J’aurais grand tort de m’en plaindre. Ils sont parfaits pour mes invectives. Mes taches, mes touches, mes couches, mes caches. C’est simple, pour tout dire, je ne les vois plus. Ils sont baptisés à l’encre de parole, que l’on dit invisible, au regard de qui lit par-dessus l’épaule.

Qui prend son prochain pour une dupe, il se fourre le doigt dans l’œil. Ce n’est certes pas la meilleure façon de mettre  » ça  » au clair. Car enfin qui ne voit, si l’on passe sur l’expression, que l’invisible à vos yeux n’est qu’un leurre, aux yeux de la rétine. Plus il s’en rajoute, moins on en voit. C’est la loi, elle est comme ça. Trop de mots noie les mots. Trop de lignes et c’en est trop pour la ligne. Plus aucune phrase quand on n’est plus que phrases. Le mur c’est l’ancre de la parole dans la mer des mots où s’égarent les yeux.

Bref, l’on me berne à chaque invite d’art, je dois être claustrophile, ou quelque vice dans le genre. Pourquoi, me direz-vous ? Je vous le donne en mille. Pour un zeste de survie. Au début, j’attendais, car au début forcément, on n’a guère l’habitude. Depuis j’ai trouvé l’issue. Elle se trouve du côté qui vous occupe. Elle est dans vos yeux, qui m’ouvrent les voies d’un autre paradis, tout aussi improbable mais improbable ou pas, le paradis, que voulez-vous, la chair est faible alors pensez l’esprit, eh bien, est-il permis de le refuser ? Même en petites coupures. Parole d’athée. Ainsi je fais.

  • Ce texte est dédié à mon amie Régine Detambel et publié par ses soins.
  • Voir son site : Régine Detambel
  • Tiré à 6 exemplaires