Sur l’autoroute déserte
Quand le regard ennuyé s’égare au-dessus des ponts
L’écran de la nuit scintille d’icônes

Des canards à col vert jouent les poètes au-dessus des sommets enneigés
Dans la forêt des songes quelque distrait aura omis d’extraire le château de sa tente
Peut-être craignait-il qu’il ne s’enflamme de joie
C’est qu’il subit de plein fouet les caprices de la météo
Que coasse la grenouille grasse

Un géant de papier sort du livre relié d’une autre époque
Il a besoin d’un enfant pour traverser le fleuve
Il est tellement grand qu’il se met lui-même hors cadre
Un avion se découpe dans le ciel d’un bleu publicitaire
Il traverse le terrain de sport histoire de se mettre au vert
Et le géant se sent dès lors hors jeu
Au-dessus les nuages se noient dans un lac qui s’est mis à réfléchir
Sur ses bords une famille heureuse s’est approprié un pavillon qui la dépasse
Et sur ce pavillon le paysage qu’elle ne veut point partager à l’instar du bonheur
La mère de la petite fille boit son thé glacé très tôt plutôt que tard
Le père et la mère sourient à l’objectif de leur postérité
Peut-être un jour seront-ils aussi célèbres que Marylin
Et le géant voudrait bien les apprivoiser il leur envoie l’enfant
Pour qu’il s’applique à les capturer
Afin de jouer aux cartes avec eux  
Mais lui-même doit se tenir à distance
Car les familles heureuses n’aiment guère ce qui les dépasse
C’est la condition même du bonheur
Ils ont un camping-car pas un château dans une tente
Ou carrément un vrai château une belle demeure
Bref tout ce qui fait rêver les amateurs d’images
Qui ont une peur bleue comme une barbe
Des lacs qui réfléchissent et des châteaux qui brûlent
Des canards qui s’effacent et des paysages qu’on gratte

A plus fortes raisons d’une imprimante qui s’emballe et vomit des dessins tout en couleurs

Sur l’autoroute de la nuit
Encore un pont comme un désert
Et puis encore un autre
On va sortir maintenant et passer dessus
Combien
Bande d’enc…
C’est cher payé pour un peu de rêve

Livre d’artistes paru aux Éditions Rivières et illustration de Fabien Boitard